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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Figures philosophiques

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L'image chez Platon

  "Socrate - Mais imagines-tu ces deux genres, le visible et l'intelligible ?
  Glaucon - Je les imagine.
  - Prends donc une ligne coupée en deux segments inégaux, l'un représentant le genre visible, l'autre le genre intelligible, et coupe de nouveau chaque segment suivant la même proportion ; tu auras alors, en classant les divisions obtenues d'après leur degré relatif de clarté ou d'obscurité, dans le monde visible, un premier segment, celui des images - j'appelle images d'abord les ombres, ensuite les reflets que l'on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants, et toutes les représentations semblables; tu me comprends ?
  - Mais oui.
  - Pose maintenant que le second segment correspond aux objets que ces images représentent, j'entends les animaux qui nous entourent, les plantes, et tous les ouvrages de l'art.
  - Je le pose.
  - Consens-tu aussi à dire, demandai-je, que, sous le rapport de la vérité et de son contraire, la division a été faite de telle sorte que l'image est à l'objet qu'elle reproduit comme l'opinion est à la science ?
  - J'y consens fort bien.
  - Examine à présent comment il faut diviser le monde intelligible.
  - Comment ?
  -
De telle sorte que pour atteindre l'une de ses parties l'âme soit obligée de se servir, comme d'autant d'images, des originaux du monde visible, procédant, à partir d'hypothèses, non pas vers un principe, mais vers une conclusion; tandis que pour atteindre l'autre – qui aboutit à un principe anhypothétique – elle devra, partant d'une hypothèse, et sans le secours des images utilisées dans le premier cas, conduire sa recherche à l'aide des seules idées prises en elles-mêmes."

 

Platon, La République, Livre VI, 509e-510b, tr. fr. Robert Baccou, GF, 1995, p. 267-268.



  "Soit un segment de droite divisé harmoniquement en quatre parties, de telle sorte que

Platon.jpg

  Ce schéma géométrique, pour simplifié qu'il soit, permet d'entrevoir ce qu'il en est fondamentalement de l'Être. AC représente les copies : « Par copies j'entends premièrement les ombres portées, en second lieu, les images réfléchies sur la surface de l'eau et sur celle de tous les corps qui sont à la fois compacts, lisses et lumineux... »[1] La partie CD renvoie aux « animaux de notre expérience et, dans son ensemble, à tout le genre de ce qui se procrée et de ce qui se fabrique »[2], c'est-à-dire à la réalité naturelle telle qu'elle se donne dans la perception et dans l'activité banale. Ainsi AD constitue la section de ce qui est visible : c'est le monde perçu. DB, est l'intelligible, ce qui est seulement sensible à « l’œil de l’âme », à l'esprit. Mais, à l'intérieur de cette partie, il convient d'introduire une division qui « ressemble » à celle que nous venons d'opérer au sein du sensible : « Dans une des sections de l'intelligible, l'âme, traitant comme des copies les choses qui précédemment étaient celles que l'on imitait, est obligée dans sa recherche de partir d'hypothèses, en route non vers un principe, mais vers une terminaison ; mais, en revanche, dans l'autre section [ici EB] avançant de son hypothèse à un principe anhypothétique, l'âme, sans même recourir à ces choses que justement, dans la première section, on traitait comme des copies, poursuit sa recherche à l'aide des natures essentielles, prises en elles-mêmes, et en se pouvant parmi elles »[3]."

 

François Châtelet, Platon, 1965, Folio essais, 1989, p. 145-146.


[1] La République, VI, 510 a.
[2] Ibid.
[3] Ibid., 510 b.



  "Socrate : Maintenant, représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'instruction et à l'ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent ni bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.
  Glaucon : Je vois cela.
  - Figure toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre en bois et en toute espèce de matière ; naturellement parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.
  - Voilà, s'écria Glaucon, un étrange tableau et d'étranges prisonniers.
  - Ils nous ressemblent ; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
  - Et comment, observa Glaucon, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ? Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ?
  - Sans contredit.
  - Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ?
  - Il y a nécessité.
  - Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ?
  - Non, par Zeus, dit-il.
  - Assurément de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués.
  - C'est de toute nécessité.
  - Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements, il souffrira et l'éblouissement l'empêchera de distinguer ces objets dont tout à l'heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors que de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige à force de questions, à dire ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant ?
  - Beaucoup plus vraies, reconnut-il.
  - Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n'en seront-ils pas blessés ? N'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu'il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre ?
  - Assurément.
  - Et si on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et lorsqu'il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies ?
  - Il ne le pourra pas, du moins dès l'abord.
  - Il aura je pense besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. D'abord, ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière.
  - Sans doute.

  - À la fin j'imagine, ce sera le soleil – non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit – mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est.
  - Nécessairement, dit-il.
  - Après cela, il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne.
  - Évidemment, c'est à cette conclusion qu'il arrivera.
  - Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l'on y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers ?
  - Si, certes.
  - Et s'ils se décernaient entre eux louanges et honneurs, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l'oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par-là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu'il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants ? Ou bien comme ce héros d'Homère, ne préféra-t-il pas mille fois n'être qu'un valet de charrue, au service d'un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions de vivre comme il vivait ?
  - Je suis de ton avis, dit-il ; il préfèrera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon-là.
  - Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ?
  - Assurément si, dit-il.

  - Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux ne se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut, il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ?
  - Sans aucun doute, répondit-il.
  - Maintenant, mon cher Glaucon, repris-je, il faut appliquer point par point cette image à ce que nous avons dit plus haut, comparer le monde que nous découvre la vue au séjour de la prison et la lumière du feu qui l'éclaire, à la puissance du soleil. Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l'ascension de l'âme vers le lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque aussi bien tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie. Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible, l'idée du bien est perçue la dernière et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau en toutes choses; qu'elle a, dans le monde visible, engendré la lumière et le souverain de la lumière; que dans le monde intelligible, c'est elle-même qui est souveraine et dispense la vérité et l'intelligence; et qu'il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique.
  - Je partage ton opinion, autant que je le puis.
  - Eh bien ! partage-là encore sur ce point, et ne t'étonne pas que ceux qui se sont élevés à ces hauteurs ne veuillent plus s'occuper des affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse à demeurer là-haut. Cela est bien naturel si notre allégorie est exacte.
  - C'est en effet, bien naturel, dit-il.
  - Mais quoi, penses-tu qu'il soit étonnant qu'un homme qui passe des contemplations divines aux misérables choses humaines ait mauvaise grâce et paraisse tout à fait ridicule, lorsque, ayant encore la vue troublée et n'étant pas suffisamment accoutumé aux ténèbres environnantes, il est obligé d'entrer en dispute, devant les tribunaux ou ailleurs, sur des ombres de justice ou sur les images qui projettent ces ombres, et de combattre les interprétations qu'en donnent ceux qui n'ont jamais vu la justice elle-même ?"

 

Platon, La République, Livre VII, 514a-517a, tr. fr. Robert Baccou, GF, 1995, p. 273-276.



  "Socrate : Si tu veux prendre un miroir et le présenter de tous côtés tu feras vite le soleil et les astres du ciel, la terre, toi-même, et tous les êtres vivants, et les meubles, et les plantes, et tout ce dont nous parlions à l'instant.
  Glaucon : Oui mais ce seront des apparences et non pas des réalités.
  Bien, dis-je ; tu en viens au point voulu par le discours ; car, parmi les artisans de ce genre, j'imagine qu'il faut compter le peintre, n'est-ce pas ?
  Comment non ?
  Mais tu me diras, je pense que ce qu'il fait n'a point de réalité ; et pourtant, d'une certaine manière, le peintre lui aussi fait un lit. Ou bien non ?
  Si, répondit-il, du moins un lit apparent.
  Et le menuisier ? N'as-tu pas dit tout à l'heure qu'il ne faisait point la Forme (eidos), ou, d'après nous, ce qui est le lit, mais un lit particulier ?
  Je l'ai dit en effet.
  Or donc, s'il ne fait point ce qui est, il ne fait point l'objet réel, mais un objet qui ressemble à ce dernier, sans en avoir la réalité ; et si quelqu'un disait que l'ouvrage du menuisier ou de quelque autre artisan est parfaitement réel, il y aurait chance qu'il dise faux, n'est-ce pas ?
  Ce serait du moins le sentiment de ceux qui s'occupent de semblables questions.
  Par conséquent, ne nous étonnons pas que cet ouvrage soit quelque chose d'obscur, comparé à la vérité,
  Non.
  Veux-tu maintenant que, nous appuyant sur ces exemples, nous recherchions ce que peut être l'imitateur ?
  Si tu veux, dit-il.
  Ainsi, il y a trois sortes de lits ; l'une qui existe dans la nature des choses, et dont nous pouvons dire, je pense, que Dieu est l'auteur - autrement qui serait-ce ?...
  Personne d'autre, à mon avis.

  Une seconde est celle du menuisier.
  Oui.
  Et une troisième, celle du peintre, n'est-ce pas ?
  Soit.
  Ainsi, peintre, menuisier, Dieu, ils sont trois qui président à la façon de ces trois espèces de lits.
  Oui, trois.
  Et Dieu, soit qu'il n'ait pas voulu agir autrement, soit que quelque nécessité l'ait obligé à ne faire qu'un lit dans la nature, a fait celui-là seul qui est réellement le lit ; mais deux lits de ce genre, ou plusieurs, Dieu ne les a jamais produits et ne les produira point.
  Pourquoi donc ? demanda-t-il.
  Parce que s'il en faisait seulement deux, il s'en manifesterait un troisième dont ces deux-là reproduiraient la Forme, et c'est ce lit qui serait le lit réel, non les deux autres.
  Tu as raison.

  Dieu sachant cela, je pense, et voulant être réellement le créateur d'un lit réel, et non le fabricant particulier d'un lit particulier, a créé ce lit unique par nature.
  Il le semble.
  Veux-tu donc que nous donnions à Dieu le nom de créateur naturel de cet objet, ou quelque autre nom semblable ?
  Ce sera juste, dit-il, puisqu'il a créé la nature de cet objet et de toutes les autres choses.
  Et le menuisier ? Nous l'appellerons l'ouvrier du lit n'est-ce pas ?
  Oui.
  Et le peintre, le nommerons-nous l'ouvrier et le créateur de cet objet ?
  Nullement.
  Qu'est-il donc, dis-moi, par rapport au lit ?

  Il me semble que le nom qui lui conviendrait le mieux est celui d'imitateur de ce dont les deux autres sont les ouvriers.
  Soit. Tu appelles donc imitateur l'auteur d'une production éloignée de la nature de trois degrés.
  Parfaitement, dit-il.
  Donc, le faiseur de tragédies, s'il est un imitateur, sera par nature éloigné de trois degrés du roi et de la vérité, comme, aussi, tous les autres imitateurs.
  Il y a chance.
  Nous voilà donc d'accord sur l'imitateur. Mais, à propos du peintre, réponds encore à ceci : essaie-t-il, d'après toi, d'imiter chacune des Choses mêmes qui sont dans la nature ou bien les ouvrages des artisans ?
  Les ouvrages des artisans, répondit-il.
  Tels qu'ils sont, ou tels qu'ils paraissent ; fais encore cette distinction.
  Que veux-tu dire ?

  Ceci : un lit, que tu le regardes de biais, de face, ou de toute autre manière, est-il différent de lui-même, ou, sans différer, parait-il différent ? et en est-il de même des autres choses ?
  Oui, dit-il, l'objet parait différent mais ne diffère en rien.
  Maintenant, considère ce point : lequel de ces deux buts se propose la peinture relativement à chaque objet : est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît, tel qu'il paraît ? Est-elle l'imitation de l'apparence ou de la réalité ?
  De l'apparence.
  L'imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne tous les objets, c'est, semble-t-il, parce qu'elle ne touche qu'à une petite partie de chacun, laquelle n'est d'ailleurs qu'un simulacre (eidôlon). Le peintre, dirons-nous par exemple, nous représentera un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan sans avoir aucune connaissance de leur métier ; et cependant, s'il est bon peintre, ayant représenté un charpentier et le montrant de loin, il trompera les enfants et les hommes privés de raison, parce qu'il aura donné à sa peinture l'apparence d'un charpentier véritable.
  Certainement.
  Eh bien ! ami, voici, à mon avis, ce qu'il faut penser de tout cela. Lorsque quelqu'un vient nous annoncer qu'il a trouvé un homme instruit de tous les métiers, qui connaît tout ce que chacun connaît dans sa partie, et avec plus de précision que quiconque, il faut lui répondre qu'il est un naïf, et qu'apparemment il a rencontré un charlatan et un imitateur, qui lui en a imposé au point de lui paraître omniscient, parce que lui-même n'était pas capable de distinguer la science, l'ignorance et l'imitation."

 

Platon, La République, Livre X, 596d-598d, tr. fr. Robert Baccou, GF, 1966, p. 360-363.

 

  "Socrate – Prends un miroir et présente-le de tous côtés ; en moins de rien, tu feras le soleil et tous les astres du ciel, la terre, toi-même, les ouvrages de l'art, et tout ce que nous avons dit.
  Glaucon – Oui, je ferai tout cela en apparence, mais il n'y a rien de réel, rien qui existe véritablement.
  Socrate – Fort bien. Tu entres parfaitement dans ma pensée. Le peintre est apparemment un ouvrier de cette espèce, n'est-ce pas ?

  Glaucon – Sans doute.
  Socrate – Tu me diras peut-être qu'il n'y a rien de réel en tout ce qu'il fait ; cependant le peintre fait aussi un lit en quelque façon.
  Glaucon – Oui, l'apparence d'un lit. […]
  Socrate – Il y a donc trois espèces de lit ; l'une qui est dans la nature, et dont nous pouvons dire, ce me semble, que Dieu est l'auteur ; auquel autre, en effet, pourrait-on l'attribuer ?
  Glaucon – À nul autre.
  Socrate – Le lit du menuisier en est une aussi.
  Glaucon – Oui.
  Socrate – Et celui du peintre en est encore une autre, n'est-ce pas ?
  Glaucon – Oui.
  Socrate – Ainsi le peintre, le menuisier, Dieu, sont les trois ouvriers qui président à la façon de ces trois espèces de lit. […]
  Donnerons-nous à Dieu le titre de producteur de lit, ou quelqu'autre semblable ? Qu'en penses-tu ?
  Glaucon – Le titre lui appartient, d'autant plus qu'il a fait de lui-même et l'essence du lit, et celle de toutes les autres choses.

  Socrate – Et le menuisier, comment l'appellerons-nous ? L'ouvrier du lit, sans doute ?
  Glaucon – Oui.
  Socrate – À l'égard du peintre, dirons-nous aussi qu'il en est l'ouvrier ou le producteur ?
  Glaucon – Nullement.
  Socrate – Qu'est-il donc par rapport au lit ?
  Glaucon – Le seul nom qu'on puisse lui donner avec le plus de raison, est celui d'imitateur de la chose dont ceux-là sont ouvriers. […]
  Socrate – Le peintre se propose-t-il pour objet de son imitation ce qui, dans la nature, est en chaque espèce, ou plutôt ne travaille-t-il pas d'après les œuvres de l'art ?
  Glaucon – Il imite les œuvres de l'art.
  Socrate – Tels qu'ils sont, ou tels qu'ils paraissent ? Explique-moi encore ce point.
  Glaucon – Que veux-tu dire ?

  Socrate – Le voici. Un lit n'est pas toujours le même lit, selon qu'on le regarde directement ou de biais ou de toute autre manière ? Mais quoiqu'il soit le même en soi, ne paraît-il pas différent de lui-même ? J'en dis autant de toute autre chose.
  Glaucon – L'apparence est différente, quoique l'objet soit le même.
  Socrate – Pense maintenant à ce que je vais dire ; quel est l'objet de la peinture ? Est-ce de représenter ce qui est tel, ou ce qui paraît, tel qu'il paraît ? Est-elle l'imitation de l'apparence, ou de la réalité ?
  Glaucon - De l'apparence.
  Socrate – L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai ; et la raison pour laquelle il fait tant de choses, c'est qu'il ne prend qu'une petite partie de chacune ; encore ce qu'il en prend n'est-il qu'un fantôme. Le peintre, par exemple, nous représentera un cordonnier, un charpentier, ou tout autre artisan, sans avoir aucune connaissance de leur métier ; mais cela ne l'empêchera pas, s'il est bon peintre, de faire illusion aux enfants et aux ignorants, en leur montrant du doigt un charpentier qu'il aura peint, de sorte qu'ils prendront l'imitation pour la vérité.
  Glaucon – Assurément.
  Socrate – Ainsi, mon cher ami, devons-nous l'entendre de tous ceux qui font comme ce peintre. Lorsque quelqu'un viendra nous dire qu'il a trouvé un homme qui sait tous les métiers, qui réunit à lui seul, dans un degré éminent, toutes les connaissances qui sont partagées entre les autres hommes, il faut lui répondre qu'il est dupe apparemment de quelque magicien et de quelque imitateur qu'il a pris pour le plus habile des hommes, faute de pouvoir lui-même distinguer la science, l'ignorance et l'imitation."

 

Platon, La République, Livre X, 596d-598d, tr. fr. Victor Cousin, 1822.



  "L'ÉTRANGER - Si nous disons qu'il [le sophiste] possède une sorte d'art fantasmagorique, il tirera facilement avantage des mots employés par nous pour nous contre-attaquer et les retourner contre nous, et, lorsque nous l'appellerons faiseur d'images [eidolon], il nous demandera ce qu'après tout nous entendons par images. Il faut donc, Théétète, examiner quelle réponse on fera à la question de ce vigoureux adversaire.

  THÉÉTÈTE - Évidemment nous lui citerons les images [eidola] réfléchies dans l'eau et dans les miroirs, les images peintes ou sculptées et toutes les autres du même genre.
  L'ÉTRANGER - Il est clair, Théétète, que tu n'as jamais vu de sophiste.

  THÉÉTÈTE - Pourquoi donc ?
  L'ÉTRANGER - Il te semblera qu'il a les yeux fermés ou qu'il n'a point d'yeux du tout.
  THÉÉTÈTE - Comment cela ?
  L'ÉTRANGER - Quand tu lui feras réponse en ces termes, et que tu lui citeras les miroirs et les moulages, il rira de t'entendre lui parler comme à un homme qui voit clair. Il fera semblant de ne connaître ni les miroirs, ni l'eau, ni la vue même, et il se bornera à demander ce qu'on peut tirer de tes discours.
  THÉÉTÈTE - Qu'est-ce donc ?
  L'ÉTRANGER - Ce qu'il y a de commun dans toutes ces choses que tu dis multiples et que tu as cru devoir appeler d'un seul nom, celui d'image [eidolon], appliqué à toutes comme si elles étaient une seule chose. Parle donc et défends-toi sans céder un pouce à l'adversaire.
  THÉÉTÈTE - Que pouvons-nous donc dire, étranger, qu'est l'image, sinon un second objet pareil, copié sur le véritable ?
  L'ÉTRANGER - Mais, à ton avis, cet objet pareil est-il véritable, ou à quoi appliques-tu ce mot « pareil » ?
  THÉÉTÈTE - Véritable, non pas, mais ressemblant.
  L'ÉTRANGER - Le véritable, n'est-ce pas, selon toi, celui qui existe réellement ?
  THÉÉTÈTE - Si.
  L'ÉTRANGER - Mais quoi ! ce qui n'est pas véritable, n'est-ce pas le contraire du vrai ?
  THÉÉTÈTE - Naturellement.
  L'ÉTRANGER - Alors ce qui est ressemblant n'existe pas réellement, selon toi, puisque tu dis qu'il n'est pas véritable ?
  THÉÉTÈTE - Mais il existe pourtant en quelque manière.
  L'ÉTRANGER - Mais non véritablement, dis-tu.
  THÉÉTÈTE - Assurément non, sauf qu'il est réellement une image.
  L'ÉTRANGER - Alors, quoique n'étant pas réellement, il est réellement ce que nous appelons une image [eikon] ?
  THÉÉTÈTE - Il semble que voilà l'être et le non-être entrelacés et enchevêtrés ensemble d'une façon bien étrange."

 

Platon, Le Sophiste, 239c-240c, tr. fr. Émile Chambry, GF, 1969, p. 85-87.


 

  "SOCRATE. - Voyons donc, Cratyle, si nous pourrons nous entendre. Admets-tu que le nom et l'objet nommé soient deux choses distinctes ?
  CRATYLE. - Oui.

  SOCRATE - Admets-tu que les peintures aussi sont, dans un autre genre, des imitations [miméoma] de certaines choses ?
  CRATYLE - Oui.
  SOCRATE - Voyons donc ; car il se peut que je ne comprenne pas ta pensée et peut-être est-ce toi qui vois juste. Peut-on assigner et appliquer ces deux sortes d'imitation, les peintures et les noms en question, aux choses qu'elles imitent, ou est-ce impossible ?
 
CRATYLE - C'est possible.
 
SOCRATE - Fais d'abord attention à ceci. Peut-on rapporter l'image de l'homme à l'homme, celle de la femme à la femme et ainsi du reste ?
  CRATYLE - Certainement.
  SOCRATE - Et inversement celle de l'homme à la femme et celle de la femme à l'homme ?
  CRATYLE - C'est possible aussi.
  SOCRATE - Or ces deux attributions sont-elles justes, ou l'une des deux seulement ?
  CRATYLE - L'une des deux.
  SOCRATE - Celle, je pense, qui rapporte à chaque objet ce qui lui appartient et lui ressemble.
  CRATYLE - C'est mon opinion.
  SOCRATE - Pour ne pas batailler sur les mots, toi et moi, puisque nous sommes amis, accorde-moi ce que je vais dire. C'est cette sorte d'attribution, camarade, dans les deux genres d'imitation, les peintures et les noms, que j'appelle juste, et, dans le cas des noms, non seulement juste, mais vraie, quant à l'autre, celle qui attribue et applique aux objets ce qui ne leur ressemble pas, je l'appelle impropre, et fausse quand elle porte sur les noms."

 

Platon, Cratyle, 430 z - 430 d, tr. fr. Émile Chambry, GF, 1967, p. 457-458.

 

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Date de création : 12/09/2024 @ 09:52
Dernière modification : 13/09/2024 @ 07:36
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