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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
La valeur de l'image

  "D'un point de vue paléontologique, n'est valable que l'image de dinosaure vraie, certifiée au moyen des méthodes d'investigation les plus rigoureuses. Quant aux images obsolètes, démodées et populaires, elles sont au mieux divertissantes, au pire un grave détournement de la quête scientifique de la vérité. D'un point de vue iconologique, cependant, la valeur de vérité scientifique d'une image de dinosaure n'est qu'un détail parmi d'autres, non un fondement exclusif pour asseoir le regard critique. The Last Dinosaur Book narre « la vie et l'œuvre d'une icône culturelle » ; y figurent de nombreuses images de dinosaures, dont les registres de valeur sont totalement disparates. Certaines ont une valeur parce qu'elles sont impressionnantes, d'autres parce qu'elles sont séduisantes ou repoussantes, d'autres encore parce qu'elles sont pertinentes, drôles, ou qu'elles stimulent la réflexion. Il semblerait qu'une image qui trouve à se loger dans des habitats si divers – télévision, magasins de jouets, romans, dessins animés, publicités – possède quelque valeur intrinsèque. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce l'image qui possède une valeur ou la chose concrète sur ou dans laquelle elle apparaît ? Ce qu'on achète dans une galerie, c'est une peinture, non l'image qui y figure. Au mieux pouvons-nous emprunter, louer ou voler l'image d'une œuvre (en reproduction), et nous connaissons tous la thèse de Walter Benjamin selon laquelle la reproduction déprécie l'œuvre d'art en lui prélevant sa valeur et son « aura ». Si l'image possède de la valeur, celle-ci est en un certain sens plus vaporeuse que celle de la peinture ou de la sculpture, le monument qui l' « incarne » dans un lieu spécifique. L'image ne peut être détruite. Le Veau d'or de l'Ancien Testament fut réduit en poussière, mais son image demeure – dans des œuvres d'art, des textes, des récits et des souvenirs."

 

W.J.T. Mitchell, Que veulent les images ? Une critique de la culture visuelle, 2005, tr. fr. Maxime Boidy, Nicolas Cilins et Stéphane Roth, Les Presses du réel, 2014, p. 101-102.

 

  "From the standpoint of palaeontology, the only good dinosaur image is a true one, an image that has been verified as accurate by the most rigorous forensic disciplines. Obsolete, old-fashioned, and popular dinosaur images are at best amusing, at worst a serious distraction from the scientific search for truth. From an iconological standpoint, on the other hand, the scientific truth-value of a dinosaur image is simply another fact about it, not an exclusive basis for critical understanding. As the history of “the life and times of a cultural icon.” The Last Dinosaur Book brings together a range of images whose registers of value are utterly disparate. Some dinosaur images are valuable because they are impressive; others because they are cute or horrible; others still because they are accurate, or funny, or thought-provoking. It would seem that an image that finds a home in so many different places--television, toy stores, novels, cartoons, advertising-would have to possess some intrinsic value. But does it? Is it the image that has value or the concrete thing on or in which it appears? We buy a picture in a gallery; we don't buy the image in it. We can only borrow or rent or steal an image of the work (in reproduction) and we all know Walter Benjamins argument that reproduction cheapens the work of art, draining value and “aura” from it. The image has value, but somehow it is slipperier than the value of the picture or statue, the physical monument that “incarnates” it in a specific place. The image cannot be destroyed. The golden calf of the Old Testament may be ground down to powder, but the image lives on-in works of art, in texts, in narrative and remembrance."

 

W.J.T. Mitchell, What pictures want? The lives and loves of images, 2005, The University of Chicago Press, p. 83-84.



  "Mon principal objectif est de suggérer que la mise en place d'un système de valeurs préalable à l'évaluation des images ne saurait résoudre le problème. Car les images jouent un rôle actif dans la constitution et la modification des valeurs elles-mêmes ; elles sont en mesure d'en importer de nouvelles et d'en menacer ainsi de plus anciennes. Pour le meilleur et pour le pire, les êtres humains construisent leur identité collective et historique en créant autour d'eux une nature seconde d'ordre pictorial. Plus que de simples reflets des valeurs consciemment insufflées par ceux qui les façonnent, les images émettent de nouvelles formes de valeurs, forgées dans l'inconscient collectif et politique de ceux qui les regardent. Objets de plus-value, simultanément surestimées et sous-estimées, ces images se tiennent à la confluence des conflits sociaux fondamentaux. Entités fantasmatiques et immatérielles, elles semblent, une fois incarnées dans le monde, posséder une puissance d'agir, une aura, un « esprit propre », qui est une projection d'un désir collectif nécessairement obscur pour ceux qui se retrouvent à festoyer à l'intérieur ou autour d'une image, comme les scientifiques d'Hawkins ou les Israélites de Poussin. Cela n'est pas moins vrai pour les images modernes que ça ne l'était pour les images anciennes. Pour paraphraser Bruno Latour, nous n'avons jamais été et nous ne serons probablement jamais modernes en matière d'images. J'ai suggéré que le totémisme peut constituer un cadre critique pour exposer ces problèmes, dans la mesure où il permet d'interroger la valeur des images de manière « équitable » pour ainsi dire : comme un jeu entre amis et parents, et non comme une hiérarchie intimant d'adorer ou de vénérer les images, ou au contraire de les injurier ou de les briser. Le totémisme permet à l'image d'assumer avec le regardeur une relation sociale, conversationnelle et dialectique comparable à la relation qu'entretient la poupée ou la peluche avec l'enfant. Nous devrions, une fois adultes, tirer quelque enseignement de cet exemple, et le cas échéant, l'appliquer à nos relations aux images, elles qui, pour des raisons bien souvent mystérieuses, nous importent tant."

 

W.J.T. Mitchell, Que veulent les images ? Une critique de la culture visuelle, 2005, tr. fr. Maxime Boidy, Nicolas Cilins et Stéphane Roth, Les Presses du réel, 2014, p. 121-127.

 

  "My main point is simply to suggest that the question of images and value cannot be settled by arriving at a set of values and then proceeding to the evaluation of images. Images are active players in the game of establishjng and changing values. They are capable of introducing new values into the world, and thus of threatening old ones. For better and for worse, human beings establish their collective, historical identity by creating around them a second nature composed of images which do not merely reflect the values consciously intended by their makers, but radiate new forms of value formed in the collective, political unconscious of their beholders. As objects of surplus value, of simultaneous over- and underestimation, these stand at the interface of the most fundamental social conflicts. They are phantasmatic, immaterial entities that, when incarnated in the world, seem to possess agency, aura, a “mind of their own,” which is a projection of a collective desire that is necessarily obscure to those who find themselves, like Hawkins's scientists or Poussins revelers, celebrating around or inside an image. This is true no less for modern than for ancient images. When it comes to images, as Bruno Latour would put it, we have never been and probably never will be modern. I have suggested totemism as a critical framework for addressing these issues because it addresses the value of images “on the level,” as it were, as a game between friends and relatives, not as a hierarchy in which the image must be adored or reviled, worshipped or smashed. Totemism allows the image to assume a social, conversational, and dialectical relationship with the beholder, the way a doll or a stuffed animal does with children. We adults could learn something from their example, and perhaps apply it to our relations with the images that seem, for often mysterious reasons, to matter so much to us."

 

W.J.T. Mitchell, What pictures want? The lives and loves of images, 2005, The University of Chicago Press, p. 105-106.

 

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Date de création : 21/01/2025 @ 07:53
Dernière modification : 21/01/2025 @ 07:56
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