"Disons donc bonsoir aux généalogies réductionnistes, si rassurantes soient-elles ; le meilleur moyen de ne pas épaissir le mystère de la mauvaise conscience, c'est de l'expliquer pour lui-même, sans le déduire ni du souvenir, ni du regret, ni d'aucun sentiment naturel, et de le laisser s'exprimer dans sa langue propre. Au regret, au souvenir, la mauvaise conscience ajoute quelque chose d'absolument nouveau, un geste contre nature et qui fait violence à tous nos instincts ; la mauvaise conscience se donne tort spontanément à elle-même. C'est cette agression qui est proprement irrationnelle. Certes la mauvaise conscience ne s'avouera pas forcément coupable si on le lui demande : mais dans son « for intérieur » elle se reproche une certaine chose, quelque soin qu'elle apporte à se la dérober, à ne pas la connaître ; elle est honteuse, inconsolable, pleine d'amertume et de regrets inextinguibles. La mauvaise conscience fait ce miracle, étant à la fois juge et partie, de se condamner elle-même : en réalité, elle fait là quelque chose de tout simple, et qui ne nous paraît héroïque que parce que nous l'avons d'abord dédoublée. En d'autres termes, et c'est le mot de tout, le remords est douleur, douleur pure et plus encore : douleur en chair et en os."
Vladimir Jankélévitch, La Mauvaise Conscience, 1966, Aubier-Montaigne, p. 62-63.
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