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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
Droit naturel et droit positif

  "CRÉON. – Et toi, toi qui restes là, tête basse, avoues-tu ou nies-tu le fait ?

ANTIGONE. – Je l'avoue et n'ai garde, certes, de le nier.

CRÉON (au Garde). – Va donc où tu voudras, libéré d'une lourde charge. (Le Garde sort. À Antigone) Et toi, maintenant, réponds-moi, sans phrases, d'un mot. Connaissais-tu la défense[1] que j'avais fait proclamer ?

ANTIGONE. – Oui, je la connaissais ; pouvais-je l'ignorer ? Elle était des plus claires.

CRÉON. – Ainsi tu as osé passer outre[2] à ma loi ?

ANTIGONE. – Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'avait proclamée ! Ce n'est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu'ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses[3] à toi fussent aussi puissantes, pour permettre à un mortel de passer outre à d'autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d'aujourd'hui ni d'hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m'exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n'aurais rien défendu. Mais mourir avant l'heure, je le dis bien haut, pour moi, c'est tout profit : lorsqu'on vit comme moi, au milieu des malheurs sans nombre, comment ne pas trouer de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi, n'est pas une souffrance. C'en eût été une, au contraire, si j'avais toléré que le corps d'un fils de ma mère n'eût pas, après sa mort, obtenu de tombeau. De cela, oui, j'eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait être celui même qui me traite de folle".

 

Sophocle, Antigone (env. 442 av. J.-C.), trad. P. Mazon, Budé, Éd. Les Belles Lettres, 1962, p. 93-94.


[1] Défense : malgré l'interdiction formulée par le roi Créon, Antigone a enterré son frère Polynice, accusé de haute trahison et mort au combat contre son autre frère Étéocle ; elle risque la mort.

[2] Passer outre : ne pas tenir compte.

[3] Défenses : interdictions.



  "Une partie du droit politique est d'origine naturelle, l'autre fondée sur la loi. Ce qui est d'origine naturelle est ce qui, en tous lieux, a le même effet et ne dépend pas de nos diverses opinions ; quant à ce qui est fondé sur la loi, que les origines en aient été telles ou telles, peu importe ; ce qui importe c'est de le constater, une fois les lois établies [...] Ainsi, les prescriptions de justice qui ne sont pas fondées sur la nature mais sur les conventions entre les hommes, ne sont pas semblables partout, non plus que les formes de gouvernement, quoiqu'il n'y en ait qu'une seule qui se montre partout en accord avec la nature, à savoir la meilleure."

 

Aristote, Éthique de Nicomaque, livre V, chapitre VII, tr. fr. J. Voilquin, GF, 1966.



  "Par loi, j'entends d'une part la loi particulière ; de l'autre la loi commune ; par loi particulière celle qui, pour chaque peuple, a été définie relativement à lui ; et cette loi est tantôt non écrite, tantôt écrite ; par loi commune, j'entends la loi naturelle. Car il y a une justice et une injustice dont tous les hommes ont comme une divination, et le sentiment leur est naturel et commun, même quand il n'existe entre eux aucune communauté ni aucun contrat ; c'est évidemment, par exemple, ce dont parle l'Antigone de Sophocle quand elle affirme qu'il était juste d'enfreindre la défense et d'ensevelir Polynice car c'était un droit naturel :
« Loi qui n'est ni d'aujourd'hui ni d'hier, qui est éternelle et dont personne ne connaît l'origine. »
C'est aussi celle dont Empédocle s'autorise pour interdire de tuer un être animé ; car on ne peut prétendre que cet acte soit juste pour certains, et ne le soit pas pour d'autres :
« Mais la loi universelle s'étend en tous sens, à travers l'éther qui règne au loin et aussi sur la terre immense. »"


Aristote, Rhétorique, 1373b, traduit du grec par M. Dufour, Éd. Les Belles Lettres, 1932, t. I, p. 130.


    "Une autre division des lois est celle qu'il y a entre lois naturelles et positives. Les lois naturelles sont celles qui ont été des lois de toute éternité ; on ne les appelle pas seulement naturelles, mais morales. Elles consistent dans les vertus morales, comme la justice, l'équité, et toutes les dispositions d'esprit conduisant à la paix, la charité […].
    Les lois positives sont celles qui n'existent pas de toute éternité, mais qui ont été faites lois par la volonté de ceux qui ont la puissance souveraine sur les autres ; elles sont ou bien écrites ou bien connues par un moyen quelconque de la volonté du législateur."

 

Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, Livre II, § 26, tr. G. Mairet, Folio essais, p. 430.

 

  "La principale opposition qu'après Eschyle Sophocle ait traitée d'une façon remarquablement belle est celle de la vie morale, dans sa généralité spirituelle, qu'incarne l'Etat, et de la morale naturelle, représentée par la famille. Ce sont là les puissances les plus pures de la présentation tragique, puisque l'accord de deux sphères et leur action harmonieuse au sein de leurs réalités respectives constituent toute la réalité de la vie morale. Il me suffit de rappeler à ce propos les Sept devant Thèbes d'Eschyle et, plus encore, l'Antigone de Sophocle. Antigone vénère les liens du sang, les dieux souterrains, tandis que Créon ne vénère que Zeus, la puissance qui régit la vie publique et dont dépend le bien de la communauté. On retrouve les mêmes conflits dans Iphigénie en Aulide, ainsi que dans Agamemnon, les Choéphores et les Euménides d'Eschyle. En tant que roi et chef d'armée, Agamemnon sacrifie sa fille aux intérêts des Grecs et de l'expédition contre Troie ; il déchire ainsi le lien d'amour qui le rattachait à sa fille et à son épouse, lien que celle-ci, Clytemnestre, garde au fond de son cœur en préparant contre son époux une vengeance humiliante. Oreste, le fils, fils de roi, vénère la mère, mais, obligé d'intervenir pour défendre le droit du roi son père, il frappe le sein qui l'a engendré. […]
  Le seul résultat enfin auquel puisse aboutir la complication tragique consiste en ce que les parties en lutte, sans renoncer à la légitimité de leurs droits respectifs, éliminent ce qu'il y avait d'unilatéral dans leurs revendications, grâce à quoi se trouve rétablie l'harmonie intérieure, exprimée par le chœur qui rend les mêmes honneurs à tous les dieux. Le vrai aboutissement consiste seulement dans la suppression des oppositions, en tant qu'oppositions, dans la conciliation des puissances qui dirigeaient les actions et, dans leur conflit, cherchaient à se nier réciproquement. Le but suprême et final est donc celui qui engendre, non des malheurs et des souffrances, mais une satisfaction de l'esprit, puisque c'est ainsi seulement que la nécessité de ce qui arrive à l'individu apparaît comme découlant d'une rationalité absolue et que l'âme éprouve un apaisement vraiment moral ; remuée par le sort du héros, elle est apaisée quant à la chose. C'est seulement en se plaçant à ce point de vue qu'on peut comprendre la tragédie antique. Aussi ne doit-on pas considérer cette conclusion comme étant seulement destinée à satisfaire nos exigences morales, à châtier le vice et à récompenser la vertu. Il ne s'agit pas de ce côté subjectif de la personnalité, de l'appréciation de ce qu'elle a de bon et de mauvais, mais, lorsque le conflit a été complet et total, de l'intuition qu'on a de la conciliation affirmative et de la valeur égale des deux puissances qui se combattent. L'issue n'est pas davantage un effet du hasard aveugle, d'une fatalité irrationnelle et incomprise, que beaucoup qualifient d'antique ; mais la rationalité du destin, bien qu'elle ne se manifeste pas encore sous l'aspect d'une Providence consciente, réside dans le fait que la puissance suprême, maîtresse des dieux et des hommes, ne saurait tolérer que des forces ayant franchi les limites de leurs attributions s'immobilisent dans leur indépendance relative et que les conflits qui en résultent se perpétuent et s'éternisent. Le fatum fait rentrer l'individu dans ses limites qu'il ne doit ni ne peut franchir qu'au risque de sa perte."

 

Hegel, Esthétique, III C,  trad. S. Jankélévitch, Paris 1944, Aubier-Montaigne, p. 266-270.


    "De même qu'il ne faut pas confondre force et violence, il faut également distinguer droit naturel et droit positif. Le concept de droit en général implique analytiquement la notion de limitation, c'est-à-dire qu'il interdit certaines choses et en permet d'autres, reconnues comme légitimes, de sorte que tout homme peut les exiger au nom de la justice. Cependant le droit positif exprime autrement cette limitation que le droit naturel. Ce dernier, justement parce qu'il invoque la justice de la conscience morale, supposée commune à tous les hommes, se présente avant tout sous la forme d'un impératif catégorique, c'est-à-dire qu'il affirme la validité de normes immuables et universelles, indépendantes du temps et de l'espace. Le droit positif, qui est l'ensemble des règles générales effectivement en vigueur dans une société politique donnée et imposées par le pouvoir (législatif ou exécutif), a le caractère d'un impératif hypothétique, c'est-à-dire qu'il vaut chaque fois pour une collectivité et non pas pour une autre. Ses règles peuvent tomber en désuétude, elles peuvent être abrogées suivant les nécessités et l'évolution de la société. Elles ne sont donc valables que dans des conditions historiques, politiques, économiques et sociales données. Si les impératifs du droit naturel sont universels et définissent les normes de la justice morale, ceux du droit positif sont généraux (au sens où ils valent chaque fois pour tous les membres d'une unité politique particulière) et ils définissent les normes de la justice légale."
 

Julien Freund, Qu'est-ce la politique ?, Paris, Sirey, 1965, Points Politique, p. 141-142.


Date de création : 31/08/2006 @ 20:02
Dernière modification : 30/09/2013 @ 08:40
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