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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
La perception et l'objectivité

  "La « perception », au premier abord, paraît être une notion toute simple. Nous « percevons » le soleil et la lune, les mots que nous entendons, la dureté ou la douceur des objets que nous touchons, l'odeur d'un oeuf pourri, ou le goût de la moutarde. Les phénomènes que nous décrivons ainsi sont incontestables : c'est seulement leur description qui est discutable. Quand nous « percevons » le soleil, il y a eu un long enchaînement de causes et d'effets, d'abord dans les 150 millions de kilomètres d'espace intermédiaire, puis dans l'oeil, le nerf optique et le cerveau. L'événement « mental » final que nous appelons « voir le soleil » ne peut guère ressembler au soleil lui-même. Le soleil, comme la chose-en-doi de Kant, reste en dehors de notre expérience, et ne peut être connu (dans la mesure où il peut l'être) que par un processus compliqué de déduction à partir de l'expérience que nous appelons « voir le soleil ». Nous supposons que le soleil a une existence en dehors de notre expérience parce que beaucoup de gens le voient en même temps, et parce que divers phénomènes, tels que la lumière de la lune, s'expliquent le plus simplement en admettant que le soleil produit des effets à des endroits où il n'y a pas d'observateur. Mais nous ne « percevons » certainement pas le soleil de la manière simple et directe que nous nous figurons avant de nous être rendu compte de l'enchaînement compliqué des causes physiques de nos sensations.
  Nous pouvons dire, dans un sens vague, que nous « percevons » un objet quand il nous arrive quelque chose dont cet objet est la cause principale, et qui est de nature à nous permettre de tirer des conclusions relatives à cet objet. Quand nous entendons une personne parler, les différences dans ce que nous entendons correspondent à des différences dans ce qu'elle dit ; l'effet du milieu intermédiaire est pratiquement constant, et peut donc être plus ou moins négligé. De même, quand nous voyons une tache rouge et une tache bleue côte à côte, nous avons le droit de supposer qu'il existe une différence entre les endroits d'où viennent la lumière rouge et la lumière bleue, mais non que cette différence ressemble à la différence entre la sensation de rouge et la sensation de bleu. De cette façon, nous pouvons tenter de sauver la notion de « perception », mais nous ne réussirons jamais à la rendre exacte. Le milieu intermédiaire a toujours un certain effet déformant : l'endroit rouge peut paraître rouge à cause d'une brume interposée ; l'endroit bleu peut paraître bleu parce que nous portons des lunettes colorées. Pour tirer des conclusions relatives à l'objet, à partir du genre d'expérience que nous appelons « perception », il nous faut connaître la physique et la physiologie des organes des sens, et posséder des renseignements complets sur ce que contient l'espace intermédiaire entre l'objet et nous. Moyennant tous ces renseignements, et en admettant la réalité du monde extérieur, nous pourrons tirer de là des conclusions très abstraites au sujet de l'objet « perçu ». Mais tout ce que le mot « perception » implique de direct et de tangible se sera évanoui dans ce processus de déduction au moyen de formules mathématiques compliquées. Dans le cas d'objets distants, tels que le soleil, il n'est pas difficile de s'en rendre compte ; mais il en est de même de tout ce que nous touchons, sentons et goûtons, étant donné que notre « perception » de tels objets est due à des processus compliqués, qui se déroulent le long des nerfs jusqu'au cerveau".

 

 

Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, pp. 95-97. 



  "Lorsque vous et moi regardons un objet extérieur, nous formons des images comparables dans nos cerveaux respectifs, et nous pouvons décrire les objets d'une façon très semblable. Cela ne veut cependant pas dire que l'image que nous voyons est une réplique de l'objet. L'image que nous voyons est fondée sur des modifications qui surviennent dans notre organisme, dans le corps et le cerveau, tandis que la structure physique de cet objet interagit avec notre corps. L'ensemble des détecteurs sensoriels sont situés dans tout notre corps et nous aident à construire des structures neurales qui sont la carte de l'interaction globale de l'organisme avec l'objet dans ses multiples dimensions. [...]
  Les images que nous avons dans notre esprit sont donc le résultat des interactions qui ont lieu entre nous et les objets qui engagent notre organisme, en tant qu'elles sont encartées dans des structures neurales construites selon la configuration de l'organisme. Il convient de remarquer que cela ne remet pas en cause la réalité des objets. Ils sont bel et bien réels. Cela ne contredit pas non plus la réalité des interactions entre l'objet et l'organisme. Bien sûr, les images sont réelles aussi. Et pourtant, ce sont des constructions suscitées par un objet, plutôt que des reflets spéculaires de l'objet."

Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison : Joie et tristesse, le cerveau des émotions, 2003, tr. fr. J.-L. Fidel, Odile Jacob, 2005, pp. 207-208.



Date de création : 27/06/2006 @ 15:52
Dernière modification : 24/02/2011 @ 13:22
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