"L'infrajustice a vocation à concerner tous les types de conflits que la justice est aussi susceptible de traiter ; elle suppose pour le faire une certaine organisation, qui la distingue d'autres modalités de traitement extrajudiciaire, en particulier de la parajustice.
L'infrajustice repose sur un consensus social au niveau local ; ce consensus s'accorde sur la nécessaire intervention (médiation) d'un tiers, individuel ou collectif, pour décider du règlement entre les parties en conflit (arbitrage) ou pour l'entériner (conciliation), règlement qui de ce fait prend concrètement force d'obligation morale et sociale aux yeux, non seulement des parties concernées, mais de tous les membres de la communauté. [...]
L'initiative d'un processus infrajudiciaire peut être prise soit par une victime, qui veut un dédommagement, soit par le milieu au sein duquel le dol a été commis, pour empêcher que ne se noue la chaîne des vengeances, soit éventuellement par l'auteur du dol lui-même, s'il prend conscience de la nécessité de parvenir à un accord pour éviter, encore une fois, une succession de vengeances et de représailles, ou pour échapper à des poursuites judiciaires. Il faut en tout cas que l'un et l'autre, victime et coupable, finissent par s'accorder sur la nécessité de parvenir à un compromis, et c'est évidemment de la part de l'auteur du dol que cette acceptation est la plus difficile à obtenir. [...]
Le processus infrajudiciaire connaît donc cinq étapes : le déclenchement, le choix d'un arbitre ou d'un médiateur, la négociation, la décision, l'application de cette décision. Le choix de l'arbitre peut éventuellement n'avoir lieu qu'à la fin du processus, pour entériner un accord, mais le plus souvent il s'effectue dès le début de la négociation. Quant à la manière d'entériner l'accord, elle peut varier selon les catégories sociales ; les règlements devant notaire sont surtout pratiqués dans la classe moyenne ou artisanale, alors que les pauvres s'efforcent d'éviter les droits notariaux par des accords conclus, certes, devant témoins, donc publics, mais sans caractère officiel : à leurs yeux, ils ont autant de valeur, sinon davantage, dans un monde où l'oralité est restée longtemps primordiale, au détriment de l'écrit. Mais quels que soient les détails de ses modalités concrètes, la fiabilité d'un processus infrajudiciaire suppose l'acceptation préalable par les parties de l'aboutissement de la procédure, ainsi que la garantie de son application par la pression du milieu : c'est une question d'honneur. Il existe cependant des nuances notables sur ce dernier point, qui mettent en valeur les insuffisances ponctuelles de l'infrajustice. Elle est efficace dans les sociétés fortement structurées, où des communautés solidaires peuvent faire pression pour pousser les parties, qui sont toujours des individus bien intégrés, à la négociation, et pour garantir ensuite l'exécution effective d'un accord toujours fondé sur la bonne foi. Mais ce n'est pas toujours le cas. C'est dire que l'infrajustice, si elle résout bien des problèmes, n'est cependant pas une panacée."
Benoît Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXIe siècle, 3e partie, chapitre 5, Folio histoire, 2009, p. 353-355 et p. 358-359.
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