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Texte à méditer :  Time is money.
  
Benjamin Franklin
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Hors des sentiers battus
Définition et problèmes de la politique
    "Qu'entendons-nous par politique ? Le concept est extraordinairement vaste et embrasse toutes les espèces d'activité directive [leitende] autonome. On parle de la politique de devises d'une banque, de la politique d'escompte de la Reichsbank, de la politique d'un syndicat au cours d'une grève ; on peut également parler de la politique scolaire d'une commune urbaine ou rurale, de la politique d'un comité qui dirige une association, et finalement de la politique d'une femme habile qui cherche à gouverner son mari. Nous ne donnerons évidemment pas une signification aussi vaste au concept qui servira de base aux réflexions qui nous ferons ce soir. Nous entendrons uniquement par politique la direction du groupement politique que nous appelons aujourd'hui « État », ou l'influence que l'on exerce sur cette direction.
 Mais qu'est ce donc qu'un groupement « politique » du point de vue sociologue ? Qu'est ce qu'un État ? Lui non plus ne se laisse pas définir sociologiquement par le contenu de ce qu'il fait. Il n'existe en effet presque aucune tâche donc ne se soit pas occupé une jour un groupement politique quelconque ; d'un autre côté il n'existe pas non plus de tâches dont on puisse dire qu'elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu en propre aux groupements politiques que nous appelons aujourd'hui États ou qui ont été historiquement les précurseurs de l'État moderne. Celui-ci ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est propre, ainsi qu'à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique.
  « Tout État est fondé sur la violence », disait un jour Trotski à Brest-Litovsk. En effet, cela est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme « l'anarchie ». La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'État, - cela ne fait aucun doute - mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du « droit » à la violence. Par conséquent, nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même État."

 
Max Weber, Le Métier et la vocation d'homme politique, 1919, in Le savant et la politique, tr. Julien Freund, 10/18, 1963, p. 123-125.


    "Toute politique se fonde sur l'indifférence de la plupart des intéressés, sans laquelle il n'y a point de politique possible.
    La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.
    À une époque suivante, on y adjoignit l'art de contraindre les gens à décider sur ce qu'ils n'entendent pas.
    Ce deuxième principe se combine avec le premier.
    Parmi leurs combinaisons, celle-ci : Il y a des secrets d'Etat dans des pays de suffrage universel. Combinaison nécessaire et, en somme, viable ; mais qui engendre quelquefois de grands orages, et qui oblige les gouvernements à manoeuvrer sans répit. Le pouvoir est toujours contraint de naviguer contre son principe. Il gouverne au plus près contre le principe, dans la direction du pouvoir absolu.
    Tout état social exige des frictions.
    Dans les uns, on convient de l'égalité des citoyens. Les autres stipulent et organisent l'inégalité.
    Ce sont les des conventions qu'il faut pour commencer le jeu. L'une et l'autre posée, le jeu commence, qui consiste nécessairement dans une action de sens inverse de la part des individus.
    Dans une société d'égaux, l'individu agit contre l'égalité. Dans une société d'inégaux, le plus grand nombre travaille contre l'inégalité.
    Le résultat des luttes politiques est de troubler, de falsifier dans les esprits la notion d'ordre d'importance des questions et de l'ordre d'urgence.
    Ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple bien-être. ce qui est d'avenir par l'immédiat. Ce qui est profond et lent par ce qui est excitant.
    Tout ce qui est de la politique pratique est nécessairement superficiel."

 

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, 1931, Folio, p. 50-51.


    "La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c'est la discrimination de l'ami et de l'ennemi. Elle fournit un principe d'identification qui a valeur de critère, et non une définition exhaustive ou compréhensive. Dans la mesure où elle ne se déduit pas de quelque autre critère, elle correspond, dans l'ordre du politique, aux critères relativement autonomes de diverses autres oppositions : le bien et le mal en morale, le beau et le laid en esthétique, etc. Elle est autonome en tout cas, non pas au sens où elle correspondrait à un champ d'activité original qui lui serait propre, mais en cela qu'on ne saurait la fonder sur une ou plusieurs de ces autres oppositions, ni l'y réduire. Si déjà l'opposition entre le bien et le mal n'est pas purement et simplement identique à celle du beau et du laid ou à celle de l'utile et du nuisible et n'y est pas directement réductible, à plus forte raison faut-il éviter de confondre et d'amalgamer l'opposition ami-ennemi avec l'une des oppositions précédentes. Le sens de cette distinction de l'ami et de l'ennemi est d'exprimer le degré extrême d'union et de désunion, d'association ou de dissociation ; elle peut exister en théorie et en pratique sans pour autant exiger l'application de toutes ces distinctions morales, esthétiques, économiques ou autres. L'ennemi politique ne sera pas nécessairement mauvais dans l'ordre de la moralité ou laid dans l'ordre esthétique, il ne jouera pas forcément le rôle d'un concurrent au niveau de l'économie, il pourra même, à l'occasion, paraître avantageux de faire des affaires avec lui. Il se trouve simplement qu'il est l'autre, l'étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu'il soit, dans son existence même et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger et tel qu'à la limite des conflits avec lui soient possibles qui ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales établies à l'avance, ni par la sentence d'un tiers, réputé non concerné et impartial."

Carl Schmitt, La Notion de politique, 1932, tr. Steinhauser, Champs Flammarion, 1992, p. 63-65.

 

 

 

 

 

 

  "Le dynamisme du politique peut lui être fourni par les secteurs les plus divers de la vie des hommes, il peut avoir son origine dans des antagonismes religieux, économiques, moraux ou autres ; le terme de politique ne désigne pas un domaine d'activité propre, mais seulement le degré d'intensité d'une association ou d'une dissociation d'être humains dont les motifs peuvent être d'ordre religieux, national (au sens ethnique ou au sens culturel), économique ou autre, et provoquent, à des époques différentes, des regroupements et des scissions de types différents. Une fois réalisé, la configuration ami-ennemi est de sa nature si puissante et si déterminante que, dès le moment où il provoque ce regroupement, l'antagonisme non politique repousse à l'arrière-plan les critères et les motifs précédemment valables, qui étaient purement religieux, purement économiques ou purement culturels, pour se soumettre aux conditions et aux conséquences totalement autres et originales d'une situation désormais politique, souvent très illogiques et irrationnelles par rapport au point de départ purement religieux, purement politique ou de quelque autre « pureté ». Quoiqu'il en soit, est politique tout regroupement qui se fait dans la perspective de l'épreuve de force. C'est pourquoi il est, en toute occasion, le regroupement et par conséquent, pour autant qu'elle existe, l'unité politique est le facteur décisif, l'autorité souveraine en ce sens qu'il lui revient nécessairement et par définition de trancher la situation décisive, toute exceptionnelle qu'elle soit."

 

Carl Schmitt, La Notion de politique, 1932, tr. Marie-Louise Steinhauser, Champs Flammarion, 1992, p. 77-78.


 

  "La politique possède, comme la morale, l'esthétique ou l'économie, ses propres critères qui déterminent spécifiquement son activité. De même que le bien et le mal, le laid et le beau sont les critères de la morale et de l'es­thétique, le couple ami-ennemi est celui de la politique. Cette relation il faut l'entendre comme une détermination conceptuelle, à laquelle il faut ramener la politique pour la comprendre dans son essence, non comme une définition exhaustive. Cette distinction de l'ami et de l'ennemi a donc une valeur sui generis, c'est-à-dire elle peut se présenter indépendamment des distinctions morales, esthétiques ou économiques, à plus forte raison ne se laisse-t-elle pas réduire à ces déterminations ni déduire d'elles. Par conséquent, l'ennemi politique n'est pas forcément un être éthiquement mauvais, pas plus qu'il ne se laisse confondre avec le concurrent économique.
  L'ennemi, « c'est l'autre, c'est l'étranger, et il suffit à son essence qu'il soit existentiellement dans un sens particulièrement intense quelque chose d'autre et d'étranger pour que, dans le cas extrême, les relations qu'on a avec lui se transforment en conflits qu'il n'est possible de résoudre ni par une normalisation générale préventive ni par l'arbitrage d'un tiers « désintéressé » et « impartial ». Dans ce cas, seules les parties en présence et qui sont exis­tentiellement intéressées ont la capacité de discerner et de comprendre et aussi le droit de parler et de juger. Seuls les intéressés sont à même de régler entre eux le différend parvenu à ce degré extrême, je veux dire que chacun d'eux est seul en mesure de décider si l'attitude divergente de l'autre signi­fie dans le cas concret donné la négation de son propre genre d'existence et s'il doit en conséquence se protéger ou engager le combat pour préserver son genre de vie propre et particulier ». Il n'y a plus à considérer si l'on a tort ou raison de voir en l'autre un ennemi, car si l'autre vous traite comme un ennemi, vous l'êtes.

  Les concepts d'ami et d'ennemi ne sont pas à prendre dans un sens méta­phorique ou symbolique, mais concret et existentiel. Plus une opposition évolue vers la distinction ami-ennemi, plus elle devient politique. La carac­téristique de l'État est de supprimer à l'intérieur de son ressort la division de ses membres ou groupements internes en amis et en ennemis, pour ne tolérer que les simples rivalités agonales, ou luttes de partis, et de réserver au gouvernement le droit de désigner l'ennemi extérieur. Cependant, dès que les rivalités intérieures évoluent dans le sens de la distinction entre l'ami et l'ennemi, la guerre civile surgira qui risque d'anéantir l'unité politique de l'État. IL est donc clair que l'opposition ami-ennemi est politiquement fondamentale.
  Les autres antagonismes internes, d'ordre religieux, scolaire, social ou économique ne sont politiques que secondairement, du moins aussi longtemps qu'ils ne divisent pas les membres de la collectivité en amis et enne­mis. Dans ce cas, la rivalité devient directement politique et ses motifs religieux, sociaux ou économiques passent à l'arrière-plan. En effet, l'opposition politique est si forte qu'elle prime inévitablement le reste. Dire d'une chose qu'elle est politique, c'est dire qu'elle est polémique. Des notions comme celles de république, classe, souveraineté, absolutisme, dictature, neutralisme et de paix sont incompréhensibles si l'on n'est pas capable d'in­diquer ce qu'elles visent, contre qui elles sont dirigées et qui elles préten­dent nier et réfuter. Somme toute, ce n'est pas la lutte qui engendre la politique, mais au contraire la politique porte en elle le conflit qui peut, dans les cas extrêmes, dégénérer en guerre."

 

Julien Freund, L'Essence du politique, 1965, Sirey, p. 445.


 

 "La politique repose sur un fait : la pluralité humaine. Dieu a créé l'homme, les hommes sont un produit humain, terrestre, le produit de la nature humaine. C'est parce que la philosophie et la théologie s'occupent toujours de l'homme, parce que toutes leurs déclarations seraient exactes quand bien même n’y aurait-il qu’un seul homme ou seulement deux hommes, ou uniquement des hommes identiques, qu’elles n’ont jamais trouvé aucune réponse philosophiquement valable à la question : qu’est-ce que la politique ? Pis encore : pour toute pensée scientifique, aussi bien en biologie qu’en psychologie, en philosophie qu’en théologie, seul l’homme existe, de même qu’en zoologie il n’y a que le lion. Autrement dit, les lions au pluriel seraient une affaire qui n’intéresserait que les lions.
 Chez tous les grands penseurs - y compris Platon - la différence de niveau entre les philosophies politiques et le reste de leur oeuvre saute aux yeux. La politique ne parvient jamais à la même profondeur. Mais le sens de la profondeur qui fait défaut n’est rien d’autre qu’un sens défaillant pour la profondeur dans laquelle est ancrée la politique.
  La politique traite de la communauté et de la réciprocité d'être différents. Les hommes, dans un chaos absolu ou bien à partir d'un chaos absolu de différences, s'organisent selon des communautés essentielles et déterminées. Tant que l'on édifie des corps politiques sur la structure familiale et qu'on les comprend à l'image de la famille, les degrés de parenté valent comme ce qui d'un côté peut relier les êtres les plus différents et, d'un autre côté, comme ce par quoi des formations semblables par les individus peuvent se séparer les unes des autres et les unes par rapport aux autres.
 Dans cette forme d'organisation, la diversité originelle est d'autant plus efficacement anéantie que l'égalité essentielle de tous les hommes est détruite dès lors qu'il s'agit de l'homme. Dans les deux cas, la ruine de la politique résulte du fait que les corps politiques se développent à partir de la famille. Ici se trouve déjà sous-entendu ce qui va devenir un symbole dans l'image de la Sainte Famille, à savoir l'opinion selon laquelle Dieu n'a pas tant créé l'homme qu'il a créé la famille."
 
Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ?, Le Seuil, trad. Courtine-Deanmy, 1995, p. 31-32.

 
 "[…] je pense que le problème politique se ramène aux données suivantes : la politique est la théorie ou l'art de faire vivre les hommes en communauté, la théorie ou l'art d'assurer l'existence et la durée des groupes organisés. Les sociétés complexes comportent nécessairement une diversité de tâches dont la complexité et la dignité varient grandement. D'autre part la politique a pour fin immanente de faire participer tous les hommes à la communauté. L'antinomie fondamentale de l'ordre politique, dont tous les régimes apparaissent comme des solutions imparfaites, c'est la volonté de concilier la diversité des tâches, l'inégalité des pouvoirs et des prestiges, avec une participation de tous les hommes à la communauté. Il n'y a pas de société qui n'essaie de réaliser cette participation de tous à la vie politique, mais il n'y en a pas non plus qui puisse assurer à tous l'égalité dans la tâche accomplie ou dans le prestige accordé. Toutes les sociétés et tous régimes sont un effort pour concilier la hiérarchie avec l'égalité, la hiérarchie de pouvoir avec l'égale dignité humaine.
 Les sociétés humaines ont cherché à résoudre cette contradiction dans deux directions. L'une consiste à consacrer, à sanctifier l'inégalité sociale, à mettre chacun dans une catégorie déterminée et à faire accepter par tous l'inégalité essentielle des places occupées: la forme extrême en est le système des castes. L'autre solution consiste à affirmer l'égalité politique des hommes dans la démocratie et à pousser le plus loin possible l'égalisation sociale et économique.
 Ces deux solutions sont imparfaites. La solution hiérarchique aboutit rapidement à exclure de l'humanité les hommes situés dans les castes inférieures. La solution démocratique comporte une permanente hypocrisie, car aucune société n'a jamais pu égaliser ni les tâches, ni les revenus, ni les prestiges des individus. L'ordre de l'égalité est inévitablement un ordre formel que chaque pouvoir établi essaie d'exalter tout en dissimulant les inégalités réelles."
 
Raymond Aron, Dix-huit leçons sur la société industrielle, 1962, Paris, Gallimard, Coll. Idées, 1968, p. 86-87.

 

Date de création : 11/09/2006 @ 12:44
Dernière modification : 12/02/2024 @ 11:04
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