"Nous n'allons jamais des faits aux lois, mais toujours des lois aux faits. Nous pensons lois parce que nous pensons. L'exemple le plus remarquable est dans le mouvement, par quoi nous pensons a priori n'importe quel changement. Et je demande comment nous ferions pour penser un mouvement sans loi, alors que le mouvement est par lui-même une loi (comme la ligne droite est par elle-même une loi) [...]. Se représenter les mouvements du ciel, c'est penser les lois du ciel. L'attraction ne fait qu'énoncer la liaison réciproque de tous les mouvements célestes ; et cela est d'abord une loi. La chute d'un corps est une loi, car un mouvement n'importe comment ne sera point une chute. S'il est rectiligne, c'est une loi ; accéléré de même - uniforme, de même. [...] Il y a des lois aussi dans les nombres. Il n'y a de nombres que par les lois des nombres. Toujours après 12 on trouvera 13 et 13 aura toujours les mêmes propriétés, d'être premier, etc. Nous ne comptons que par lois. En cet exemple on comprend même le pourquoi de la loi, car l'opération qui forme 13 (12 + 1) nous est connue ; elle ne peut être autre. Kant disait que l'entendement est par lui-même une législation de la nature."
Alain, Éléments de philosophie, 1916, Livre II, Chapitre 11 : "Le Fait", Note sur l'induction.
" […] d'un point de vue heuristique, il peut être utile de se souvenir de ce que l'on observe vraiment. Mais, sur le plan des principes, il est tout à fait erroné de vouloir baser une théorie uniquement sur des grandeurs observables. Car, en réalité, les choses se passent exactement de façon opposée. C'est seulement la théorie qui décide de ce qui peut être observé. Voyez-vous, l'observation est en général un processus très compliqué. Le phénomène que l'on veut observer provoque certaines réactions à l'intérieur de notre appareillage de mesure. À la suite de cela, d'autres processus viennent se dérouler dans cet appareillage ; par certains détours, ces processus finissent par provoquer l'impression sensorielle et la fixation de l'événement dans notre conscience. Tout le long de ce chemin, qui va du phénomène à la fixation dans notre conscience, nous devons savoir comment fonctionne la nature, nous devons connaître – au moins sur le plan pratique – les lois de la nature, dès lors que nous voulons pouvoir affirmer que nous avons observé quelque chose. C'est seulement la théorie, c'est-à-dire la connaissance des lois naturelles, qui nous permet donc de déduire, à partir de l'impression sensorielle, le phénomène qui se trouve à la base de notre observation. Par conséquent, lorsque l'on affirme que l'on peut observer quelque chose, il faudrait dire de façon plus précise : Bien que nous ayons l'intention de formuler de nouvelles lois naturelles qui ne concordent pas avec les anciennes, nous présumons tout de même que les lois antérieures fonctionnent, le long du chemin qui va du phénomène à observer à notre conscience, de façon suffisamment précise pour que nous puissions leur faire confiance et par conséquent affirmer que nous avons fait des observations. Par exemple, en théorie de la relativité, on admet que, même dans un système de référence en mouvement, les rayons de lumière qui vont de l'horloge à l'œil de l'observateur se comportent, de façon assez précise, comme cela avait été prévu dans la physique antérieure. Et de même, en ce qui concerne votre théorie [la théorie nouvelle de la mécanique quantique, développée notamment par Werner Heisenberg auquel s'adresse Einstein], vous admettez implicitement que tout le mécanisme du rayonnement de lumière, depuis l'atome oscillant jusqu'au spectroscope ou jusqu'à l'œil humain, fonctionne exactement comme on l'a toujours supposé, c'est-à-dire essentiellement selon les lois de Maxwell. Si cela n'était pas le cas, vous ne pourriez plus observer les grandeurs que vous appelez observables.Votre affirmation selon laquelle vous n'introduisez que des grandeurs observables se ramène donc en réalité à une hypothèse concernant une certaine propriété de la théorie que vous essayez de formuler. Vous supposez que votre théorie laisse intacte la description antérieure des processus de rayonnement dans ses aspects essentiels. Il est possible que vous ayez raison, mais cela n'est nullement certain."
Einstein, cité par Heisenberg, La Partie et le tout, Chapitre V, 1925-1926, Champs Flammarion, 1990, p. 94.
"Quiconque regarde ces faits sans préjugé approuvera, je crois, la conclusion qu'une expérience sensible unique n'exclut jamais à strictement parler un énoncé portant sur un objet matériel, au sens où la négation de p exclut p. Cela signifie qu'aucun énoncé de sense-datum s ne peut jamais entrer en conflit logique aigu avec un énoncé portant sur un objet matériel p. Autrement dit, p.~s ne représente jamais une contradiction au sens où cela est le cas pour p.~p. À la lumière de cette remarque, il ne nous est plus possible d'adhérer à l'idée que p implique s. Comment faudrait-il alors que nous formulions la « méthode de vérification » – c'est-à-dire la connexion entre une proposition p et les énoncés s1, s2…sn qui servent à l'établir ? Je propose de dire que les énoncés de données s1, s2…sn soutiennent la proposition p ou la mettent en doute, qu'elles la renforcent ou l'affaiblissent, ce qui ne signifie pas qu'elles la prouvent ou l'infirment strictement.
Il y a une analogie frappante avec cela dans la relation entre une loi de la nature L et certains énoncés d'observation s1, s2…sn, analogie qui peut nous aider à clarifier la situation. On dit souvent que les énoncés d'observation découlent de la loi (celle-ci étant considérée comme une sorte de prémisse universelle). Puisque l'on peut dériver d'une loi un nombre illimité de conséquences, l'idéal de vérification complète est bien sûr inatteignable, alors qu'il semble au contraire qu'une seule contre-observation suffise à renverser la loi. Cela aurait pour conséquence que bien qu'une loi ne puisse pas être strictement vérifiée, elle pourrait être strictement réfutée, ou qu'elle ne puisse être décidée que dans un sens. Mais cela n'est pas réaliste. Quel astronome abandonnerait les lois de Kepler sur la force d'une seule observation ? En fait, si on décelait une anomalie dans le comportement d'une planète, on essaierait d'abord d'expliquer le phénomène par les moyens les plus variés (par exemple par la présence de masses pesantes inconnues, de frottements avec des gaz raréfiés, etc.). c'est seulement si l'édifice d'hypothèses ainsi érigé est trop peu étayé par l'expérience, s'il devient trop complexe et artificiel, s'il ne satisfait plus notre exigence de simplicité, ou si, à nouveau, une meilleure hypothèse se présente à nous, comme la théorie d'Einstein, que nous nous résoudrions à abandonner ces lois. Et même dans ce cas, la réfutation ne serait pas définitivement valide : il pourrait toujours s'avérer qu'une certaine circonstance ait échappé à notre attention, et qu'une fois prise en considération, elle jette une lumière différente sur l'ensemble. L'histoire des sciences présente effectivement des cas (Olaf Römer, Le Verrier) où l'échec apparent d'une théorie s'est transformé par la suite en victoire totale. Qui peut dire qu'une telle situation ne se reproduira pas ?"
Friedrich Waismann, "La vérifiabilité", 1930, Delphine Chapuis-Schmitz et Sandra Laugier, in S. Laugier et P. Wagner (dir.), Philosophie des sciences. Théories expériences et méthodes, Vrin, 2004, p. 336-337.
"Les données expérimentales n'ont un sens déterminé qu'à l'intérieur d'une théorie qu'on présuppose en les interprétant. D'une manière générale, ce ne sont ni les assertions théoriques isolées, ni les généralisations purement empiriques (qui, d'ailleurs impliquent toujours bon nombre d'éléments théoriques), qui sont vrais ou faux, mais uniquement les systèmes physiques complets, où les faits ne figurent comme des faits physiques qu'en tant qu'interprétés du point de vue des théories admises, et où les théories ne sont des théories physiques qu'en tant qu'appliquées aux faits observés. Quand on dit qu'un fait contredit une théorie, cela signifie que ce fait, interprété du point de vue de cette théorie, ne peut pas, sans contradiction, être ajouté à l'ensemble des autres faits, interprétés du même point de vue. Dans ce cas il faut chercher une nouvelle théorie, qui permettra de constituer un système cohérent, englobant tous les faits connus, le fait nouveau y compris, tout ces faits pouvant, d'ailleurs, obtenir une signification qui diffère essentiellement de celle qu'ils avaient à l'intérieur de la théorie ancienne. Cette nouvelle théorie sera dite vraie jusqu'à ce qu'un nouveau fait vienne la « contredire », et ainsi de suite. Mais là encore on ne peut pas dire qu'elle est absolument vraie. Rien ne prouve en effet qu'il soit impossible que plusieurs théories rendent également bien compte du même ensemble de faits expérimentaux. Dans ce cas nous aurons plusieurs systèmes physiques « isomorphes », également cohérents et complets, de valeur explicative égale, et, par conséquent, tous également « vrais » du point de vue physique, qui peuvent néanmoins diverger sur beaucoup de points importants, s'exclure mutuellement en tant que systèmes, et correspondre ainsi à des « mondes » essentiellement différents. Pour pouvoir choisir entre ces systèmes et leurs « mondes » correspondants, nous ne pourrons pas nous servir de critères physiques, c'est-à-dire expérimentaux, de sorte que notre choix devra dépendre de raisons extra-physiques, par exemple mathématico-esthétique (simplicité, élégance, etc.) ou « philosophiques » (concordances avec les autres régions ontologiques, conformité aux principes dits « a priori », etc.)." particulière donnée, et leur sens et leur portée varient en fonction de la
Alexandre Kojève, L'Idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne, 1932, Livre de Poche, 1990, p. 293-295.
"On ne peut décider, a priori, si une question a ou non un sens physique. Il faut, pour cela, se placer dans la perspective d'une théorie donnée. Les diverses théories physiques diffèrent, en effet, précisément en ce que, suivant l'une d'elles, une grandeur est observable, en principe, alors que, suivant l'autre, il n'en est pas ainsi. La vitesse absolue de la terre est observable, en principe, d'après les théories de Fresnel et de Lorentz qui admettent un éther en repos absolu ; cette même vitesse ne l'est pas d'après la théorie relativiste. D'après la mécanique newtonienne, l'accélération absolue d'un corps est observable en principe ; ce qui ne peut être d'après la théorie relativiste. De même le problème de la réalisation du mouvement perpétuel avait un sens physique avant l'introduction dans la science du principe de la conservation de l'énergie. L'étude de la nature des théories, prises en elles-mêmes, ne suffit d'ailleurs pas pour permettre d'opter entre ces contradictoires, cela appartient à l'expérience seule."
Max Planck, Initiations à la physique, 1934, Chapitre VIII, § 4, tr. fr. J. du Plessis de Grenédan, Champs Flammarion, 1993, p. 193.
"Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l'immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique."
Gaston Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, 1934, PUF, 1966, p. 12.
"L'exigence empiriste qui ramène tout à l'expérience, exigence si nette encore au siècle dernier, a perdu sa primauté, en ce sens que la force de la découverte est presque entièrement passée à la théorie mathématique. Jadis, la philosophie générale de l'expérience en physique eût été assez bien exprimée par cette formule de Paul Valéry : il faut, dit le poêle, tout à la gloire de la vision, « réduire ce qui se voit à ce qui se voit ».
Nous dirions maintenant, si nous voulions traduire la véritable tâche de la microphysique : il faut réduire ce qui ne se voit pas à ce qui ne se voit pas, en passant par l'expérience visible. Notre intuition intellectuelle a désormais le pas sur l'intuition sensible. Notre domaine de vérification matérielle ne fournit guère qu'une épreuve surnuméraire pour ceux qui n'ont pas la foi rationnelle. Peu à peu, c'est la cohérence rationnelle qui en vient à supplanter en force de conviction la cohésion de l'expérience usuelle. La microphysique est non plus une hypothèse entre deux expériences, mais bien plutôt une expérience entre deux théorèmes. Elle commence par une pensée, elle s'achève en un problème."
Gaston Bachelard, "Noumène et microphysique", Études I, Vrin, 1970, p. 16.
"Nous pouvons si nous le voulons distinguer quatre étapes différentes au cours desquelles pourrait être réalisée la mise à l'épreuve d'une théorie. Il y a, tout d'abord, la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système. En deuxième lieu s'effectue la recherche de la forme logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests. Enfin, la théorie est mise à l'épreuve en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées.
Le but de cette dernière espèce de test est de découvrir jusqu'à quel point les conséquences nouvelles de la théorie quelle que puisse être la nouveauté de ses assertions font face aux exigences de la pratique, surgies d'expérimentations purement scientifiques ou d'applications techniques concrètes. Ici, encore, la procédure consistant à mettre à l'épreuve est déductive. A l'aide d'autres énoncés préalablement acceptés, l'on déduit de la théorie certains énoncés singuliers que nous pouvons appeler « prédictions » et en particulier des prévisions que nous pouvons facilement contrôler ou réaliser. Parmi ces énoncés l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec elle. Nous essayons ensuite de prendre une décision en faveur (ou à l'encontre) de ces énoncés déduits en les comparant aux résultats des applications pratiques et des expérimentations.
Si cette décision est positive, c'est-à-dire si les conclusions singulières se révèlent acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi son test : nous n'avons pas trouvé de raisons de l'écarter. Mais si la décision est négative ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont été falsifiées, cette falsification falsifie également la théorie dont elle était logiquement déduite. Il faudrait noter ici qu'une décision ne peut soutenir la théorie que pour un temps car des décisions négatives peuvent toujours l'éliminer ultérieurement. Tant qu'une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que cette théorie a « fait ses preuves » ou qu'elle est « corroborée »."
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, 1934, tr. fr. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1973, p. 29-30.
"Toutes ces considérations sont importantes pour la théorie épistémologique de l'expérimentation. Le théoricien pose certaines questions déterminées à l'expérimentateur et ce dernier essaie, par ses expériences, d'obtenir une réponse décisive à ces questionnements et non à d'autres. Il essaie obstinément d'éliminer toutes les autres questions. [...] Il rend donc son test « ... aussi sensible que possible » [1] eu égard à cette question précise « mais aussi insensible que possible eu égard à toutes les autres questions qui y sont associées. Une partie de son travail consiste à se prémunir contre toutes les sources possibles d'erreur ». Mais il est faux de supposer que l'expérimentateur procède de cette manière « afin d'éclaircir la tâche du théoricien » ou peut-être pour lui fournir une base des généralisations inductives. Au contraire, c'est bien avant l'expérience que le théoricien doit avoir fait son travail ou du moins ce qui en constitue la part la plus importante : il doit avoir formulé sa question avec autant de précision que possible. Aussi est-ce lui qui montre la voie à l'expérimentateur. Mais ce dernier lui-même n'a pas pour tâche principale de faire des observations précises ; son travail à lui aussi est pour une large part d'espèce théorique. La théorie commande le travail expérimental de sa conception aux derniers maniements en laboratoire."
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, 1934, tr. fr. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1973, p. 107.
[1] Ces citations sont tirées d'un ouvrage de H. Weyl, Philosophie der Mathematik und Naturwissenchaften (1927).
"Il apparaissait donc nécessaire de pouvoir disposer d'un autre critère de démarcation. Et j'ai proposé […] de prendre pour critère en la matière la possibilité, pour un système théorique, d'être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, que je continue toujours de défendre, un système doit être tenu pour scientifique seulement s'il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c'est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c'est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation.
Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l'angle de leur aptitude à être examinées de manière critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d'y résister. La théorie de Newton, par exemple, prédisait certains écarts par rapport aux lois de Kepler (en raison des interactions entre planètes), alors que ceux-ci n'avaient pas été observés. Elle s'exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l'échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n'est que lorsqu'une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d'efforts qu'on pourra affirmer qu'elle se trouve confirmée ou corroborée par l'expérience."
Karl Popper, Conjectures et réfutations, 1953, tr. fr. M.-I. et M. B. de Launay, Payot, 1994, p. 377-378.
"La totalité de ce qu'il est convenu d'appeler notre savoir ou nos croyances, des faits les plus anecdotiques de l'histoire et de la géographie aux lois les plus profondes de la physique atomique, ou même des mathématiques pures et de la logique, est une étoffe tissée par l'homme, et dont le contact avec l'expérience ne se fait qu'en bordure. Ou encore, pour changer d'image, la science totale est comparable à un champ de forces, dont les conditions limites seraient l'expérience. Si un conflit avec l'expérience intervient à la périphérie, des réajustements s'opèrent à l'intérieur du champ. Il faut alors redistribuer les valeurs de vérité entre certains de nos énoncés. La réévaluation de certains énoncés entraîne la réévaluation de certains autres, à cause de leurs liaisons logiques - quant aux lois logiques elles-mêmes, elles ne sont à leur tour que des énoncés de plus dans le système, des éléments plus éloignés dans le champ. Lorsqu'on a réévalué un énoncé, on doit en réévaluer d'autres, qui peuvent être soit des énoncés qui lui sont logiquement liés, soit les énoncés de liaison logique eux-mêmes. Mais le champ total est tellement sous-déterminé par ses conditions limites, à savoir l'expérience, qu'on a toute latitude pour choisir les énoncés qu'on veut réévalue, au cas où interviendrait une seule expérience contraire. Aucune expérience particulière n'est, en tant que telle, liée à un énoncé particulier à l'intérieur du champ, si ce n'est indirectement, à travers des considérations d'équilibre concernant le champ pris comme un tout.
Si cette conception est juste, il est alors fourvoyant de parler du contenu empirique d'un énoncé individuel - en particulier, s'il s'agit d'un énoncé un tant soit peu éloigné de la périphérie sensorielle du champ. En outre, il devient aberrant de recherche une frontière entre les énoncés synthétiques qui reposent sur l'expérience de façon contingente, et les énoncés analytiques qui valent en toutes circonstances. On peut toujours maintenir la vérité de n'importe quel énoncé, quelles que soient les circonstances. Il suffit d'effectuer des réajustements radicaux dans d'autres régions du système. On peut même, en cas d'expérience récalcitrante, préserver la vérité d'un énoncé situé tout près de la périphérie, en alléguant une hallucination, ou en modifiant certains des énoncés qu'on appelle lois logiques. Réciproquement, et du même coup, aucun énoncé n'est à tout jamais à l'abri de la révision."
Quine, "Deux dogmes de l'empirisme", 1951, Quine d'un point de vue logique : neuf essais logico- philosophiques, VRIN, 2004, p. 76-77.
"Ce qui est principalement en jeu ici, c'est la relation entre observation et théorie. Je crois que la théorie - tout au moins, une sorte de théorie rudimentaire, ou d'attente - vient toujours en premier ; qu'elle précède toujours l'observation ; et que le rôle fondamental des observations et des tests expérimentaux est de montrer que certaines de nos théories sont fausses, et de nous inciter ainsi à en produire de meilleures.
J'affirme en conséquence, que ce n'est pas des observations que nous partons, mais toujours des problèmes - , soit de problèmes pratiques, soit d'une théorie qui a rencontré des difficultés. C'est seulement une fois confrontés à un problème que nous pouvons commencer à y travailler. Nous pouvons nous y attaquer en deux temps : tout d'abord en essayant méthodiquement de proposer, à titre d'hypothèse ou de conjecture, une solution à notre problème ; et ensuite en essayant de critiquer notre hypothèse, qui a généralement quelque faiblesse. Il arrive parfois qu'une supposition ou une conjecture résiste pour un temps à notre critique et à nos tests expérimentaux. Mais, en règle générale, nous nous apercevons bientôt, ou que nos conjectures peuvent être réfutées, ou qu'elles ne résolvent pas notre problème, ou qu'elles ne le résolvent que partiellement ; et nous nous apercevons que même les meilleurs solutions - celles qui s'avèrent capables de résister à la critique la plus rigoureuse des esprits les plus brillants et les plus inventifs - soulèvent aussitôt de nouvelles difficultés, de nouveaux problèmes. Nos pouvons donc dire que le développement de la connaissance consiste à passer des problèmes anciens à des problèmes nouveaux, au moyen de conjectures et de réfutations".
Karl Popper, "L'évolution et l'arbre de la connaissance", tr. fr. Jean-Jacques Rosat, in La Connaissance objective, Champs Flammarion, 1998, p. 387-388.
"Car quelle est la signification d'un "fait scientifique" ? Il est évident qu'un tel fait ne se donne pas dans une observation faite au hasard ou dans une simple accumulation de données sensibles. Les faits de science impliquent toujours un élément théorique, c'est-à-dire symbolique. Bien des faits scientifiques qui ont changé le cours de l'histoire de la science, peut-être même la plupart, ont été des faits hypothétiques avant de devenir des faits observables. Quand Galilée fonda la science nouvelle de la dynamique, il dut partir de l'idée d'un corps entièrement isolé, ne se déplaçant sous l'influence d'aucune force extérieure. Un tel corps n'avait jamais été observé et ne pouvait l'être. Ce n'était pas un corps réel mais un corps possible - et, en un sens, il n'était même pas possible, car la condition sur quoi Galilée fondait sa conclusion, l'absence de toute force extérieure, n'est jamais réalisée dans la nature. On a souligné avec raison que toutes les conceptions qui ont permis la découverte du principe d'inertie ne sont en rien évidentes ou naturelles ; qu'aux Grecs comme aux gens du Moyen Âge, elles auraient paru manifestement fausses et même absurdes. Néanmoins, sans l'aide de ces conceptions imaginaires, Galilée n'aurait pu proposer sa théorie du mouvement ; il n'aurait pu non plus élaborer "une nouvelle science traitant d'un sujet très ancien". Et on pourrait en dire autant de presque toutes les autres grandes théories scientifiques. Elles se présentaient d'abord, invariablement, comme de grands paradoxes et il fallait un courage intellectuel peu commun pour les proposer et les défendre".
Ernst Cassirer, Essai sur l'homme, 1944, Chapitre 5 : Faits et idéaux, Éditions de Minuit, 2003, p. 88-89.
"[…] il suffit de se rappeler que les rapports d'observations, les résultats expérimentaux, les propositions « factuelles », ou bien contiennent des hypothèses théoriques, ou bien les affirment par la manière dont ils sont utilisés. C'est ainsi que l'habitude que nous avons de dire : « Cette table est blanche », quand nous la voyons dans des circonstances normales, nos sens étant en bon état, mais aussi de dire : « Cette table semble blanche », quand la lumière est faible, ou quand nous ne nous sentons pas sûrs de nos capacités d'observation, cette habitude exprime notre sentiment qu'il y a des circonstances familières dans lesquelles nos sens sont capables de voir le monde « tel qu'il est réellement », et qu'il y a d'autres circonstances, tout aussi familières, où nos sens nous trompent. Cette habitude exprime le sentiment que quelques-unes de nos impressions sensorielles sont véridiques tandis que d'autres ne le sont pas. Nous tenons aussi comme allant de soi l'idée que le médium tangible entre l'objet et nous ne produit aucune distorsion et que l'entité physique qui établit le contact - la lumière - transmet une image vraie. Ce sont là des présomptions abstraites et hautement discutables, qui forment notre vision du monde sans être accessibles à une critique directe. Généralement, nous ne sommes même pas conscients de leur existence, et nous ne reconnaissons leurs effets que lorsque nous nous trouvons devant une cosmologie tout à fait différente : les préjugés sont mis en évidence par contraste et non par analyse. Le matériel dont dispose le scientifique, avec ses théories les plus raffinées, et ses techniques les plus sophistiquées, est structuré exactement de la même manière. Il contient lui aussi des principes ignorés, qui, s'ils étaient connus, seraient extrêmement difficiles à vérifier."
Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975, tr. fr. Baudouin Jourdant et Agnès Schlumberger, Points Sciences, 1988, p. 28-29.
"[…] apprendre n'est pas aller de l'observation à la théorie, mais comporte toujours les deux éléments. L'expérience surgit en même temps que les suppositions théoriques, et non avant elles ; et une expérience sans théorie est tout aussi incompréhensible (fait-on remarquer) qu'une théorie sans expérience : si on élimine une partie de la connaissance théorique d'un sujet sensible, on aura une personne complètement désorientée et incapable d'accomplir l'action la plus simple. Si on élimine encore d'autres de ses connaissances, son monde sensoriel (son « langage d'observation ») commencera à se désintégrer, les couleurs et d'autres sensations simples disparaîtront, jusqu'à ce que le sujet atteigne un stade encore plus primitif que celui d'un enfant. Un enfant, d'autre part, ne possède pas un monde perceptif stable dont il se sert pour donner une signification aux théories devant lesquelles on le place. Tout au contraire, il traverse différents stades perceptifs qui n'ont entre eux que des liens très lâches (les stades antérieurs disparaissant quand de nouveaux stades prennent le relais) et qui enveloppent tout le savoir théorique disponible à ce moment-là. Plus encore, tout le processus ne commence que parce que l'enfant réagit correctement à des signaux, qu'il les interprète correctement ; en somme parce qu'il possède des moyens d'interprétation avant même d'avoir fait l'expérience de sa première sensation claire.
Toutes ces découvertes réclament une nouvelle terminologie qui ne sépare plus des éléments intimement liés dans le développement à la fois de l'individu et de la science en général. Cependant, la distinction entre observation et théorie est encore maintenue et reste défendue par presque tous les philosophes de la science. […] que la distinction théorie/expérience ait maintenant cessé d'être pertinente est une inférence qui demeure soit négligée, soit explicitement rejetée. Allons donc plus loin, et abandonnons cette dernière trace du dogmatisme dans les sciences."
Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975, tr. fr. Baudouin Jourdant et Agnès Schlumberger, Points Sciences, 1988, p. 183-185.
"Pour mesurer le temps — puisqu'on ne peut pas le faire directement — il est indispensable de faire usage d'un phénomène qui l'incarne d'une manière appropriée ; ce qui veut dire, soit d'un processus qui se déroule d'une façon uniforme (vitesse constante), soit d'un phénomène qui, tout en n'étant pas uniforme en lui-même, se reproduit périodiquement dans son identité (répétition isochrone). C'est vers la première solution que s'est orienté Ctésibios en maintenant constant le niveau de l'eau dans un des récipients de sa clepsydre, d'où, de ce fait, elle s'écoulait dans l'autre avec une vitesse constante ; c'est vers la seconde que s'est orienté Galilée (et Huygens) en découvrant dans les oscillations du pendule un phénomène qui se reproduit éternellement. [...]
Ce n'est pas en regardant se balancer le grand candélabre de la cathédrale de Pise que Galilée a découvert l'isochronisme du pendule, c'est en étudiant mathématiquement, à partir des lois du mouvement accéléré qu'il avait établies par une déduction rationnelle, la chute des corps graves le long des cordes d'un cercle placé verticalement. Or, c'est alors seulement, c'est-à-dire après la déduction théorique, qu'il a pu songer à une vérification expérimentale (dont le but n'était aucunement de confirmer celle-ci, mais de trouver comment cette chute se réalise in rerum natura, c'est-à-dire comment se comportent les pendules réels et matériels qui oscillent non pas dans l'espace pur de la physique mais sur la terre et dans l'air) et, l'expérience réussie, essayer de construire l'instrument qui permettrait d'utiliser en pratique la propriété mécanique issue du mouvement pendulaire."
Alexandre Koyré, "Du monde de l' « à-peu-près » à l'univers de la précision",in Études d'histoire de la pensée philosophique, Gallimard Tel, 1977, p. 360-361.
"L'expérimentation à elle seule est incapable de découvrir la (ou les) causes d'un phénomène. Dans tous les cas, il faut prolonger le réel par l'imaginaire, et éprouver ensuite ce halo d'imaginaire qui complète le réel. Ce saut dans l'imaginaire est fondamentalement une opération « mentale », un Gedankenexperiment, et aucun appareil ne peut y suppléer. Claude Bernard, fort lucidement, avait bien vu cet aspect, et dans son schéma : Observation-ldée-Expérimentation, le processus psychologique créant l'idée est laissé dans une totale obscurité, mais il insiste sur sa nécessité (contre Bacon qui prétendait que l'expérience répétée pouvait fournir — par induction — l'idée de la loi). Autrement dit, l'expérimentation, pour être scientifiquement significative, ne dispense pas de penser. [...]
Il est sans doute exact que certains des plus brillants résultats expérimentaux de notre siècle ont été l'effet d'erreurs, d'actes manqués, voire de simples hasards, comme la contamination accidentelle de colonies bactériennes par le Penicillium notatum. Mais on serait bien en peine de justifier socialement le maintien du formidable appareil expérimental qui caractérise notre époque par le bricolage ou l'erreur féconde, et en tout cas ces arguments seraient difficilement compatibles avec l'expression « méthode expérimentale ». [...] Concluons : l'expérience est guidée soit par un besoin technologique immédiat (par exemple : tester les propriétés de tel ou tel matériau sous telle ou telle condition) ou par une hypothèse, fruit d'une expérience mentale (Gedankenexperiment) qui la précède et dont on veut éprouver l'adéquation au réel. C'est dire que toute expérience est réponse à une question, et si la question est stupide, il y a peu de chances que la réponse le soit moins."
René Thom, La Philosophie des sciences aujourd'hui, Paris, Ed. Bordas Gauthier-Villars, 1986, p. 12-17.
"Les inductivistes considèrent comme fondement sûr des lois et théories constituant la science les énoncés d'observation communément admis et non les expériences personnelles, subjectives des observateurs pris individuellement. Il est clair que les observations faites par Darwin lors de son voyage sur le Beagle seraient restées sans conséquences pour la science si elles n'étaient sorties de la sphère de l'expérience personnelle de Darwin. Elles ont acquis une valeur scientifique à partir du moment où elles ont été formulées et communiquées comme énoncés d'observation, offerts en pâture à d'autres savants, pour les utiliser et les critiquer. L'inductivisme exige la production d'énoncés d'observation à partir d'énoncés singuliers au moyen de l'induction. Les raisonnement, inductif aussi bien que déductif, contiennent les relations entre différentes séries d'énoncés et non pas des relations entre énoncés d'une part et expériences de perception de l'autre.
Nous pouvons supposer qu'il y a des expériences de perception directement accessibles à l'observateur, ce que ne sont pas les énoncés d'observation. Ces derniers sont des entités partagées, formulées dans un langage commun, et qui contiennent des théories de divers degrés de généralité et de sophistication. Une fois que l'on a admis que les énoncés d'observation constituent le fondement sur lequel repose la science, on s'aperçoit que, contrairement aux affirmations inductivistes, ils doivent être précédés par une théorie, et reviennent par là même aussi faillibles que la théorie qu'ils présupposent.
Les énoncés d'observation doivent être formulés dans le langage d'une théorie, aussi vague soit-elle : « Prenez garde, le vent pousse le landau du bébé vers le bord de la falaise ! » Une grande quantité de théorie de niveau élémentaire est présupposée ici. Il est sous-entendu que le vent est une chose qui existe et qui a la capacité de provoquer le mouvement d'objets se trouvant sur son chemin, tels que des landaus. La situation d'urgence perceptible dans le « prenez garde » indique que l'on s'attend à ce que le landau, dans lequel se trouve un bébé, tombe de la falaise et aille se fracasser sur les rochers en contrebas, chose qui, suppose-t-on encore, risque d'être nuisible au bébé. De même, quand une personne matinale qui éprouve un besoin urgent de café constate amèrement : « le gaz ne veut pas s'allumer », elle suppose qu'il existe dans l'univers des substances qui peuvent être regroupées sous la dénomination « gaz », et que, parmi elles, il y en a qui brûlent. On notera ici que l'on n'a pas toujours disposé du concept de « gaz ». Il n'existe que depuis le milieu du XVIIIe siècle, lorsque Joseph Black obtint pour la première fois du dioxyde de carbone. Auparavant, on considérait tous les « gaz » comme des échantillons d'air plus ou moins pur. Si nous en venons maintenant au même genre d'énoncés dans la science, les présupposés théoriques sont à la fois moins triviaux et plus évidemment présents. Ainsi le fait que l'énoncé : « Le faisceau d'électrons est repoussé par le pôle magnétique de l'aimant », ou le discours d'un psychiatre parlant des symptômes de repli d'un patient, présupposent une théorie considérable, ne devrait pas nécessiter de grands développements.
Ainsi, les énoncés d'observation seront toujours formulés dans le langage d'une théorie et seront aussi précis que le cadre théorique ou conceptuel qu'ils utilisent. Le concept de « force » utilisé en physique est précis parce qu'il acquiert sa signification de par le rôle qu'il joue dans une théorie précise, relativement autonome, la mécanique newtonienne. L'utilisation du même mot dans la langue de tous les jours (la force des circonstances, les vents de force 8, la force d'une argumentation, etc.) est imprécise seulement parce que les théories correspondantes sont fort variées et imprécises. Des théories précises, clairement formulées, sont une condition préalable pour que des énoncés d'observation soient précis. En ce sens, la théorie précède l'observation."
Alan F. Chalmers, Qu’est-ce que la science?, Récents développements en philosophies des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, 1976, tr. fr. Michel Biezunski, Livre de Poche, 1987, p. 59-61.
"Il est à peu près aussi sensé de parler d'une science dépourvue de base théorique que d'imaginer une philosophie politique indépendante des valeurs. Dans les deux cas, ces expressions sont des oxymorons. Toute réflexion sur le monde matériel est obligatoirement sur une base même si nous ne nous explicitons pas toujours à nous-mêmes nos propres choix dans ce domaine. Les anciens naturalistes visés par le premier stade d'Huxley [1], qui accordaient foi à des légendes, mettaient en œuvre des théories, ne serait-ce que ces conceptions folkloriques selon lesquelles la lumière des étoiles ou une grande frayeur pouvait influencer la forme du fœtus en cours de gestation dans l'utérus. Les taxinomistes, lors du deuxième stade du développement de la biologie selon Huxley, mettaient, eux aussi, en œuvre une théorie : celle-ci stipulait que Dieu avait créé un ordre invariable, et l'ingéniosité humaine devait se donner pour tâche de la comprendre. Ces diverses théories du premier ou du deuxième stade étaient peut-être fausses, mais elles structuraient profondément le processus d'élaboration de la connaissance à leur époque (y compris en leur fixant des limites), tout comme cela a été le cas dans les systèmes d'explication scientifique ultérieurs plus exacts. Homo sapiens, ainsi nommé par Linné, est une machine pensante (ou un roseau pensant, , si vous préférez la métaphore botanique) : nous ne pouvons pas amasser des informations sur le monde matériel sans une théorie qui structure notre démarche et nos observations.
En outre, les théories sont toujours et nécessairement imprégnées des préjugés sociaux et psychologiques inhérents à la culture dans laquelle nous sommes immergés : il est impossible d'arriver à des observations complètement objectives ou à une logique totalement dépourvue d'ambiguïtés."
Stephen Jay Gould, "Le premier dévoilement de la nature", 1995, in Antilopes, dodos et coquillages, tr. fr. Marcel Blanc, Points Seuil, 2008, p. 169-170.
[1] Gould fait référence à une théorie du biologiste T.H. Huxley (qu'il critique justement ici), selon laquelle l'étude de la biologie est passée par les mêmes stades, au nombre de trois, que toutes les sciences durant leur développement : une phase initiale au cours de laquelle les chercheurs amassent des informations, sans être guidés par aucune conception théorique ; un deuxième stade au cours duquel les connaissances sont mises en ordre et incorporées au sein de systèmes, mais toujours en l'absence de guides théoriques, ; et finalement un troisième stade, donnant ce que Huxley appelle la "science physique", "stade final de la connaissance, où les phénomènes de la nature sont envisagés comme une série continue de causes et d'effets."