"JUGER. V. act. Exercer son jugement, pour connaître et discerner le bon du mauvais, le vrai d'avec le faux. C'est l'entendement qui juge, la volonté obéit ; la passion et la préoccupation font que nous jugeons mal. On le dit aussi des sens corporels. Le goût juge des faveurs, l'œil des couleurs, l'oreille des sons.
JUGER signifie aussi, Avoir l'autorité de rendre justice, le pouvoir d'absoudre ou de condamner. Dieu viendra juger les vivants et les morts. Les douze Apôtres seront les douze Juges, pour juger les douze Tribus d'Israël. Ils jugèrent les Rois et les Princes. Le Pape juge les autres, et personne ne le juge.
On dit aussi des Juges ordinaires, qu'ils ont bien jugé, ou mal jugé, selon que leur sentence a été confirmée ou infirmée, qu'ils ont jugé quelqu'un à mort ; qu'ils ont jugé son procès ; qu'ils ont jugé dans les formes, à la rigueur. Mon Rapporteur m'a promis que je serais jugé au premier jour. Un Rapporteur dit aussi : Je vous jugerai demain, pour dire : Je ferai le rapport de votre procès à vos juges.
JUGER signifie aussi, Dire son sentiment et son opinion en toutes sortes de rencontres. Il y a peu de gens qui jugent sainement des choses ; les ignorants jugent de tout témérairement ; il faut être habile en quelque art que ce soit pour en bien juger ; les méchants jugent toujours en mal plutôt qu'en bien.
JUGER signifie aussi, Prévoir, conjecturer. On juge du beau temps du lendemain par le coucher du Soleil ; cet Astrologue a mal réussi en jugeant cette nativité ; ce Médecin entend bien le pronostic, il juge bien de l'événement d'une maladie ; on juge à la mine de cet homme est un fripon ; j'ai toujours jugé qu'il arriverait quelque grand accident en cette famille. On dit aussi, qu'un joueur juge bien la balle, quand il prévoit où elle doit tomber ou réfléchir ; on juge de l'avenir par le passé.
JUGER signifie aussi simplement, Estimer, penser. Je juge d'ici que ce pan de bastion a bien 60 toises, qu'il y a bien une lieue entre ces deux pointes de clocher. Je juge à propos de prendre ce chemin plutôt que l'autre.
JUGER se dit aussi des particuliers qui donnent leur décision après qu'on s'en est rapporté à eux. Il a fait juger ce coup sous la galerie ; la gageure a été jugée à son avantage ; cet homme n'a point pris de part dans cette querelle, il n'a fait que juger des coups.
JUGER se dit proverbialement en ces phrases. On dit qu'un homme juge comme un aveugle des couleurs, quand il juge mal d'une chose, quand il ne la connaît point. On dit aussi, juger à boule vue, pour dire, au hasard, et sans considération. On dit aussi, juger sur l'étiquette, quand on juge des choses sans les avoir bien examinées, et pesé les raisons de part et d'autre, juger sur une simple apparence."
Antoine Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts, 1690, tome 2, article "Juger", p. 396-397 (orthographe modernisée).
"Décider une affaire, un différend en Justice. Juger un procès : quand jugerez-vous cette affaire ? Bien juger, mal juger ; juger définitivement ; juger précipitamment ; juger sur les pièces ; juger avec connaissance de cause ; juger contre droit et raison ; juger en dernier ressort ; juger les causes d'appel ; juger une requête civile ; l'affaire est prête à juger, est en état de juger.
On dit [de façon proverbiale et figurée] qu'il ne faut pas juger sur l'étiquette du sac, ou simplement, sur l'étiquette, pour dire, qu'il ne faut pas juger légèrement et sur la première apparence de quelque chose que ce soit.
On dit, Juger une personne, pour dire, Juger son procès. Je serai jugé demain ; je vous jugerai quand j'aurai vu les pièces ; il a été jugé, on l'a jugé à mort ; on l'a jugé, il est absous ; il n'y a que Dieu qui juge les Rois.
Il signifie aussi : Décider comme arbitre, et comme étant choisi par ceux qui sont en différend. C'est notre arbitre, il nous jugera ; jugez-nous je vous prie ; jugez ce coup-là ; je m'en rapporte à ce qu'il en jugera ; regardez-nous jouer, vous jugerez des coups ; un coup difficile à juger.
Il signifie aussi : Décider du défaut, ou de la perfection de quelque chose, et alors on dit toujours, Juger de… Il juge bien de la poésie ; il juge bien de la Peinture ; il juge mal de ces sortes de choses, il ne s'y connaît point ; il en juge comme un aveugle des couleurs ; juger sainement des choses.
Il signifie aussi : Décider en bien ou en mal du mérite d'autrui, de ses pensées, de ses sentiments, du motif de ses actions. En ce sens il se construit encore avec le « de ». Bien juger, mal juger de quelqu'un, ou de ses actions, juger mal de son prochain ; il faut toujours bien juger de tout le monde ; vous en jugez bien témérairement, bien légèrement ; jugez favorablement de lui ; juger équitablement ne jugez point si vous ne voulez être jugés.
On dit, Juger d'autrui par soi-même, pour dire : comprendre par ses propres sentiments quels doivent être ceux d'autrui sur la chose dont il s'agit. Jugez d'autrui par vous-même, et voyez si vous seriez bien aise qu'on se moquât de vous.
Il signifie aussi, Conjecturer. Il n'est pas difficile de juger ce qui en arrivera ; je jugeai bien que telle chose arriverait ; que jugez-vous de cela ? je ne saurais qu'en juger ; le Médecin a vu ce malade, il en juge mal.
Il signifie aussi : Croire, estimer que, être de sentiment, d'opinion. Que Jugez-vous que je doive faire ; je juge à propos qu'on y aille ; il n'a pas jugé à propos de s'y trouver ; on a jugé qu'il était à propos ; jugez-vous cela bien nécessaire ; jugez-vous qu'il soit nécessaire ; on a jugé nécessaire d'y pourvoir de bonne heure.
Il signifie aussi : Comprendre dans son esprit, se figurer, s'imaginer. Vous jugez bien ; vous pouvez bien juger qu'il n'en fut pas fort content ; jugez si je fus ravi de le voir ; jugez qu'elle fut ma joie ; il est aisé de juger d'où cela part."
Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition, 1694, article "Juger" (orthographe modernisée).
"1. Décider d'une affaire, d'un différend en qualité de juge ; prononcer une décision de justice. Juger un procès, une cause. Juger impartialement. Juger sommairement. Juger sur pièces. Juger en pleine connaissance de cause. Juger contre droit et raison. Juger en appel, juger en dernier ressort. La chose jugée. Le respect dû à la chose jugée. L'autorité de la chose jugée. Jugement passé en force de chose jugée, qui n'est pas ou n'est plus susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Bien jugé, mal appelé ; mal jugé, bien appelé, formules employées dans les arrêts quand un juge supérieur confirme ou casse la sentence d'un juge subalterne. Subst. Le bien-jugé, le mal-jugé.
▪ Juger une personne, faire son procès. L'accusé sera jugé demain. On l'a jugé, il est absous. Expr. fig. C'est un homme jugé, c'est un homme dont on connaît le peu de mérite, le peu d'honnêteté.
▪ Religion. En parlant de l'arrêt que Dieu porte sur les hommes. Dieu viendra juger les vivants et les morts.
▪ Par extension. Décider comme arbitre, départager. Un cas difficile à juger. Nous l'avons choisi pour nous juger. À vous de juger. Vous en jugerez vous-même.
2. Se former, avoir, énoncer un avis, une opinion sur une personne ou une chose et, spécialement, décider en bien ou en mal du mérite d'autrui, de ses sentiments, de ses actes, etc. Vous jugez cet homme sévèrement, favorablement. Vous me jugez bien mal, si vous me croyez capable de cela. Je l'ai jugé au premier coup d'œil. Nous nous jugeons rarement comme les autres nous jugent. Il se juge lui-même sans indulgence. Par métonymie. De tels actes, de telles paroles jugent leur auteur, manifestent ce qu'il est en vérité, permettent de le juger avec certitude (se dit le plus souvent en mauvaise part). Juger un ouvrage, un tableau, une pièce de théâtre. Des préventions nous empêchent de juger sainement cette affaire.
▪ En ce sens, s'emploie souvent en construction indirecte. Bien juger, mal juger de quelqu'un. Juger des gens sur l'apparence, sur la mine. Vous en jugez légèrement, témérairement. Il est encore trop tôt pour en juger. On juge mal des évènements quand on n'en connaît point les causes. D'ici, il est difficile de juger de la distance. Il juge bien de la poésie, de la peinture.
▪ Absolument. Ne jugez point si vous ne voulez être jugé. Juger équitablement.
▪ Loc. et expr. Autant, pour autant que je puisse en juger. Juger des coups, regarder des joueurs et apprécier en quoi ils jouent bien ou mal ; fig., être simple spectateur des évènements, les louer ou les blâmer sans y prendre part. Il en jugera comme un aveugle des couleurs, sans en avoir aucune connaissance. Juger d'autrui par soi-même, estimer les sentiments d'autrui par les siens.
3. Conjecturer, estimer ; être d'avis, d'opinion que. Si vous jugez qu'il peut l'emporter. Que jugez-vous que je doive faire ? Intransitivement. Si j'en juge par ce premier essai, à en juger par ce premier essai, nous réussirons.
▪ Dans une construction attributive. Il n'a pas jugé bon, il n'a pas jugé à propos de s'y trouver. On a jugé nécessaire d'y pourvoir de bonne heure. Si vous l'en jugez digne. Le parti que vous jugerez le meilleur. Pron. réfléchi et réciproque. Vous en jugez-vous capable ? Ils se jugèrent faits l'un pour l'autre.
▪ Par extension. Se faire une idée de, se représenter. Vous jugez, vous pouvez bien juger qu'il n'en fut pas fort content. Jugez combien je fus surpris, jugez un peu de ma surprise. Jugez si je fus ravi de la voir, jugez quelle fut ma joie.
4. Former un jugement, des jugements ; affirmer ou nier l'existence d'une chose, la vérité d'un rapport entre deux termes. La faculté de juger.
Dictionnaire de l'Académie française, 9e édition, 2000, article "Juger".
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