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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Ce qui permet ou empêche la justice

  "Justice, force. – Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et, pour cela, faire que ce qui est juste soit fort, ou ce que ce qui est fort soit juste.
  La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

  Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D'où vient cela ? de la force qui y est. Et de là vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.
  Sans doute, l'égalité des biens est juste ; mais ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien".

 

Pascal, Pensées, 1662, art. 298-299, fragments 103 et 81 de l'édition Lafuma.


 

   "Les pouvoirs qui s'exercent sur nous menacent toujours la liberté et la justice. Quelles précautions doit prendre la Constitution politique pour limiter cette menace ?
   Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
   Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. [...]
   Voyez quelle peut être la situation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu'il s'est donnée comme législateur. il peut ravager l'État par ses volontés générales ; et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières.
   Toute la puissance y est une ; et, quoiqu'il il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant."

Montesquieu, De l'esprit des lois (1748), livre XI, chap. 6, Flammarion, coll. « GF », 1979, t. 1, pp. 294-295.

 
    "La force semble être l'injustice même ; mais on parlerait mieux en disant que la force est étrangère à la justice ; car on ne dit pas qu'un loup est injuste. Toutefois le loup raisonneur de la fable est injuste, car il veut être approuvé ; ici se montre l'injustice, qui serait donc une prétention d'esprit. Le loup voudrait que le mouton n'ait rien à répondre ou tout au moins qu'un arbitre permette ; et l'arbitre, c'est le loup lui-même. Ici les mots nous avertissent assez ; il est clair que la justice relève du jugement, et que le succès n'y fait rien. Plaider, c'est argumenter. Rendre justice, c'est juger. Peser des raisons, non des forces. La première justice est donc une investigation d'esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui-même injustice ; et même celui qui se trouve favorisé, et qui de plus croit avoir raison, ne croira jamais qu'on lui a rendu bonne justice à lui tant qu'on n'a pas fait justice à l'autre, en examinant aussi ses raisons de bonne foi ; de bonne foi, j'entends en leur cherchant toute la force possible, ce que l'institution des avocats réalise passablement."

 

Alain, Éléments de philosophie, 1916, VI, 4.


 

    "Où donc la justice ? En ceci que le jugement ne résulte point des forces, mais d'un débat libre, devant un arbitre qui n'a point d'intérêts dans le jeu. Cette condition suffit, et elle doit suffire parce que les conflits entre les droits sont obscurs et difficiles. Ce qui est juste, c'est d'accepter d'avance l'arbitrage ; non pas l'arbitrage juste, mais l'arbitrage. L'acte juridique essentiel consiste en ceci que l'on renonce solennellement à soutenir son droit par la force. Ainsi ce n'est pas la paix qui est par le droit ; car, par le droit, à cause des apparences du droit, et encore illuminées par les passions, c'est la guerre qui sera, la guerre sainte ; et toute guerre est sainte. Au contraire, c'est le droit qui sera par la paix, attendu que l'ordre du droit suppose une déclaration préalable de paix, avant l'arbitrage, pendant l'arbitrage et après l'arbitrage, et que l'on soit content ou non. Voilà ce que c'est qu'un homme pacifique. Mais l'homme dangereux est celui qui veut la paix par le droit, disant qu'il n'usera point de la force, et qu'il le jure, pourvu que son droit soit reconnu. Cela promet de beaux jours."

 

Alain, Propos du 18 avril 1923, Gallimard.

    "Nous pouvons rejeter l'affirmation selon laquelle l'organisation des institutions est toujours imparfaite parce que la répartition des talents naturels et les contingences sociales sont toujours injustes et que cette injustice retentit inévitablement sur les organisations humaines. Souvent cette réflexion sert d'excuse pour méconnaître l'injustice, comme si le refus d'accepter l'injustice était de même nature que l'impossibilité d'accepter la mort. La répartition naturelle n'est ni injuste ni juste ; il n'est pas non plus injuste que certains naissent dans certaines positions sociales particulières. Il s'agit seulement de faits naturels. Ce qui est juste ou injuste par contre, c'est la façon dont les institutions traitent ces faits. Les sociétés aristocratiques ou de castes sont injustes parce qu'elles font de ces contingences le moyen de répartir les hommes entre des classes sociales plus oumoins fermées et privilégiées. La structure de base de ces sociétés fait sien l'arbitraire qui se trouve dans la nature. Mais aucune nécessité ne contraint les hommes à se résigner à ces contingences. Le système social n'est pas un ordre intangible, échappant au contrôle des hommes, mais un mode d'action humaine. Dans la théorie de la justice comme équité, les hommes sont d'accord pour ne se servir des accidents de la nature et du contexte social que dans la perspective de l'avantage commun. Les deux principes sont un moyen équitable de faire face à l'arbitraire du sort et les institutions qui les appliquent sont justes, même si elles sont sans doute imparfaites à d'autres points de vue".

 

John Rawls, Théorie de la justice (1971), chap. 2, 17, Éd. du Seuil, coll. Empreintes, trad. C. Audard, 1987, coll. Points Essais, 1997.

Date de création : 04/07/2006 @ 18:28
Dernière modification : 30/07/2011 @ 10:21
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