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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Les images numériques ou virtuelles

  "Dans l'histoire de l'image, le passage de l'analogique au numérique instaure une rupture équivalente dans son principe à l'arme atomique dans l'histoire des armements ou à la manipulation génétique dans la biologie. De voie d'accès à l'immatériel, l'image informatisée devient elle-même immatérielle, information quantifiée, algorithme, matrice de nombres modifiable à volonté et à l'infini par une opération de calcul. Ce que saisit la vue n'est plus alors qu'un modèle logico-mathématique provisoirement stabilisé. Ce passage par la numérisation binaire affectant à la fois l'image, le son et le texte, voilà réunis sous un commun ordinateur l'ingénieur, le chercheur, l'écrivain, le technicien, l'artiste. Tous pythagoriciens. Voilà le monde de l'image, à la fois banalisé et décloisonné, déclinant une symbolique universelle. L'îlot Beaux-Arts se raccorde à la circulation générale des logiciels. Victoire du langage sur les choses et du cerveau sur l'œil. La chair du monde transformée en un être mathématique comme les autres : telle serait utopie des « nouvelles images ».
  Révolution dans le regard, en tout cas. La simulation abolit le simulacre, levant ainsi l'immémoriale malédiction qui accouplait image et imitation. Elle était enchaînée à son statut spéculaire de reflet, calque ou leurre, au mieux substitut, au pire supercherie, mais toujours illusion. Ce serait alors la fin du millénaire procès des ombres, la réhabilitation du regard dans le champ du savoir platonicien. Avec la conception assistée par ordinateur, l'image produite n'est plus copie seconde d'un objet antérieur, c'est l'inverse. Contournant l'opposition de l'être et du paraître, du semblant et du réel, l'image infographique n'a plus à mimer un réel extérieur, puisque c'est le produit réel qui devra l'imiter, elle, pour exister. Toute la relation ontologique qui dévaluait et dramatisait à la fois notre dialogue avec les apparences depuis les Grecs s'en trouve renversé. Le « re » de re­ présentation saute, au point d'aboutissement de la longue métamorphose où les choses déjà apparaissaient de plus en plus comme les pâles copies des images. Délestée de tout référent (en principe du moins), l'image autoréférente des ordinateurs permet de visiter un bâtiment qui n'est pas encore construit, de rouler dans une voiture qui n'existe encore que sur papier, de piloter un faux avion dans un vrai cockpit, par exemple pour répéter au sol une mission de bombardement. Voilà le visuel. Tel qu'en lui-même enfin.
 
Une entité virtuelle est effectivement perçue (et éventuellement manipulée) par un sujet mais sans réalité physique correspondante. Dûment équipé de senseurs et capteurs de position « gants de données » et « casque de visualisation »), mon corps peut bouger dans un espace parfaitement immatériel, animé par une simulation numérique, et le faire bouger en retour. Le paradoxe est qu'Image et Réalité, alors, deviennent indiscernables : un tel espace est explorable et impalpable, à la foi non illusoire et irréel. Les expériences de « téléprésence » oscillent encore entre l'expérimentation en laboratoire et l'attraction foraine, mais les imageries virtuelles interactives équipent déjà avions, sous-marins, chantiers ou voitures de course. Les programmes informatiques produisent ainsi, par un traitement graphique de l'information, des images intelligentes susceptibles d'intégrer en situation des flux de données imprévues afin de répondre aux aléas d'une situation incontrôlée. « Les images savent maintenant qu'on les regarde » (Richard Bolt). Elles sont « responsables », Platon et Pascal ont été mis la tête en bas, et nous devrions dire à leur place : « Quelle étrange chose que ce monde industriel où on admire les automobiles dernier modèle dont on n'admirait point les images de synthèse... »"

 

Régis Debray, Vie et mort de l'image, 1992, Folio Essais, p. 386-388.


 

"Les mondes virtuels représentent une révolution copernicienne. Nous tournions autour des images, maintenant nous allons tourner dans les images. On ne se contente plus de les effleurer du regard, ou de les feuilleter des yeux. On les pénètre, on se mélange à elles, et elles nous entraînent dans leurs vertiges et dans leurs puissances.
  En nous donnant l'illusion de pouvoir entrer dans les images, comme Alice dans les merveilles, les mondes virtuels « squattent » notre cortex et imposent leurs lois et leurs yeux. D'où des vacillements abyssaux, mais aussi des espoirs d'ailleurs, des pensées autres.

  Les images virtuelles ne sont jamais seulement des images, juste des images, elles possèdent des dessous, des derrières, des en-deçà et des au-delà, elles forment des mondes. On n'en fait pas le tour. Il faut les explorer sans fin, comme des images mais aussi comme des idées, car elles ont partie liée avec les modèles. Elles peuvent nous faire remonter, de manière tangible, matérielle, aux idées qui les engendrent.
  Les images virtuelles posent d'une nouvelle manière de très ancienne questions sur la nature de notre rapport au réel. Elles nous incitent à aiguiser notre attention, à effiler notre regard. Elles nous donnent à penser que le monde réel pourrait être lui-même une sorte d'image dont nous n'aurions pas l'idée. Elles paraissent en effet de plus en plus aptes à effacer les frontières entre ce que nous convenions d'appeler le « réel » et ce qui n'en faisait pas partie.
  Le virtuel n'est certes pas une mode anodine et passagère. C'est une véritable pierre de touche du réel, ou plutôt notre sentiment de la réalité. Le virtuel met au monde de nouvelles images et nous place dans ces images. Celles-ci figurent le monde à leur façon et même le reconfigurent. Mais elles peuvent aussi le défigurer. C’est pourquoi il faut veiller, réellement veiller."

 

Philippe Quéau, Le Virtuel : vertus et vertiges, 1993, Champ Vallon, Introduction, p. 9-10.


 

 

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Date de création : 10/01/2025 @ 14:07
Dernière modification : 27/01/2025 @ 16:08
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