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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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Hors des sentiers battus
La science et ses ennemis ; la science contre le sens commun / l'opinon

  "On a dit souvent qu'une hypothèse scientifique qui ne peut se heurter à aucune contradiction n'est pas loin d'être une hypothèse inutile. De même, une expérience qui ne rectifie aucune erreur, qui est platement vraie, sans débat, à quoi sert-elle ? Une expérience scientifique est alors une expérience qui contredit l'expérience commune. D'ailleurs, l'expérience immédiate et usuelle garde toujours une sorte de caractère tautologique, elle se développe dans le règne des mots et des définitions ; elle manque précisément de cette perspective d'erreurs rectifiées qui caractérise, à notre avis, la pensée scientifique. [...]
  Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain : c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation."

 

Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, 1938, Vrin, 1970, p. 10 et p. 14-15.


 

  "La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.
    Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit".

 

Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, 1938, Chapitre premier, §. I, Ed. Vrin, 1967, p. 14.


 

    "La science a ruiné la bonne conscience du sens commun et du bon sens. Ils ne conservent leur crédit que dans les terrains vagues. Elle a contraint les esprits à s'attendre toujours à des surprises dans tous les domaines où le langage et les discours ne font pas tout. Elle déprécie nos images naïves, et jusqu'à notre faculté d'imaginer, qui est dérivée de nos expériences et habitudes corporelles. Elle suggère qu'il se passe une infinité de faits inimaginables, dont les imaginables sont une infime partie toute subordonnée ; elle retire même à l'homme sa notion de savoir : essences, principes, catégories, déductions, ces simulacres de l'ordonnance et de la centralisation absolue d'une connaissance qui veut et prétend prévoir son étendue. Elle conduit à énoncer des propositions insupportables au sens commun, car elles sont extravagantes dans les formes du langage ordinaire, auxquelles ledit sens est étroitement attaché.
    Tout ceci est fort désagréable au bon sens, qui est un sentiment statistique, une attente ou probabilité, fondée sur des expériences confuses ; sur les représentations utilisables ; sur la possibilité ou l'impossibilité d'imaginer ; sur une logique qui ne fait que descendre, et qui tient les prémisses pour assurées. L'évidence n'est que la vision d'une image naïve. Quoi de plus évident qu'il n'y ait point d'antipodes ? Mais quelle image n'est point naïve ?
    L'objection du bon sens est le recul d'un homme devant l'inhumain, car il n'y a que de l'homme, des ancêtres de l'homme, des mesures d'homme ; des puissances et des relations d'hommes dans ce bon sens. Mais la recherche et même les pouvoirs s'éloignent de l'homme. L'humanité s'en tirera comme elle pourra. L'inhumanité a peut-être un bel avenir..."

Paul Valéry, Rhumbs, 1926, in Tel quel, Folio essais, p. 240-241.


 

    "Vers le milieu du XVIIe siècle s'ouvre, dans l'histoire de l'esprit humain, une ère singulièrement féconde. Les traits de la pensée moderne commencent de s'indiquer. Donnant à la raison conscience d'elle-même, le Discours de la Méthode est en voie d'accomplir sa besogne salutaire, et, déjà, se prépare, en quelques esprits dominateurs, cette "crise de la conscience européenne" que Paul Hazard a si puissamment caractérisée.
    Dans le domaine scientifique, notamment, une réaction se dessine un peu partout contre la superstition, le préjugé théologique et le principe d'autorité. L'esprit critique s'éveille, on se libère à la fois d'Aristote et de la Bible. Dépouillant la crédulité aveugle, on écarte l'intervention du surnaturel dans les phénomènes de la nature, on repousse les explications par les forces occultes, on boude à la "physique de la qualité". Et c'est pourquoi l'on combat non seulement la vieille scolastique, mais aussi le jeune naturalisme de la Renaissance qui, s'il refuse le miracle religieux, n'en fait pas moins de la nature une "boîte à miracles". On se propose, en somme, de rationaliser l'univers, et de construire une véritable science des phénomènes indépendante de toute religion et de toute métaphysique. Une telle entreprise exige le recours exclusif à l'observation et à l'expérience, qui désormais seront tenues pour les seules autorités valables".

 

Jean Rostand, Esquisse d'une histoire de la biologie, 1945, Gallimard, collection Idées, p. 9-10.


 

  "La physique moderne étudie en premier lieu le mouvement des corps pesants, c'est‑à‑dire le mouvement des corps qui nous entourent. Aussi, est‑ce de l'effort d'expliquer les faits et les phénomènes de l'expérience journalière ‑ le fait de la chute, l'acte du jet ‑ que procède le mouvement d'idées qui conduit à l'établissement de ses lois fondamentales. Et pourtant il n'en découle ni exclusivement ni même principalement. La physique moderne ne doit pas son origine à la Terre seule. Elle la doit aussi bien aux cieux. Et c'est dans les cieux qu'elle trouve sa perfection et sa fin.
  Ce fait, que la physique moderne prend sa source dans l'étude des problèmes astronomi­ques et maintient ce lien à travers toute son histoire, a un sens profond et implique d'im­portantes conséquences. Il implique notamment l'abandon de la conception médiévale du Cosmos, unité formée d'un Tout, Tout qualitativement déterminé et hiérarchique­ment ordonné, dans lequel les parties différentes qui le composent, à savoir le Ciel et la Terre sont sujettes à des lois différentes ‑ et son remplacement par celle de l'Univers, c'est‑à‑dire d'un ensemble ouvert... de l'Être, uni par l'identité des lois fondamentales qui le gouvernent; il détermine la fusion de la Physique céleste avec la Physique terrestre qui permet à cette dernière d'utiliser et d'appliquer à ses problèmes les méthodes mathé­matiques hypothético‑déductives développée par la première […]

  La physique moderne, celle qui est née avec et dans les oeuvres de Galileo Galilei et s'est achevée dans celles d'Albert Einstein considère la loi d'inertie comme sa loi la plus fondamentale. […]
  Le principe d'inertie est très simple. Il affirme qu'un corps abandonné à lui-même reste dans son état de repos  ou de mouvement aussi longtemps que cet état n'est pas soumis à l'action d'une force extérieure quelconque. En d'autres termes, un corps en repos restera éternellement en repos à moins qu'il ne soit mis en mouvement. Et un corps en mouvement continuera de se mouvoir et se maintiendra dans son mouvement rectiligne uniforme aussi longtemps qu'aucune force ne l'empêchera de le faire.
  Le principe du mouvement d'inertie nous apparaît parfaitement clair, plausible, et même pratiquement évident. Il nous semble tout à fait naturel qu'un corps au repos restera au repos, c'est‑à‑dire restera là où il est ‑ où que ce soit ‑ et n'en bougera pas spontanément pour se mettre ailleurs. Et que, converso modo, une fois mis en mouvement il continuera de se mouvoir et de se mouvoir dans la même direction et avec la même vitesse, parce que, en effet, nous ne voyons pas de raison pour qu'il change l'une ou l'autre. Ceci nous paraît non seulement plausible mais aller de soi. Personne, croyons-­nous, n'a jamais pensé autrement. Pourtant, il n'en est rien. En fait, les caractères d'« évi­dence » et d' « aller de soi » dont jouissent les conceptions que je viens d'évoquer, datent d'hier. Elles les possèdent pour nous, grâce justement à Galilée et à Descartes alors que pour les Grecs, ainsi que pour le Moyen Age, elles auraient semblé manifestement fausses; et même être absurdes. Ce fait ne peut être expliqué que si nous admettons... que toutes ces notions « claires » et « simples » qui forment la base de la science moderne ne sont pas claires et simples per se et in se mais en tant qu'elles font partie d'un certain ensemble de concepts et d'axiomes en dehors duquel elles ne sont pas « simples » du tout.

  Ceci, à son tour, nous permet de comprendre pourquoi la découverte de choses aussi simples et faciles que, par exemple les lois fondamentales du mouvement, qui sont aujourd'hui enseignées aux enfants – et comprises par eux, – a exigé un effort aussi considérable, et un effort qui souvent est resté sans succès, à quelques uns des esprits les plus profonds et les plus puissants de l'humanité : c'est qu'ils n'avaient pas à découvrir ou à établir ces lois simples et évidentes, mais à créer et à construire le cadre même qui rendrait ces découvertes possibles. Ils ont dû, pour commencer, réformer notre intellect lui-même ; lui donner une série de concepts nouveaux ; élaborer une idée nouvelle de la nature, une conception nouvelle de la science, autrement dit une nouvelle philosophie. Or, il nous est presque impossible d'apprécier à leur juste valeur les obstacles qui ont dû être surmontés pour les établir et les difficultés qu'elles impliquent et contiennent : ceci parce que nous connaissons trop bien les concepts et les principes qui forment la base de la science moderne ou, plus exactement, parce que nous y sommes trop habitués.
  Le concept galiléen du mouvement (de même que celui de l'espace) nous paraît tellement naturel que nous croyons même que la loi d'inertie dérive de l'expérience et de l'observa­tion, bien que, de toute évidence, personne n'a jamais pu observer un mouvement d'iner­tie, pour cette simple raison qu'un tel mouvement est entièrement et absolument impossible.
  Nous sommes également tellement habitués à l'utilisation des mathématiques pour l'étude de la nature que nous ne nous rendons plus compte de l'audace de l'assertion de Galilée que « le livre de la nature est écrit en caractères géométriques » pas plus que nous ne sommes conscients du caractère paradoxal de sa décision de traiter la mécanique comme une branche des mathématiques c'est‑à‑dire de substituer au monde réel de l'expérience quotidienne un monde géométrique hypostasié et d'expliquer le réel par l'impossible.
  Dans la science moderne, comme nous le savons bien, l'espace réel est identifié à celui de la géométrie, et le mouvement est considéré comme une translation purement géomé­trique d'un point à un autre. C'est pourquoi le mouvement n'affecte d'aucune façon le corps qui en est doué. […]
  Un corps est en mouvement seulement par rapport à un autre corps que nous supposons être en repos. C'est pourquoi nous pouvons l'attribuer à l'un ou à l'autre des deux corps, ad libitum. Tout mouvement est relatif.
[…]
  Or, ceci étant admis, le mouvement est néanmoins considéré comme un état et le repos comme un autre état, complètement et absolument opposé au premier; de ce fait même, nous devons appliquer une force pour changer l'état de mouvement d'un corps donné en celui de repos et vice versa.
  Il en résulte qu'un corps en état de mouvement persistera éternellement dans ce mouve­ment, comme un corps en repos persiste dans son repos; et qu'il n'y aura plus besoin d'une force ou d'une cause pour le maintenir dans son mouvement uniforme et rectiligne qu'il n'en aura besoin pour le maintenir, immobile, en repos.
  En d'autres termes, le principe d'inertie présuppose : a) la possibilité d'isoler un corps donné de tout son entourage physique..., b) la conception de l'espace qui l'identifie avec l'espace homogène infini de la géométrie euclidienne et c) une conception du mouvement et du repos qui les considère comme des états et les place sur le même niveau ontologique de l'être. C'est à partir de ces prémisses seules qu'il apparaît évident ou même admissible. Aussi n'est‑il pas étonnant que ces conceptions parurent difficiles à admettre, et même à comprendre aux prédécesseurs et contemporains de Galilée; rien d'étonnant à ce que pour ses adversaires aristotéliciens la notion de mouvement compris comme un état relatif, persistant et substantiel parut aussi abstruse et contradictoire […] Le sens commun est – et a toujours été – médiéval et aristotélicien."

 

Alexandre Koyré, "Galilée et la révolution scientifique du XVIIe siècle", 1955, in Études d'histoire de la pensée scientifique, Gallimard, tel, 1985, p. 196-201.



  "Pour un esprit bien rompu aux méthodes scientifiques modernes, la vraie démonstration de la non-existence de la girafe réside dans le fait que la girafe n'existe pas. Ce genre de raisonnement est appelé « la méthode de Lavoisier » : on sait que le fondateur de la chimie avait démontré de cette façon l'inexistence des météorites en déclarant « qu'il ne peut pas tomber des pierres du ciel, parce qu'il n'y a pas de pierres dans le ciel ».
  Dans les temps modernes, cette méthode a été brillamment employée par M. Simon Newcomb qui démontra que les avions ne peuvent pas voler parce qu'un aéronef plus lourd que l'air est impossible et M. Imbert Nergal, qui démontra que les phénomènes parapsychologiques n'existent pas parce qu'il n'y a pas de phénomènes parapsychologiques. D'autres savants ont exercé la même besogne de salubrité, ce qui fait qu'un Américain appelé Charles Fort a pu faire tout un volume, intitulé « Le livre des Damnés », consacré aux faits ainsi expulsés à juste titre du corps de la Science.
  Parmi ces faits damnés, la légende de l'animal appelé « girafe » est particulièrement frappante.
  Le voyageur arabe Al Kwraismi a, pour la première fois, décrit cette bête mythologique au cou extrêmement allongé. Depuis, de nombreux voyageurs ont prétendu avoir vu ou même photographié des girafes. Et la revue Planète n'a pas hésité, pour abuser ses lecteurs trop confiants, à accréditer ce mythe pernicieux, en dépit des mises en garde du grand savant André Parinaud.
  Il est donc intéressant d'examiner comment une telle légende peut avoir pris naissance. Plusieurs explications sont possibles :


1 - L'explication optique :

    On sait que les déserts, où l'on a signalé des girafes, sont également les lieux de nombreux mirages. Ces mirages sont dus au phénomène d'inversion. Ce phénomène consiste en ceci : pour des raisons bien connues des météorologistes, il arrive qu'une couche d'air froid se trouve superposée à une couche d'air chaud qui aurait dû se trouver au dessus de la couche d'air froid. La différence de densité des deux couches d'air produit alors une courbure des rayons de lumière et un mirage. Un objet est alors vu à un endroit où il n'est pas, ou sous une forme modifiée. Très fréquemment l'inversion fait apparaître un objet sous une forme allongée comme les miroirs déformants des foires. Il est donc parfaitement admissible qu'un animal tout à fait ordinaire et bien connu, une licorne par exemple, puisse apparaître à l'explorateur sous une forme invraisemblable et allongée et donner ainsi naissance à la légende de la girafe.

2 - L'explication par la soif :

    Le mirage qui a donné naissance à la girafe peut également être d'une origine purement psychologique. Perdu dans le désert et assoiffé, l'explorateur peut, dans un état de semi-conscience, rêver qu'il a un cou extrêmement long lui permettant d'atteindre l'oasis la plus proche. Quoi de plus naturel que de le voir aussi imaginer un animal impossible qui a justement le cou d'une longueur invraisemblable ?

3 - L'explication psychanalytique :

    Un psychanalyste allemand éminent, Herr Professor Hegebur, dans son ouvrage « Prolégomènes à l'introduction d'une approche de la connaissance de la girafe », fait observer très justement que le long cou de la girafe n'est autre qu'un symbole phallique. C'est là également une explication plausible du mythe de la girafe. On sait que c'est de la même façon qu'on a réfuté la naïve superstition de certains sauvages selon laquelle le suc du champignon penicillium notatum pouvait avoir une action curative sur les maladies. Ce champignon est de toute évidence un symbole phallique. L'existence d'un produit extrait du penicillium notatum appelé « pénicilline » et auquel on attribue des vertus curatives merveilleuses est, bien entendu, pure superstition.

    Nous voyons ainsi que le mythe de la girafe peut parfaitement trouver son explication dans des considérations soit optiques, soit de physiologie, soit de psychanalyse.
La méthode scientifique moderne n'aura pas de difficultés à démentir aussi les autres affirmations saugrenues d'excentriques dans le genre de Charles Fort.
    Il est bien connu qu'il ne peut pas y avoir de faits qui n'aient été déjà décrits dans les nombreux et excellents ouvrages publiés par l'Union Rationaliste (16, rue de l'école Polytechnique). Tout fait non décrit dans ces ouvrages peut certainement être réduit à des illusions ou à des hallucinations collectives.
    Signalons, pour terminer, un fait curieux qui montre à quel point la sagesse populaire rejoint la méthode scientifique. Un fermier américain à qui on avait montré un dessin représentant la prétendue girafe s'est écrié : « Il n'y a pas d'animal comme ça ! » N'est-ce point merveilleux de voir à quel point le gros bon sens populaire rejoint ainsi la rigueur de la méthode scientifique ?"

Jacques Bergier, La girafe n'existe pas: la science contre les mythes, 1965.


    "Aucun grand savant ne peut être qualifié de scientiste. Ils se sont tous montrés sceptiques et prudents à l'égard de la science. Ils savaient que nous savons peu de choses. Par exemple, on ne voit guère comment le reproche de scientisme pourrait s'adresser à Henri Poincaré. Newton qui fut l'un des plus grands hommes et sans doute le plus grand savant de tous les temps se décrivait lui-même comme un petit garçon qui ramassait des pierres et des coquillages sur la plage, presque sans s'apercevoir que s'étendait devant lui un immense domaine inconnu, la mer. Je pense que tous les véritables savants se sont considérés un peu comme Newton : ils savaient que nous ne savions rien, et que même dans le champ déjà labouré par la science, tout demeure incertain. Comme vous le savez tous, la théorie de Newton a été plus ou moins supplantée par celle d'Einstein. C'est ainsi que les choses se passent en science.
    Jusqu'à il y a cent ans environ, on a cru que le domaine de la mécanique découvert par Newton engloberait tout le domaine de la science. Or, en 1890, un domaine nouveau apparut avec la découverte de l'électron par J.J. Thompson : l'électronique. Cela a entraîné une révolution dont presque personne ne s'est rendu compte en dehors du monde scientifique : la révolution de l'électronique dans laquelle nous vivons encore aujourd'hui. Cette révolution a connu différentes phases, sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. Je tiens seulement à rappeler que la science est un ouvrage humain et qu'en tant qu'ouvrage humain elle n'est pas infaillible. Et c'est précisément la conscience de l'imperfection de la science qui distingue le savant du scientiste. En effet, si le scientisme représente quelque chose, c'est la croyance aveugle et dogmatique en la science. Or cette croyance aveugle est étrangère au véritable savant. Et c'est pourquoi le reproche de scientisme s'adresse peut-être à certaines conceptions vulgaires de la science, mais ne peut pas toucher les savants eux-mêmes".

 

Karl Popper, L'avenir est ouvert, 1983, trad. J. Étoré, Champs Flammarion, 1995, p. 58-59.


Date de création : 01/06/2006 @ 13:56
Dernière modification : 24/04/2014 @ 14:42
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