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Texte à méditer :   De l'amibe à Einstein, il n'y a qu'un pas.   Karl Popper
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Hors des sentiers battus
Le légal et le légitime

    "Toute loi […] vise l'intérêt commun des hommes, et ce n'est que dans cette mesure qu'elle acquiert force et valeur de loi ; dans la mesure, au contraire, où elle ne réalise pas ce but, elle perd de sa force d'obligation. [...] Or il arrive fréquemment qu'une disposition légale utile à observer pour le bien public, en règle générale, devienne, en certains cas, extrêmement nuisible. Aussi le législateur, ne pouvant envisager tous les cas particuliers, rédige-t-il la loi en fonction de ce qui se présente le plus souvent, portant son attention sur l'utilité commune. C'est pourquoi, s'il se présente un cas où l'observation de telle loi soit préjudiciable à l'intérêt général, celle-ci ne doit plus être observée. Ainsi à supposer que dans une ville assiégée on promulgue la loi que les portes doivent demeurer closes, c'est évidemment utile au bien public, en règle générale : mais s'il arrive que les ennemis poursuivent des citoyens dont dépend le salut de la cité, il serait très préjudiciable à cette ville de ne pas leur ouvrir ses portes. Et par conséquent dans une telle occurrence, il faudrait ouvrir les portes, malgré les termes de la loi, afin de sauvegarder l'intérêt général que le législateur a en vue".

Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1269, I, II, q. 96. art. 6.


 

    "Les lois injustes sont de deux sortes. Il y a d'abord celles qui sont contraires au bien commun ; elles sont injustes soit en raison de leur fin, par exemple quand un chef impose à ses subordonnés des lois onéreuses qui profitent à sa cupidité ou à sa gloire plus qu'au bien commun ; soit en raison de leur auteur, par exemple quand un homme promulgue une loi qui excède le pouvoir qu'il détient ; soit encore en raison de leur forme, lorsque les charges destinées au bien commun sont inégalement réparties dans la communauté. De pareilles lois sont des contraintes plus que des lois, car, selon le mot de Saint Augustin au livre I du Libre Arbitre, « on ne peut tenir pour loi une loi qui n'est pas juste ». Par conséquent de telles lois n'obligent pas en conscience, sauf dans les cas où il importe d'éviter le scandale et le désordre ; il faut alors sacrifier même son droit.[…]
    Il y a ensuite les lois qui sont injustes parce que contraires au bien divin, comme les lois des tyrans qui imposent l'idolâtrie et d'autres actes contraires à la loi divine. Il ne faut en aucune manière observer de telles lois, c'est en ce sens qu'il est dit dans les Actes des Apôtres: « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes »."

 

Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1269, I, II, q. 96, art. 4.


    "Nous avons dit, à propos de l'étude des lois, que les actes humains soumis aux lois portent sur des situations singulières qui peuvent varier à l'infini. Il est donc impossible d'instituer une loi qui ne serait jamais dans aucun cas en défaut. Pour établir une loi, les législateurs considèrent les conditions générales ; mais l'observance de cette loi serait dans certaines situations contraire à la justice et au bien commun que la loi entend sauvegarder. Par exemple, la loi déclare qu'il faut rendre un dépôt, ce qui est juste dans la généralité des cas particuliers, mais peut devenir dangereux dans des cas particuliers, tel le fou qui réclame l'épée qu'il a déposée, ou l'individu qui demande son dépôt pour trahir sa patrie. En pareilles circonstances et en d'autres semblables, il serait mal d'obéir à la loi, et le bien consiste à transgresser la lettre de la loi pour rester fidèle à l'esprit de justice et à l'exigence du bien commun. Telle est la fonction de l' « indulgence », que nous appelons équité. Il est donc évident que l'équité est une vertu.
  L'équité ne va pas contre ce qui est juste en soi, mais contre ce qui est juste selon la loi. Elle ne s'oppose pas à la rigueur de la loi, elle est fidèle à l'exigence de la loi, quand il le faut ; mais ce serait une faute d'appliquer la loi à la lettre, quand il ne le faut pas. D'ailleurs il est dit, même dans le Code : « Il n'est pas douteux que l'on viole la loi si, en l'observant à la lettre, on en trahit l'esprit. »
  Critiquer une loi, c'est affirmer qu'elle est mal faite ; dire que, dans tel cas, il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ce n'est pas porter un jugement sur la loi, mais sur le cas particulier tel qu'il se présente."


 

Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1269, II, 2, question 120, article 1.

 

  "Nous l'avons dit en traitant des lois, parce que les actes humains pour lesquels on porte des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l'infini, il a toujours été impossible d'instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont porté des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l'égalité de la justice, et contre le bien commun, visé par la loi. Ainsi la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce qu'elle est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un furieux a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu'un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d'autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d'obéir aux exigences de la justice et du bien public. C'est à cela que sert l'épikie [1], que l'on appelle chez nous l'équité. Aussi est-il clair que l'épikie est une vertu.
  L'épikie ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et elle ne s'oppose pas à la sévérité, car celle-ci suit fidèlement la loi quand il le faut ; suivre la lettre de la loi quand il ne le faut pas, c'est condamnable. Aussi est-il dit dans le Code : « Il n'y a pas de doute qu'on pèche contre la loi si en s'attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur. »
  Juger de la loi, c'est dire qu'elle est mal faite. Dire que les termes de la loi n'obligent pas en telle ou telle circonstance, c'est juger non pas de la loi en elle-même, mais d'un cas déterminé qui se présente."

 

Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1269, II, 2, question 120, article 1.

 

[1] épikie : vertu morale qui donne le sens du juste.

 


 

  "Les Grecs et les Romains, qui savaient que leurs lois avaient été faites à l'origine, et continuaient encore à être faites, par des hommes, ne craignaient pas d'admettre que ces hommes pouvaient faire de mauvaises lois, et accomplir, sous le couvert d'une loi [...] les actes mêmes qui seraient qualifiés d'injustes, s'il s'agissait d'actes individuels accomplis sans protection légale. […]
  Et ainsi, le sentiment de l'injustice en vint à s'attacher, non plus à la violation de toutes les lois, mais seulement à la violation de celles qui doivent (ought) exister, en y comprenant celles qui devraient exister, mais n'existent pas ; et tout aussi bien aux lois elles-mêmes, lorsqu'on les juge contraires à ce que devrait être la loi. C'est ainsi que la notion de loi et de ses prescriptions resta prédominante dans l'idée de justice, alors même que les lois effectivement en vigueur cessaient d'être acceptées comme règles de justice."

 

John Stuart Mill, L'Utititarisme, 1861, tr. fr. G. Tannes, Garnier-Flammarion, 1968, p. 128, PUF, 1998, p. 111-112.


 

 


Date de création : 04/07/2006 @ 13:57
Dernière modification : 08/02/2024 @ 14:34
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