"[...] La valeur unique en son genre de l'œuvre d'art « authentique » trouve son fondement dans le rituel où elle eut sa valeur d'usage première et originaire. Aussi nombreuses que soient les médiations qu'elle connut, cette valeur d'usage est reconnaissable même dans les formes les plus profanes du culte de la beauté comme rituel sécularisé. Que tel est bien le fondement du culte profane de la beauté, qui s'est développé avec la Renaissance pour rester en vigueur pendant trois siècles, on le voit aujourd'hui, où cette période touche à sa fin, et alors que ce culte est pour la première fois sérieusement ébranlé. De fait, avec l'apparition du premier moyen de reproduction effectivement révolutionnaire, la photographie (contemporaine des commencements du socialisme), lorsque l'art devina l'approche de la crise qui, un siècle plus tard, ne peut plus être méconnue, il réagit par la doctrine de l'art pour l'art, qui est une théologie de l'art. De cette doctrine a ensuite directement procédé une théologie négative sous la forme de l'idée d'un art « pur » qui rejette non seulement toute fonction sociale, mais même toute détermination par un sujet objectif (Mallarmé fut, pour la poésie, le premier à atteindre cette position.) [...] Pour la première fois dans l'histoire du monde, la reproductibilité technique de l'œuvre d'art émancipe celle-ci de son existence parasitaire au service du rituel. L'œuvre d'art reproduite devient de manière sans cesse croissante la reproduction d'une œuvre d'art conçue pour la reproductibilité. [...] Mais dès l'instant où le critère de l'authenticité cesse de s'appliquer à la production artistique, c'est toute la fonction sociale de l'art qui est bouleversée."
Walter Benjamin, L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1936, Trad. C. Jouanlanne, coll. "Arts et esthétique", éd. Carré, 1997, pp. 28-30.
Toute détermination par un sujet objectif : toute référence à une réalité extérieure à l'œuvre d'art.