"[…] il n'y a pas pour l'homme, demeuré libre, de souci plus constant, plus cuisant que de chercher un être devant qui s'incliner. Mais il ne veut s'incliner que devant une force incontestée, que tous les humains respectent par un consentement universel. Ces pauvres créatures se tourmentent à chercher un culte qui réunisse non seulement quelques fidèles, mais dans lequel tous ensemble communient, unis par la même foi. Ce besoin de la communauté dans l'adoration est le principal tourment de chaque individu et de l'humanité tout entière, depuis le commencement des siècles. C'est pour réaliser ce rêve qu'on s'est exterminé par le glaive. Les peuples ont forgé des dieux et se sont défiés les uns les autres : « Quittez vos dieux, adorez les nôtres ; sinon malheur à vous et à vos dieux ! » Et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde, même lorsque les dieux auront disparu ; on se prosternera devant les idoles".
Dostoïevski, Les frères Karamazov, 1880, Paroles du Grand Inquisiteur, Livre V, Chapitre 5, Pléiade, p. 275.