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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Hors des sentiers battus
Le problème de la représentation du divin

  "Comment faire l'icône de l'invisible, dessiner ce qui n'a ni quantité, ni mesure, ni limite, ni forme ? Comment peindre l'incorporel ? Comment figurer le sans-figure ? Que nous est-il ainsi rappelé mystiquement ? C'est ceci : tant que Dieu est invisible, n'en fais pas l'icône, mais dès lors que tu vois l'incorporel devenu homme, fais l'image de la forme humaine ; lorsque l'invisible devient visible dans la chair, peins la ressemblance de l'invisible. Lorsque ce qui n'a ni quantité, ni mesure, ni taille par l'éminence de sa nature, lorsque celui qui étant en forme de Dieu prend la forme d'un esclave et par cette réduction assume la quantité, la mesure et les caractères du corps, dessine alors sur ton panneau et propose à la contemplation celui qui a accepté d'être vu, exprime son indicible condescendance, sa naissance de la Vierge, le baptême dans le Jourdain, la transfiguration au Thabor, la Passion qui donne l'impassibilité, les miracles, les manifestations de sa nature et de son opération divines accomplies par l'opération de la chair, le tombeau salutaire du Sauveur, l'Ascension au ciel; illustre alors tout cela en paroles et par la peinture, dans les livres et sur le panneau de bois."

 

Jean Damascène, Troisième discours contre ceux qui rejettent les saintes icônes, 730, tr. fr. Emmanuel Ponsoye.


 

  "Certains parmi nous blâment ceux qui adorent et vénèrent les icônes de notre Sauveur et de notre Souveraine, comme celles des autres saints et serviteurs du Christ ; qu'ils sachent qu'au commencement Dieu fit l'homme à son image. En tant que qui nous prosternons-nous devant d'autres ? Si ce n' est qu'ils sont faits à l'image de Dieu. Comme le dit ce savant connaisseur du divin, Basile, « la vénération de l'image va à son modèle ». Le modèle, c'est celui qui est peint sur l'icône et dont vient l'image. Pourquoi le peuple de Moïse se prosternait-il autour du tabernacle portant l'image et le type de ce qui est au ciel, et même de toute la création. Cependant Dieu dit à Moïse « Voici, tu feras tout selon le modèle qui t'a été montré sur la montagne. » (Ex. 25, 40). Et les Chérubins adombrant le propitiatoire n'étaient-ils pas faits de main d'homme ? Quoi de plus renommé que le temple de Jérusalem ? N'était-il pas fait de main d'homme et construit par son art ?
  L'Écriture divine condamne ceux qui adorent des statues, mais aussi ceux qui sacrifient aux démons. Or les Grecs sacrifiaient, et les Juifs sacrifiaient, mais les Grecs aux démons et les Juifs à Dieu ; et les sacrifices des Grecs étaient rejetés et condamnés, et ceux des justes étaient acceptés par Dieu. « Noé offrit un sacrifice et Dieu en respira l'agréable odeur », accueillant le parfum des bonnes dispositions envers lui. Ainsi les statues des Grecs, images des démons, se trouvaient rejetées et interdites.
  En plus qui peut faire la reproduction du Dieu, invisible, incorporel, incernable, sans figure ? C'est le dernier degré de la démence et de l'impiété que figurer le divin. D'où le peu d'usage des icônes dans l'Ancien Testament, mais dès lors que Dieu, dans ses entrailles de miséricorde, est véritablement devenu homme pour notre salut, et cela non pas comme pour Abraham et pour les prophètes, auxquels il est apparu sous l'aspect d'un homme, mais parce que devenu véritablement, essentiellement homme, il a passé sa vie sur terre, s'est mêlé aux hommes, a fait ses miracles, a souffert, a été crucifié, ressuscité et a monté au ciel. Toutes ces choses sont arrivées réellement, les hommes les ont vues, on les a reproduites en dessins pour nous en souvenir et pour l'enseignement de ceux qui n'y ont pas assisté en sorte que sans les avoir vues, mais en écoutant et en croyant, nous retrouvions la joie du Seigneur. Comme tout le monde ne savait pas lire ou n'en avait pas le loisir, les Pères ont vu dans ces icônes comme un bref rappel de ces actions sublimes. Souvent, alors même que l'on ne pense pas à la passion du Seigneur, en voyant l'icône de la Crucifixion du Christ, elle nous revient mémoire et, tombant à genoux, nous adorons celui qui est reproduit et non la matière ; pas plus que nous n'adorons la matière des Évangiles ni la matière de la croix, mais l'image gravée dessus. Quelle différence y a-t-il entre une croix sans Christ sculpté et une croix avec ; et de même pour la Théotokos. La vénération pour elle rejaillit sur celui qui par elle s'est incarné. Pareillement les exploits de ces hommes saints nous poussent au courage, au zèle à imiter leur vertu et à chanter la gloire de Dieu. Comme nous le disions, la vénération pour la grandeur des serviteurs prouve nos bonnes pensées envers le commun Maître et la vénération de l'icône rejaillit sur le modèle. Il y a une tradition non-écrite, comme d'adorer tourné vers l'Orient et beaucoup d'autres choses semblables; c'est elle qui nous fait adorer la croix.
  On raconte l'histoire suivante : Abgarus, roi de la ville d'Edesse avait envoyé un peintre pour faire un portrait du Seigneur et il n'y arrivait pas parce que son visage brillait d'un éclat insoutenable ; le Seigneur couvrit son divin visage de son manteau et celui-ci se trouva reproduit sur le manteau qu'il envoya à Abgarus qui le demandait."

 

Jean Damascène, Exposé de la foi orthodoxe, vers 730-740, Livre IV, chapitre XVI : Des icones, tr. fr. Emmanuel Ponsoye.



  "Au-delà de la médecine et de l'armée, terrains d'élection de la simulation, l'affaire renvoie à la religion, et au simulacre de la divinité : « Je défendis qu'il y eût dans les temples aucun simulacre parce que la divinité qui anime la nature ne peut être représentée. » Justement elle le peut. Mais que devient-elle lorsqu'elle se divulgue en icônes, lorsqu'elle se démultiplie en simulacres ? Demeure-t-elle l'instance suprême qui simplement s'incarne dans les images en une théologie visible ? Ou bien se volatilise-t-elle dans les simulacres qui, seuls, déploient leur faste et leur puissance de fascination – la machinerie visible des icônes se substituant à l'idée pure et intelligible de Dieu ? C'est bien ce dont avaient peur les iconoclastes, dont la querelle millénaire est encore la nôtre aujourd'hui. C'est bien parce qu'ils pressentaient cette toute-puissance des simulacres, cette faculté qu'ils ont d'effacer Dieu de la conscience des hommes, et cette vérité qu'ils laissent entrevoir, destructrice, anéantissante, qu'au fond Dieu n'a jamais été, qu'il n'en a jamais existé que le simulacre, voire que Dieu lui-même n'a jamais été que son propre simulacre – de là venait leur rage à détruire les images. S'ils avaient pu croire que celles-ci ne faisaient qu'occulter ou masquer l'idée platonicienne de Dieu, il n'y avait pas de quoi les détruire. On peut vivre de l'idée d'une vérité altérée. Mais leur désespoir métaphysique venait de l'idée que les images ne cachaient rien du tout, et qu'elles étaient en somme non pas des images, telles qu'en elles-mêmes le modèle original les change, mais bien des simulacres parfaits, rayonnants pour toujours de leur fascination propre. Or il faut conjurer à tout prix cette mort du référentiel Divin.
  On voit que les iconoclastes, qu'on accuse de mépriser et de nier les images, étaient ceux qui leur accordaient leur juste prix, au contraire des iconolâtres qui n'y voyaient que reflets et se contentaient de vénérer Dieu en filigrane. Mais on peut dire à l'inverse que les iconolâtres furent les esprits les plus modernes, les plus aventureux, puisque, sous couleur d'une transparition de Dieu dans le miroir des images, ils jouaient déjà sa mort et sa disparition dans l'épiphanie de ses représentations (dont ils savaient peut-être qu'elles ne représentaient plus rien, qu'elles étaient un jeu pur, mais que c'était précisément là le grand jeu – sachant aussi qu'il est dangereux de démasquer les images, puisqu'elles dissimulent qu'il n'y a rien derrière)."

 

Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, 1981, Editions Calilée, p. 14-15.



  "Les problèmes intellectuels plus larges liés à l'iconique sont de quatre sortes. Premièrement, la création même d'images, de ressemblances, peut paraître reproduire l'acte unique de la création. Deuxièmement, la création d'images religieuses soulève un problème spécifique : comment traduire l'élément immatériel, spirituel, sous une forme « humaine », voire une autre forme quelle qu'elle soit ? Si l'on veut communiquer avec le divin, on doit établir un point de contact qui peut être une image de type anthropomorphique. Il existe virtuellement une tension entre le fait qu'un sanctuaire – n'importe quel sanctuaire – soit un artefact et le fait qu'il représente une essence immatérielle. Le rejet plus spécifique des images religieuses peut permettre des représentations profanes tout en évitant le sacré. Troisièmement, il y a la situation particulière du Dieu suprême, le problème posé par la représentation non pas de la création, mais du Dieu créateur lui-même, ce qui combine les hésitations impliquées par les deux premières objections. Enfin, il y a la tension plus générale à se méfier des images parce que ce sont des re-présentations trompeuses de la « réalité ».
  Autrement dit, l'iconophobie ne consiste pas seulement à rejeter les images des faux dieux ; elle a également une dimension philosophique : toute image de la divinité, toutes les images religieuses et parfois les images de tout ce que la divinité a créé, ou même, à l'extrême, les images que l'humanité a forgées, sont à rejeter. Ces tendances semblent très largement répandues, mais souvent de façon latente dans les cultures humaines. Dans le cas de la divinité, la raison en est claire. Rendre visible l'invisible – faire une image matérielle de quelque chose d'immatériel, de divin, de surnaturel, lié à l'esprit, au souffle , à l'anima, à l'âme – soulève des problèmes évidents.

  Une solution au problème de la représentation de la divinité est d'éviter toute image et de s'appuyer uniquement sur le mot. D'où l'accent mis sur la parole de Dieu en Israël, chez les premiers chrétiens, en islam, chez les protestants et dans le bouddhisme zen ; la parole y est diamétralement opposée à l'image. Sur l'autel, dans le temple, il n'y a pas de représentation figurative, et les seules offrandes sont des mots, les prières et les hymnes, le cas échéant sans « musique » d'accompagnement."

 

Jack Goody, La Peur des représentations. L'ambivalence à l'égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de la sexualité, 1997, tr. fr. Pierre-Emmanuel Dauzat, , Éditions La Découverte, 2003, p. 67.

 

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Date de création : 04/02/2025 @ 09:54
Dernière modification : 18/03/2025 @ 08:06
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