C'est une banalité de dire que nous sommes enfants avant d'être adultes. Mais c'est aussi une banalité de dire que l'homme a deux mains ; pourtant la réflexion philosophique commence quand on s'interroge sur la relation essentielle qui unit la main et l'humanité. De même, on doit s'interroger sur le caractère fondamental de l'enfance quant à la formation des hommes. L'enfant est à la fois moins et plus que l'adulte : moins, puisqu'il est encore à former et qu'il manque de tout ; plus, puisqu'il lui est possible justement de se former en profondeur, là où l'adulte ne le peut plus. Celui-ci peut continuer à apprendre, mais seul l'enfant peut apprendre à apprendre.
Pourtant, condition de développement de l'humanité, l'enfance n'est-elle pas en même temps comme une fatalité qui pèse sur le devenir, aussi bien intellectuel, affectif, moral que social, de l'adulte ? Par définition, en effet, l'enfant doit se former à un moment où il ne possède ni esprit critique, ni force morale, ni indépendance psychologique : malléable, impressionnable, déformable, influençable, ses apprentissages sont bien souvent irréversibles : préjugés qui empêcheront l'adulte de penser librement ; complexes, refoulements, phobies, angoisses, qui l'empêcheront de vivre heureux de manière durable ;règles et tabous inconscients, manières de vivre "incorporées" qui biaiseront la prise en charge de son destin moral... De la sorte, l'enfance constituerait la part aliénée et aliénante de l'adulte, faisant de toute vie un échec programmé, et de tout départ un mauvais départ. Une telle vision reflète-t-elle la réalité, ou ne pèche-t-elle pas par excès de pessimisme ?