* *

Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Morale et politique

    "Il n'est pas nécessaire à un prince d'avoir toutes les bonnes qualités dont j'ai fait l'énumération, mais il lui est indispensable de paraître les avoir. J'oserai même dire qu'il est quelquefois dangereux d'en faire usage, quoiqu'il soit tou­jours utile de paraître les posséder. Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de loyauté et de justice ; il doit d'ailleurs avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Je pose en fait qu'un prince, surtout un prince nouveau, ne peut exercer impunément toutes les ver­tus de l'homme moyen, parce que l'intérêt de sa conservation l'oblige souvent à violer les lois de l'humanité, de la charité, de la loyauté et de la religion. Il doit se plier aisément aux différentes circonstances dans lesquelles il peut se trouver. En un mot, il doit savoir persévérer dans le bien, lorsqu'il n'y trouve aucun inconvénient, et s'en détourner lorsque les circonstances l'exigent. Il doit surtout s'étudier à ne rien dire qui ne respire la bonté, la justice, la civilité, la bonne foi et la piété; mais cette dernière qualité est celle qu'il lui importe le plus de paraître posséder, parce que les hommes en général jugent plus par leurs yeux que par leurs mains. Tout homme peut voir ; mais très peu d'hommes savent toucher. Chacun voit aisément ce qu'on paraît être, mais presque personne n'identifie ce qu'on est ; et ce petit nombre d'esprits péné­trants n'ose pas contredire la multitude, qui a pour bouclier la majesté de l'État. Or, quand il s'agit de juger l'intérieur des hommes, et surtout celui des princes, comme on ne peut avoir recours aux tribunaux, il ne faut s'attacher qu'aux résultats : le point est de se maintenir dans son autorité ; les moyens, quels qu'ils soient, paraîtront toujours honorables, et seront loués de chacun. Car le vulgaire se prend toujours aux apparences, et ne juge que par l'événement."
 

Machiavel, Le Prince, 1513, Chapitre XVIII.


 


    "L'assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n'y a point ici de procès à faire. Louis n'est point un accusé. Vous n'êtes point des juges. Vous n'êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État, et les représentants de la nation. Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. [...]

    Louis fut roi, et la république est fondée : la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes : Louis dénonçait le peuple français comme rebelle : il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères ; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé : il est déjà condamné, ou la république n'est point absoute.

    Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c'est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c'est une idée contre-révolutionnaire, car c'est mettre la révolution elle-même en litige.

    En effet, si Louis peut être encore l'objet d'un procès, il peut être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? il est présumé l'être jusqu'à ce qu'il soit jugé : mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ?"
 

Robespierre, Discours sur le jugement de Louis XVI (1ère intervention)prononcé à la tribune de la Convention le 3 décembre 1792.

 
    " […] toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s'orienter selon l'éthique de la responsabilité [verantwortungsethisch] ou selon l'éthique de la conviction [gesinnungsethisch]. Cela ne veut pas dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction. Il n'en est évidemment pas question. Toutefois il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction - dans un langage religieux nous dirions : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu » -, et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. »
    Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l'éthique de conviction que son action n'aura d'autre effet que celui d'accroître les chances de la réaction, de retarder l'ascension de sa classe et de l'asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d'un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n'attribuera pas la responsabilité à l'agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme (car, comme le disait justement Fichte [1], on n'a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l'homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir. Il dira donc : « Ces conséquences sont imputables à ma propre action. »
  Le partisan de l'éthique de conviction ne se sentira « responsable » que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu'elle ne s'éteigne pas, par exemple sur la flamme qui anime la protestation contre l'injustice sociale. [...]
  Mais cette analyse n'épuise pas encore le sujet. Il n'existe aucune éthique au monde qui puisse négliger ceci : pour atteindre des fins « bonnes », nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d'une part les moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d'autre part la possibilité ou encore l'éventualité de conséquences fâcheuses. Aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses."
 

Max Weber, "Le métier et la vocation d'homme politique", 1919, tr. fr. Julien Freund, in Le Savant et la politique, 10/18, p. 206-207.

[1] J. G. Fichte (1762-1814), philosophe allemand.

 

  "La morale, aux yeux de Weber, c'est l'impératif catégorique de Kant ou le Sermon sur la Montagne. Or traiter son semblable en fin et non en moyen est un commandement rigoureusement inapplicable dans toute politique concrète (même si l'on se donne pour but suprême la réalisation d'une société où cette loi deviendra réalité). Par définition, le politique combine des moyens, calcule les conséquences. Or, les conséquences sont les réactions humaines qu'il traite ainsi en phénomènes naturels ; les moyens, ce sont encore, au moins partiellement, les actions humaines ravalées au rang d'instruments. Quant à la morale du Christ : « tendre l'autre joue », c'est manque de dignité, si ce n'est sainteté, et la sainteté n'a pas de place dans la vie des collectivités. La politique est par essence immorale. Elle comporte « un pacte avec les puissances infernales » parce qu'elle est lutte pour la puissance et que la puissance mène à la violence dont l'État détient le monopole de l'usage légitime [...]. Il y a plus que rivalité des dieux, il y a lutte inexpiable."

 

Raymond Aron, Essai sur la théorie de l'Histoire dans l'Allemagne contemporaine, 1938, Vrin, p. 266-267.



  "Je n'approuve pas le mélange des idéologies, poursuivit Ivanof. Il n'y a que deux conceptions de la morale humaine, et elles sont à des pôles opposés. L'une d'elles est chrétienne et humanitaire, elle déclare l'individu sacré, et affirme que les règles de l'arithmétique ne doivent pas s'appliquer aux unités humaines – qui, dans notre équation, représentent soit zéro, soit l'infini. L'autre conception part du principe fondamental qu'une fin collective justifie tous les moyens, et non seulement permet mais exige que l'individu soit en toute façon subordonné et sacrifié à la communauté – laquelle peut disposer de lui soit comme d'un cobaye qui sert à une expérience, soit comme de l'agneau que l'on offre en sacrifice. La première conception pourrait dénommer morale antivivisectionniste ; la seconde morale vivisectionniste. Les fumistes et les dilettantes ont toujours essayé de mélanger les deux conceptions : en pratique cela est impossible. Quiconque porte le fardeau du pouvoir et de la responsabilité s'aperçoit du premier coup qu'il lui faut choisir ; et il est fatalement conduit à choisir la seconde conception. Connais-tu, depuis I'établissement du Christianisme comme religion d'État, un seul exemple d'État qui ait réellement suivi une politique chrétienne ? Tu ne peux pas m'en désigner un seul. Aux moments difficiles – et la politique est une suite ininterrompue de moments difficiles – les gouvernants ont toujours pu invoquer des « circonstances exceptionnelles », qui exigeaient des mesures exceptionnelles. Depuis qu'il existe des nations et des classes, elles vivent l'une contre l'autre dans un état permanent de légitime défense qui les force à remettre à d'autres temps l'application pratique de l'humanitarisme…"

 

Arthur Koestler, Le Zéro et l'infini, 1940, Le Livre de Poche, 1974, p. 192-193.



  "Morale et politique n'ont pas du tout le même but. La première répond à une exigence intérieure et concerne la rectitude des actes personnels selon les normes du devoir, chacun assumant pleinement la responsabilité de sa propre conduite. La politique au contraire répond à une nécessité de la vie sociale et celui qui s'engage dans cette voie entend participer à la prise en charge du destin global d'une collectivité. Aristote déjà faisait la distinction entre la vertu morale de l'homme de bien, qui vise la perfection individuelle, c'est-à-dire l'accomplissement de soi, et la vertu civique du citoyen qui est relative à l'aptitude de commander et d'obéir et au salut de la communauté. Encore qu'il serait souhaitable que l'homme politique soit toujours un homme de bien, il peut cependant ne pas l'être, d'autant plus que dans un État tous les citoyens ne sont pas hommes de bien et de vertu. Autrement dit, la politique a la charge de la communauté comme telle, indépendamment de la qualité morale et de la vocation personnelle des membres. Aussi est-il « possible d'être un bon citoyen sans posséder la vertu qui nous rend homme de bien » [1].
  [...] Il en résulte que la morale n'est ni conceptuellement ni logiquement inhérente à l'activité politique, c'est-à-dire qu'agir politiquement n'est la même chose qu'agir moralement et inversement. Nous rencontrons ici une autre distinction classique, celle qu'on a établie entre moralité et légalité. La loi morale est autonome, ce qui veut dire que dans ce cas nous obéissons à une obligation que nous nous sommes imposés nous-mêmes, tandis que la loi politique est hétéronome, ce qui signifie que nous nous soumettons à une règle qui nous est imposée de l'extérieur, par un pouvoir législatif qui peut s'appeler gouvernement, Parlement ou Conseil municipal. Bref, la morale est une affaire de discipline, la politique de contrainte."

 

Julien Freund, Qu'est-ce que la politique ?, 1965, Points Seuil, p. 6-7.
 

[1] Aristote, Politique, II, 45, 1276 b 34-35, trad. Tricot, Paris, Vrin, t. I, p. 180.

Date de création : 07/10/2006 @ 14:07
Dernière modification : 20/02/2024 @ 12:25
Catégorie :
Page lue 7162 fois

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^