"L'existence la plus falote fourmille de symboles, l'homme le plus « réaliste » vit d'images. Pour le redire, et comme la suite l'illustrera abondamment, les symboles ne disparaissent jamais de l'actualité psychique : ils peuvent changer d'aspect ; leur fonction reste la même. Il n'est que de lever leurs nouveaux masques.
La plus abjecte « nostalgie » dérobe la « nostalgie du paradis ». On a mentionné les images du « paradis océanien » qui hantent le livre comme le film. (Qui a dit du cinéma que c'était l' « usine des rêves » ?) On peut aussi bien analyser les images soudainement libérées par une musique quelconque, parfois la plus vulgaire romance : et l'on constatera que ces images avouent la nostalgie d'un passé mythisé, transformé en archétype, que ce « passé » comporte, outre le regret d'un temps aboli, mille autres sens : il exprime tout ce qui aurait pu être et n'a pas été, la tristesse de toute existence qui n'est qu'en cessant d'être autre chose, le regret de ne pas vivre dans le paysage et le temps évoqués par la romance (quelles qu'en soient les couleurs locales ou historiques : « bon vieux temps », Russie des balalaïkas, Orient romantique, Haïti des films, millionnaire américain, prince exotique, etc.) ; en fin de compte, le désir de quelque chose de tout à fait autre que l'instant présent, en définitive, d'inaccessible ou d'irrémédiablement perdu : le « Paradis ».
L'important, dans ces images de la « nostalgie du paradis », est qu`elles en disent toujours plus qu`en pourrait exprimer en paroles le sujet qui les a éprouvées. La plupart des humains seraient d’ailleurs incapables de les raconter : non qu'ils soient moins intelligents que les autres, mais parce qu’ils n'accordent pas trop d'importance à notre langage analytique. De telles images rapprochent pourtant les hommes plus efficacement et plus réellement qu'un langage analytique. En fait, s'il existe une solidarité totale du genre humain, elle ne peut être ressentie et « actuée » qu'au niveau des Images."
Mircea Eliade, Images et symboles, 1952, Gallimard tel, 1990, p. 19-20.
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