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Texte à méditer :  

Là où se lève l'aube du bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule.   Vassili Grossman


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Hors des sentiers battus
Etre rationnel

    "Les enfants [...] ne sont doués d'aucune raison avant d'avoir acquis l'usage de la parole ; mais on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d'avoir usage de la raison dans l'avenir. Et la plupart des hommes, encore qu'ils aient assez d'usage du raisonnement pour faire quelque pas dans ce domaine (pour ce qui est, par exemple, de manier les nombres jusqu'à un certain point) n'en font guère d'usage dans la vie courante : dans celle-ci, en effet, ils se gouvernent les uns mieux, les autres plus mal, selon la différence de leurs expériences, la promptitude de leur mémoire, et la façon dont ils se sont inclinés vers des buts différents ; mais surtout selon leur bonne ou mauvaise fortune, et les uns d'après les erreurs des autres. Car pour ce qui est de la science, et de règles de conduite certaines, ils en sont éloignés au point de ne pas savoir ce que c'est. La géométrie, ils l'ont prise pour de la magie. Et pour les autres sciences, ceux à qui on n'en a pas enseigné les commencements, et qu'on n'y a pas fait progresser dans une certaine mesure, de telle sorte qu'ils puissent voir comment elles sont acquises et engendrées, sont sur ce point comme les enfants qui n'ont aucune idée de la génération, et auxquels les femmes font croire que leurs frères et soeurs n'ont pas été enfantés, mais trouvés dans le jardin".
 

Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, Chapitre 5 : De la raison et de la science.

 

1. Dégagez l'idée directrice et les articulations du texte.
2. Expliquez :

a) "on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d'avoir l'usage de la raison dans l'avenir".

b) "la façon dont ils se sont inclinés vers des buts différents"

c) "selon leur bonne ou mauvaise fortune"

3. Essai : l'homme est-il bien, comme on le dit souvent, un animal raisonnable ?


 

  "N'est-ce pas indignement traiter la raison de l'homme que de la mettre en parallèle avec l'instinct des animaux, puisqu'on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l'instinct demeure toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui, et chacune d'elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n'ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu'elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n'ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peur qu'ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu'ils y ajoutent, de peur qu'ils ne passent les limites qu'elle leur a prescrites. Il n'en est pas de même de l'homme, qui n'est produit que pour l'infinité. Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s'instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement."

 

Pascal, Préface au Traité du vide, 1647.


   

  "Comme chaque type de rationalité, [le type de rationalité qui se crée à l'intérieur de la société de cour] découle également de certaines contraintes aboutissant à la maîtrise de l'affectivité de chacun. Une formation sociale à l'intérieur de laquelle on assiste à une transformation relativement fréquente de contraintes extérieures en contraintes internes est un préalable indispensable à la production de formes de comportement dont on tente de cerner les caractères distinctifs par le concept de « rationalité ». Les concepts complémentaires de « rationalité » et d' « irrationalité » se rapportent alors à la part relative que les affects à court terme et les projets à plus long terme prennent dans le comportement réel de l'individu. Plus est grande la part de ceux-ci dans l'équilibre instable introduit entre les réactions affectives immédiates et le traitement des données sur le long terme, plus le comportement est « rationnel ». À condition que le contrôle des réactions affectives n'aille pas trop loin ; car leur pression et leur saturation sont des éléments intégrants de la réalité humaine.

  Mais il y a différents types d'appréhension mentale de la réalité à exercer une influence sur le comportement humain. Ils varient en effet en fonction de la structure de la réalité sociale elle-même. Ainsi, la « rationalité » des hommes de cour se distingue de celle d'hommes appartenant à la bourgeoisie professionnelle. Une étude approfondie mettrait en évidence que la première appartient à un stade évolutif antérieur et qu'elle est une condition sans laquelle la seconde n'est pas possible. Ce que toutes deux ont en commun, c'est la prépondérance des projets à long terme sur les réactions affectives immédiates, dès lors qu'il s'agit de contrôler, dans certains secteurs sociaux, dans certaines situations sociales, au milieu des fluctuations d'équilibre et de tension, son propre comportement. Mais dans le type de contrôle bourgeois-professionnel – étant donné la rationalité propre à ce type – le calcul des gains et pertes de chances monétaires joue un rôle primordial ; dans le type aristocratique c'est le calcul des chances de puissance par le moyen du prestige et du statut. Nous avons vu que les milieux de la cour ont parfois accepté une perte de chances financières pour s'assurer un accroissement de leurs chances de prestige et de statut. Ce qui, pour une mentalité de cour, se présentait comme « rationnel » et « réaliste » était considéré dans la perspective de la bourgeoisie professionnelle comme « irrationnel » et « irréaliste ». Les uns et les autres réglaient leur comportement en fonction des chances de puissance qu'ils espéraient s'assurer, chances que chacun interprétait à sa manière, conformément à la position sociale des individus."

 

Norbert Elias, La Société de cour, 1969, tr. fr. Pierre Kamnitzer et Jeanne Étoré, Flammarion, Champs essais, 1985, p. 81-82.



  "Je voudrais le souligner une nouvelle fois : je pense effectivement qu'il y a des conceptions rationnellement justifiées et des conceptions rationnellement injustifiées en philosophie. J'ai soutenu par exemple dans toute une série d'articles que le dualisme corps-esprit est une conception qui n'est pas raisonnable, et je reste fidèle à cette argumentation. Celle-ci faisait appel à la grande force explicative du monisme qui n'exige pas l'existence de deux substances séparées : j'essayais en même temps de reconnaître ce qu'il y avait de juste dans le dualisme  (par exemple l'idée que l'explication en termes de croyance et de désir ne se laisse pas « réduire » à une explication mécaniste). D'une manière générale, j'ai essayé de rendre compte des intuitions dualistes. Mais le partisan du dualisme peut naturellement rétorquer que ma conception a des conséquences qui vont à rencontre de l'intuition ; et, de même que j'affirme qu'il est plus raisonnable de croire que nous sommes des objets matériels dans un monde physique, il peut affirmer qu'il est plus raisonnable de croire que les événements mentaux ne sont pas identiques à des événements physiques. Il n'y a pas de position neutre, de conception neutre de la rationalité qui permette de dire qui a raison. Même si l'on est neutre dans ce débat – c'est-à-dire même si l'on pense qu'aucun de nous n'a une position plus raisonnable que l'autre. On n'occupe pas non plus, en réalité, une position juste. On ne peut pas vérifier sur la base de critères donnés (criterially), en faisant appel à des normes culturelles, que l'un de nous deux n'a pas la raison de son côté : même s'il y avait une conception dominante dans une culture donnée qui apportât son appui à l'un d'entre nous, cela ne suffirait pas à convaincre l'autre. […]
  Les positivistes, me dira-t-on, ont admis que le principe  de  vérification était  « sans  signification  cognitive » [n'apportait aucune connaissance]. Ils ont affirmé qu'il s'agissait d'une simple proposition (proposal) qui ne pouvait être, en tant que telle, ni vraie ni fausse. Mais ils ont argumenté en faveur de leur proposition et, de ce fait, leurs arguments étaient (inévitablement) disqualifiés. Mon objection tient donc toujours.

  En résumé, ce que les positivistes et Wittgenstein (et peut-être aussi Quine) ont fait a consisté à produire des philosophies qui ne laissent pas de place pour une activité philosophique rationnelle. C'est pour cette raison que ces conceptions se réfutent elles-mêmes ; et l'objection en apparence trop simple qui fait l'objet de mon exposé repose en réalité sur un argument très important du type que les philosophes appellent un argument transcendantal : discuter de la nature de la rationalité est une activité qui présuppose une notion de justification rationnelle plus large que la notion positiviste et, en fait, plus large que la rationalité qui s'incarne dans des critères institutionnels."

 

Hilary Putnam, Realism and Reason, 1977, tr. fr. J. Lacoste, Vol. 3, Cambridge University Press, 1983, p. 190.



  "Bien que je pense que nous devons, en règle générale, laisser les notions évaluatives hors du champ de nos recherches philosophiques et scientifiques […] la notion de valeur est absolument cruciale pour l'idée de rationalité, ou d'être rationnel. Nous pouvons caractériser ce que c'est qu'être rationnel de nombreuses manières. Il se peut que certaines de ces caractérisations s'avèrent équivalentes en un certain sens : il peut se trouver qu'elles s'appliquent exactement aux mêmes cas. Néanmoins, il se peut, aussi que, bien qu'elles soient équivalentes, l'une d'entre elles soit particulièrement féconde d'un point de vue théorético-déductif. Je soupçonne très fortement que l'idée la plus féconde est celle selon laquelle une créature rationnelle est une créature qui évalue, et que les autres caractérisations possibles pourraient s'avérer équivalentes à celle-ci, bien qu'en un sens moins déterminant. Toutes les tentatives naturalistes pour caractériser la rationalité sont vouées à l'échec. Je ne sais si cela en est une conséquence,  mais je crois en tout état de cause que c'est vrai : la valeur est là depuis le départ ; il est impossible de la déloger."

 

Paul Grice,"Retour sur la signification", 1982, tr. fr. Fabrice Pataut, in Philosophie du langage, II, Sens, usage et contexte, Vrin, 2011, p. 320-321.

 


Date de création : 01/06/2006 @ 18:48
Dernière modification : 08/01/2024 @ 10:29
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