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Texte à méditer :   C'est croyable, parce que c'est stupide.   Tertullien
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Travail et produit du travail

  "Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes ; quelquefois il signifie l'utilité d'un objet particulier, et quelquefois il signifie la faculté que donne la possession de cet objet d'en acheter d'autres marchandises. On peut appeler l'une, Valeur en usage, et l'autre, Valeur en échange. - Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n'ont souvent que peu ou point de valeur en échange ; et, au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n'ont souvent que peu ou point de valeur en usage. Il n'y a rien de plus utile que l'eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n'a presque aucune valeur quant à l'usage, mais on trouvera fréquemment à l'échanger contre une très grande quantité d'autres marchandises. [...]

  Ainsi la valeur d'une denrée quelconque pour celui qui la possède, et qui n'entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a l'intention de l'échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail que cette denrée le met en état d'acheter ou de commander.

  Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise [....]. Elles [les marchandises] contiennent la valeur d'une certaine quantité de travail, que nous échangeons pour ce qui est supposé alors contenir la valeur d'une quantité égale de travail. Le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l'achat primitif de toutes choses. Ce n'est point avec de l'or ou de l'argent, c'est avec du travail, que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement, et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions, est précisément égale à la quantité de travail qu'elles le mettent en état d'acheter ou de commander.

 

Adam Smith, Recherches sur la nature et sur les causes de la richesse des nations, 1776, Chap. 4-5, tr. fr. Germain Garnier et Adolphe Blanqui, Gallimard Idées, p. 60-62.


 

    "L'ouvrier s'appauvrit d'autant plus qu'il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L'ouvrier devient une marchandise. Plus le monde des choses augmente en valeur, plus le monde des hommes se dévalorise ; l'un est en raison directe de l'autre. Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il se produit lui-même et produit l'ouvrier comme une marchandise dans la mesure même où il produit des marchandises en général.

    Cela revient à dire que le produit du travail vient s'opposer au travail comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, matérialisé dans un objet, il est la transformation du travail en objet, matérialisation du travail. La réalisation du travail est sa matérialisation. Dans les conditions de l'économie politique, cette réalisation du travail apparaît comme la déperdition de l'ouvrier, la matérialisation comme perte et servitude matérielles, l'appropriation comme aliénation, comme dépouillement. [...]

    Toutes ces conséquences découlent d'un seul fait : l'ouvrier se trouve devant le produit de son travail dans le même rapport qu'avec un objet étranger. Cela posé, il est évident que plus l'ouvrier se dépense dans son travail, plus le monde étranger, le monde des objets qu'il crée en face de lui devient puissant, et que plus il s'appauvrit lui-même, plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. C'est exactement comme dans la religion. Plus l'homme place en Dieu, moins il conserve en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet, et voilà qu'elle ne lui appartient plus, elle est à l'objet. Plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet. Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail.

    Plus son produit est important, moins il est lui-même. La dépossession de l'ouvrier au profit de son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et qu'il devient une puissance autonome face à lui. La vie qu'il a prêtée à l'objet s'oppose à lui, hostile et étrangère."
 

 

Marx, Manuscrits de 1844, traduction de M. Rubel, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1968, p. 58-59.


 

 "À mesure que la grande production se développe, la création de richesses dépend de moins en moins du temps de travail et de la quantité de travail fourni, et de plus en plus de la puissance des agents mécaniques qui sont mis en mouvement pendant la durée du travail. L'énorme efficience de ces agents est à son tour, sans aucun rapport avec le temps de travail immédiat que coûte leur production. Elle dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production. (Le développement de cette science - en particulier de la science de la nature ainsi que de toutes les autres sciences - est bien sûr fonction du développement de la production matérielle.) L'agriculture, par exemple, devient une simple application de la science du métabolisme matériel, et de sa régulation optimale pour l'ensemble du corps social. La richesse réelle se développe maintenant, d'une part, grâce à l'énorme disproportion entre le temps de travail fourni et son produit et, d'autre part, grâce à la disproportion qualitative entre le travail, réduit à une pure abstraction, et la puissance du procès de production qu'il surveille : c'est ce que nous révèle la grande industrie. Le travail ne se présente pas tellement comme une partie constitutive du procès de production. L'homme se comporte bien plutôt comme un surveillant et un régulateur vis-à-vis du procès de production. (Cela vaut non seulement pour la machinerie, mais encore pour la combinaison des activités humaines et pour le développement de la circulation entre les individus.) Le travailleur n'insère plus comme intermédiaire entre le matériau et lui l'objet naturel transformé en outil ; il insère à présent le procès naturel qu'il transforme en un procès industriel, comme intermédiaire entre lui et toute la nature dont il s'est rendu maître. Mais lui-même trouve place à côté du procès de production au lieu d'en être l'agent principal. Avec ce bouleversement, ce n'estni le temps de travail fourni, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production de richesses ; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en corps social ; en un mot le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production de la richesse [...]
 La production fondée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait, et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine, misérable et antagonique. C'est alors le libre développement des individualités."
 
Karl Marx, Fondements de la critique de l'économie politique, 1857-1858. Trad R. Dangeville, éd. Anthropos, 1968, p. 221-222.

 

    "Baudelaire est un citadin : pour lui la vraie eau, la vraie lumière, la vraie chaleur sont celles des villes - déjà des objets d'arts, unifiés par une pensée maîtresse. C'est que le travail leur a conféré une fonction et une place dans la hiérarchie humaine. Une réalité naturelle, lorsqu'elle est travaillée et passée au rang d'ustensile perd son injustifiabilité. L'ustensile a une existence de droit pour l'homme qui le considère ; une calèche, dans la rue, une vitrine existent précisément comme Baudelaire souhaiterait exister, elles lui offrent l'image de réalités appelées à l'être par leur fonction et qui sont apparues pour combler un vide, sollicitées par ce vide même qu'elles devaient combler. Si l'homme prend peur au sein de la nature, c'est qu'il se sent pris dans une immense existence amorphe et gratuite qui le transit tout entier de sa gratuité : il n'a plus sa place nulle part, il est posé sur terre, sans but, sans raison d'être comme une bruyère ou une touffe de genêt. Au milieu des villes, au contraire, entouré d'objets précis dont l'existence est déterminée par leur rôle et qui sont tous auréolés d'une valeur ou d'un prix, il se rassure : il lui renvoient le reflet de ce qu'il souhaite être : une réalité justifiée."

Sartre, Baudelaire, 1947.


 

    "Le problème est donc d'adapter la consommation individuelle à une accumulation illimitée de richesse.
    [...] En ce cas, la solution paraît assez simple. Elle consiste à traiter tous les objets d'usage comme des biens de consommation, de sorte que l'on consomme une chaise ou une table aussi vite qu'une robe, et une robe presque aussi vite que de la nourriture. De tels rapports avec les objets du monde correspondent d'ailleurs parfaitement à la manière dont ils sont produits. La révolution industrielle a remplacé l'artisanat par le travail ; il en résulte que les objets du monde moderne sont devenus des produits du travail dont le sort naturel est d'être consommés, au lieu d'être des produits de l'oeuvre, destinés à servir. De même que les outils, bien que tirant leur origine de l'oeuvre, ont toujours été employés aussi dans les processus de travail, de même la division du travail, entièrement ajustée aux processus de travail, est devenue l'une des principales caractéristiques des processus modernes de l'oeuvre, autrement dit de la fabrication, de la production d'objets d'usage. C'est la division du travail plutôt qu'une mécanisation accrue qui a remplacé la spécialisation rigoureuse exigée autrefois dans l'artisanat. On ne fait appel à l'artisanat que pour concevoir et fabriquer des modèles ; l'oeuvre passe ensuite à la production de masse, laquelle dépend aussi des outils et des machines. Mais, en outre, la production de masse serait tout à fait impossible sans le remplacement des artisans et de la spécialisation par les travailleurs et la division du travail. [...]
   Avec le besoin que nous avons de remplacer de plus en plus vite les choses de ce monde qui nous entourent, nous ne pouvons plus nous permettre de les utiliser, de respecter et de préserver leur inhérente durabilité ; il nous faut consommer, dévorer, pour ainsi dire, nos maisons, nos meubles, nos voitures comme s’il s’agissait des « bonnes choses » de la nature qui se gâtent sans profit à moins d’entrer rapidement dans le cycle incessant du métabolisme humain. C’est comme si nous avions renversé les barrières qui protégeaient le monde, l’artifice humain, en le séparant de la nature, du processus biologique qui se poursuit en son sein comme des cycles naturels qui l’environnent, pour l’abandonner, pour leur livrer la stabilité toujours menacée d’un monde humain."

 

 

Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, 1958, Chapitre III, tr. Georges Fradier, Pocket, 1994, p. 174-175.

 


Date de création : 21/03/2006 @ 16:20
Dernière modification : 03/04/2023 @ 07:47
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