|
|
|
|
|
Raison et vérité |
|
"Il n'y a personne qui ne convienne que tous les hommes sont capables de connaître la vérité ; et les philosophes même les moins éclairés, demeurent d'accord que l'homme participe à une certaine Raison qu'ils ne déterminent pas. C'est pourquoi ils le définissent animal RATIONIS particeps : car il n'y a personne qui ne sache du moins confusément, que la différence essentielle de l'homme consiste dans l'union nécessaire qu'il a avec la Raison universelle, quoiqu'on ne sache pas d'ordinaire quel est celui qui renferme cette raison, et qu'on se mette fort peu en peine de le découvrir. Je vois, par exemple, que deux fois deux font quatre, et qu'il faut préférer son ami à son chien ; et je suis certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu'il y ait une Raison universelle qui m'éclaire, et tout ce qu'il y a d'intelligences. Car si la raison que je consulte, n'était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis : quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent.[...]
Mais si cette Raison n'était pas présente à ceux qui rentrent sans eux-mêmes, et si les païens mêmes n'avaient eu naturellement quelque union avec l'ordre immuable dont nous parlons ; de quel péché ou de quelle désobéissance auraient-ils été coupables, et selon quelle justice Dieu pourrait-il les punir ? Je dis cela parce qu'un prophète m'apprend que Dieu même veut bien prendre les hommes pour juges du différend qu'il a avec son peuple, pourvu qu'ils en jugent selon l'ordre immuable et nécessaire de la justice. Néron a tué sa mère, il est vrai. Mais en quoi a-t-il fait mal ? Il a suivi le mouvement naturel de sa haine. Dieu ne lui a rien prescrit sur cela ; la loi des Juifs n'était pas pour lui. On dira peut-être que la loi naturelle défend de semblables actions, et que cette loi lui était connue. Mais quelle preuve en a-t-on ? Pour moi j'en conviens, parce qu'en effet cela prouve invinciblement qu'il y a un ordre immuable et nécessaire, et que tout esprit a une connaissance de cet ordre d'autant plus claire, qu'il est plus uni à la raison universelle, et qu'il est moins sensible aux impressions de ses sens et de ses passions ; en un mot qu'il est plus raisonnable."
Malebranche, Recherche de la vérité, Xème éclaircissement, 1674, Oeuvres complètes, Paris 1976, tome III, pp. 129-130 et 135-136.
Animal participant à la raison.
"Il est vrai qu'encore la raison conseille qu'on s'attende pour l'ordinaire à voir arriver à l'avenir ce qui est conforme à une longue expérience du passé, mais ce n'est pas pour cela une vérité nécessaire et infaillible, et le succèspeut cesser quand on s'y attend le moins, lorsque les raisons changent qui l'ont maintenu. C'est pourquoi les plus sages ne s'y fient pas tant qu'ils ne tâchent de pénétrer quelque chose de la raison (s'il est possible) de ce fait pour juger quand il faudra faire des exceptions. Car la raison est seule capable d'établir des règles sûres et de suppléer ce qui manque à celles qui ne l'étaient point, en y insérant leurs exceptions ; et de trouver enfin des liaisons certaines dans la force des conséquences nécessaires ce qui donne souvent le moyen de prévoir l'événement sans avoir besoin d'expérimenter les liaisons sensibles des images où les bêtes sont réduites, de sorte que ce qui justifie les principes internes des vérités nécessaires distingue encore l'homme de la bête."
Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain, 1703, Préface.
"Il y a une liaison dans les perceptions des animaux qui a quelque ressemblance avec la raison ; mais elle n'est fondée que dans la mémoire des faits, et nullement dans la connaissance des causes. C'est ainsi qu'un chien fuit le bâton dont il a été frappé parce que la mémoire lui représente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les hommes en tant qu'ils sont empiriques, c'est-à-dire dans les trois quarts de leurs actions, n'agissent que comme des bêtes ; par exemple, on s'attend qu'il fera jour demain parce que l'on a toujours expérimenté ainsi. Il n'y a qu'un astronome qui le prévoie par raison ; et même cette prédiction manquera enfin, quand la cause du jour, qui n'est point éternelle, cessera. Mais le raisonnement véritable dépend des vérités nécessaires ou éternelles ; comme sont celles de la logique, des nombres, de la géométrie, qui font la connexion indubitable des idées et les conséquences immanquables. Les animaux où ces conséquences ne se remarquent point sont appelés bêtes ; mais ceux qui connaissent ces vérités nécessaires sont proprement ceux qu'on appelle animaux raisonnables, et leurs âmes sont appelées Esprits."
Leibniz, Principes de la nature et de la grâce fondés en raison, 1714, GF, 1996, p. 226-227.
Date de création : 01/06/2006 @ 18:46
Dernière modification : 14/07/2012 @ 09:24
Catégorie :
Page lue 7349 fois
Imprimer l'article
|
|
|
|
| |