"Cet objet passif, maintenu en vie artificiellement, mais qui, à tout moment, est près de s'évanouir, ne saurait remplir les désirs. Pourtant il n'est pas tout à fait inutile : constitue un objet irréel, c'est une façon de tromper u. instant les désirs pour les exaspérer ensuite un peu comme l'eau de mer fait de la soif. Si je désire voir un ami, je vais le faire comparaître irréellement. C'est une façon de jouer l'assouvissement. Mais l'assouvissement est seulement joué car, en fait, mon ami n'est pas là réellement. Je ne donne rien au désir ; bien plus : c'est le désir qui constitue l'objet pour la plus grande part : à mesure qu'il projette l'objet irréel devant lui, il se précise en tant que désir. D'abord c'est Pierre seulement que je désire voir. Mais mon désir devient désir de tel sourire, de telle physionomie. Ainsi il se limite et s'exaspère en même temps et l'objet irréel est précisément – au moins en ce qui concerne son aspect effectif – la limitation et l'exaspération de ce désir. Aussi n'est-ce qu'un mirage et le désir, dans l'acte imageant, se nourrit-il de lui-même. Plus exactement l'objet en image est un manque défini ; il se dessine en creux. Un mur blanc en image, c'est un mur blanc qui manque dans la perception."
Jean-Paul Sartre, L'Imaginaire, 1940, Folio essais, 2019, p. 241-242.
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