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Texte à méditer :   De l'amibe à Einstein, il n'y a qu'un pas.   Karl Popper
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Le but de la science : répondre à la question

  "Ce n'est pas sans quelque dessein que j'appelle du nom de science ce que d'ordinaire on appelle philosophie. Philosopher est le mot sous lequel j'aimerais le mieux à résumer ma vie ; pourtant ce mot n'exprimant dans l'usage vulgaire qu'une forme encore partielle de la vie intérieure, et n'impliquant d'ailleurs que le fait subjectif du penseur solitaire, il faut, quand on se transporte au point de vue de l'humanité, employer le mot plus objectif de savoir. Oui, viendra un jour où l'humanité ne croira plus, mais où elle saura ; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique ; un jour où le gouvernement de l'humanité ne sera plus livré au hasard et à l'intrigue, mais à la discussion rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l'atteindre. Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d'enseigner à l'homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer, avec l'art, la poésie et la vertu, le divin idéal qui seul donne du prix à l'existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs ?"

 

Ernest Renan, L'avenir de la science, 1848, Chapitre V, C. Lévy, 1890, p. 91.



  "Quelle est la valeur de la recherche scientifique ? Chacun sait que de nos jours, plus que jamais, tout homme ou toute femme qui désire apporter une contribution originale à l'avancement de la science doit se spécialiser : c'est-à-dire intensifier son propre effort en vue d'apprendre ce que l'on connaît dans un certain domaine étroit et ensuite essayer d'augmenter l'ensemble de ces connaissances par son propre travail - par des études, des expériences et de la réflexion.
  Lorsqu'on est engagé dans une activité spécialisée de ce genre, il est naturel que l'on s'arrête à certains moments pour s'interroger sur l'utilité de ce que l'on fait.
  Le développement de la science dans un domaine étroit a t-il quelque valeur en lui-même ? La masse totale des résultats obtenus dans les différentes branches d'une seule science - par exemple la physique, ou la chimie, ou la botanique, ou la zoologie - a t-elle quelque valeur en elle-même ? Ou peut-être est-ce l'ensemble des résultats de toutes les sciences qui a une valeur - et quelle est cette valeur ?
  Un grand nombre de personnes, en particulier celles qui n'ont pas un intérêt profond pour la science, sont portées à répondre à cette question en évoquant les conséquences pratiques qu'on entraînées les acquisitions de la science : elles ont transformé la technologie, l'industrie, l'art de l'ingénieur, etc., en fait elles ont modifié de façon radicale, en moins de deux siècles, tout notre mode de vie, et elles permettent d'escompter des changements nouveaux, et même plus rapides pour les années à venir.
  Mais il est peu d'hommes de science qui se déclareront d'accord avec cette conception utilitariste de leur effort. Les questions de valeur sont évidemment les plus délicates; il est presque impossible de présenter, en ce domaine, des arguments irréfutables. Cependant, permettez-moi de vous donner les trois principales raisons au moyen desquelles j'essaierais de m'opposer à cette opinion.
  D'abord, je considère que les sciences de la nature se trouvent largement sur le même plan que les autres types de savoir - ou de Wissenschaft, pour utiliser l'expression allemande - cultivés dans nos universités et dans les autres centres qui travaillent à l'avancement de la connaissance. Voyez ce qu'est l'étude ou la recherche en histoire, en philologie, en philosophie, en géographie, en histoire de l'art - qu'il s'agisse de la musique, de la peinture, de la sculpture ou de l'architecture -, en archéologie ou en préhistoire ; personne ne voudrait attribuer pour but principal à ces activités l'amélioration pratique des conditions de la société humaine, bien qu'elles entraînent très fréquemment des améliorations de ce genre. Je ne puis admettre que la science ait, sous ce rapport, un statut différent.
  D'autre part (et ceci est mon second argument), il y a des sciences de la nature qui n'ont visiblement aucune portée pratique pour la vie de la société humaine : l'astrophysique, la cosmologie et certaines branches de la géophysique. Prenez par exemple la sismologie. Nous connaissons assez sur les tremblements de terre pour savoir qu'il y a très peu de chance de faire des prédictions correctes à leur sujet, au point de pouvoir inviter les habitants des régions menacées à quitter leurs habitations, comme on invite les chalutiers à revenir lorsqu'une tempête approche. [...]
  En troisième lieu, je tiens pour extrêmement douteux que le bonheur de la race humaine ait été augmenté par les développements techniques et industriels qui ont suivi l'éveil et le progrès rapide des sciences. Je ne puis ici entrer dans des détails et je ne veux pas parler du développement futur : l'infection de la surface terrestre par la radioactivité artificielle, avec les conséquences terrifiantes que cela entraînerait pour notre race [...].
  Mais tournons-nous vers des aspects moins obscurs de l'activité humaine. Vous pourriez me demander - vous êtes obligés de me demander maintenant : quelle est donc selon vous, la valeur des sciences de la nature ? Je réponds : leur objet, leur but et leur valeur sont les mêmes que ceux de n'importe quelle autre branche du savoir humain. Bien plus, il faut dire qu'aucune d'elles, prise seule n'a d'objet ou de valeur ; seule l'union de toutes les sciences a un but et une valeur. Et on peut en donner une description très simple : c'est d'obéir au commandement de la divinité de Delphes, "connais-toi toi-même". Ou, pour l'exprimer dans le discours bref et impressionnant de Plotin [1] (Ennéades, VI, 4, 14) : "et nous, qui sommes-nous en définitive ?". Il continue : "Peut-être étions-nous déjà avant que cette création ne vînt à l'existence, êtres humains d'un autre type, ou même quelques espèces de dieux, âmes et esprits purs unis avec la totalité de l'univers, parties d'un monde intelligible, non séparées et retranchées mais unies au tout".
  Je suis né dans un environnement - je ne sais d'où je suis venu ni où je vais ni qui je suis. C'est ma situation comme la vôtre, à chacun d'entre vous. Le fait que chaque homme a toujours été dans cette situation et s'y trouvera toujours ne m'apprend rien. Tout ce que nous pouvons observer nous-mêmes à propos de la brûlante question relative à notre origine et à notre destination, c'est l'environnement présent. C'est pourquoi nous sommes avides de trouver à son sujet tout ce que nous pouvons. Voilà en quoi consiste la science, le savoir, la connaissance, voilà quelle est la véritable source de tout effort spirituel de l'homme. Nous essayons de découvrir tout ce que nous pouvons au sujet du contexte spatial et temporel dans lequel notre naissance nous a situés. Et dans cet effort, nous trouvons de la joie, nous le trouvons extrêmement intéressant. (ne serait-ce pas le but pour lequel nous sommes ici ?)
  Il faut le dire, bien que cela paraisse clair et évident : la connaissance isolée qu'a obtenue un groupe de spécialistes dans un champ étroit n'a en elle-même aucune valeur d'aucune sorte ; elle n'a de valeur que dans la synthèse qui la réunit à tout le reste de la connaissance et seulement dans la mesure où elle contribue réellement, dans cette synthèse, à répondre à la question :
« Qui sommes-nous ? »."
 

Erwin Schrödinger, "Science et humanisme", 1950, in Physique quantique et représentation du monde, tr. J. Ladrière, Points Seuil, 1992, p. 22-25.


[1] Philosophe grec (205-270).



  "La science n'a guère fait jusqu'ici, on doit le reconnaître, que donner à l'homme une conscience plus nette de la tragique étrangeté de sa condi­tion, en l'éveillant pour ainsi dire au cau­chemar où il se débat. On est fondé à souhaiter que, dans l'avenir, elle apprenne à user de sa puissance pour dispenser à l'homme la paix affective, l'aise morale. Il se pourrait, par exemple, que les progrès de la physiologie cérébrale, ou simplement de la psychanalyse, le mettent en mesure de modifier assez profondément les réac­tions psychiques pour que l'individu accepte sans douleur les désharmonies inhérentes à sa condition.
  La science est allée trop loin maintenant pour s'arrêter en chemin, et l'on doit s'at­tendre qu'elle ajoute à sa rude doctrine des méthodes qui prépareraient les âmes à la recevoir. Il ne suffit pas, en effet, qu'elle nous enseigne notre néant, il faut qu'elle 1 nous rende capables de le tolérer. Il ne suffit pas qu'elle nous ôte l'illusion d'une tâche aux suites infinies, il faut qu'elle nous en arrache le besoin. Il ne suffit pas qu'elle nous dépouille du sentiment de notre liberté, il faut qu'elle règle le fonctionne­ment de notre machine de telle sorte que nous nous acceptions pour machine.

  Il se peut qu'une science toute-puissante réussisse, en définitive, à créer ce nouvel homme adapté à l'humain, satisfait de n'être que ce qu'il est, comblé par son des­tin étroit, guéri de tout rêve qui le dépasse. Mais il se pourrait aussi que l'humanité fût, dans son ensemble, incapable de sou­tenir la vérité de la science.
  Vérité ardue, accablante, oppressante...
  Parmi ses zélateurs eux-mêmes, il en est qui ne s'y rendent point sans détresse. Bien sûr, ils ne peuvent faire autrement que d'y rester fidèles, mais il leur arrive d'envier ceux-là qui ne sont pas empêchés, par la forme de leur esprit, d'en concevoir une autre."

 

Jean Rostand, Pensées d’un biologiste, 1954, V, Stock, p. 106-108.

 

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Date de création : 30/05/2006 @ 14:31
Dernière modification : 19/06/2018 @ 13:45
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