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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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Hors des sentiers battus
L'idée de nation

    "Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. […]
    Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. […]
    Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation."

 

Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ?, 1887, Pocket, 1992, p. 54-56.



  "Comment définir la nation ? Les uns, la plupart, la définissent comme une sorte de substance née de la nature (d'un territoire aux frontières « naturelles » et grandie dans le temps historique. Ce qui lui attribue une « réalité » consistante, peut-être définitive autant que définie. Thèse qui convient à la bourgeoisie (parce qu'elle justifie et son État national et son attitude) quand elle adopte comme vérités éternelles parce que « naturelles », le patriotisme, voire le nationalisme absolu. Sous l'influence stalinienne, il est arrivé à la pensée marxiste d'adopter la même position ou à peu près (avec un supplément d'historicisme). Par contre, pour d'autres théoriciens, la nation comme le nationalisme se réduirait à l'idéologie. Plutôt qu'une « réalité substantielle », ou qu'une personne morale, la nation ne serait guère qu'une fiction projetée par la bourgeoisie sur ses propres conditions historiques et sur son origine, d'abord pour les magnifier dans l'imaginaire, ensuite pour voiler les contradictions de classes et entraîner la classe ouvrière dans une unité fictive avec elle. À partir de cette hypothèse, il est facile de réduire les questions nationales et régionales à des questions linguistiques et culturelles, d'importance secondaire. Ce qui conduit à un certain internationalisme abstrait.
  Mais le problème de la nation, ainsi posé, soit à partir de la naturalité, soit à partir de l'idéologie, ne fait-il pas abstraction de l'espace ? Les concepts se développent dans un espace mental, que la pensée finit par identifier à l'espace réel, celui de la pratique sociale et politique, alors qu'il n'en donne qu'une représentation, soumise elle-même à une représentation du temps historique.
  Considérée dans son rapport avec l'espace, la nation comprend deux moments, deux conditions :
a) un marché, lentement construit au cours d'un temps historique plus ou moins long, c'est-à-dire un ensemble complexe de rapports commerciaux et de réseaux de communication. Ce marché subordonne au marché national les marchés locaux et régionaux; il a donc des niveaux hiérarchisés. Là où les villes ont très tôt dominé les campagnes, la formation (sociale, économique, politique) du marché national diffère quelque peu de sa formation dans les pays où les villes se développèrent sur un fonds paysan, rural et féodal préexistant. Le résultat est à peu près le même : un espace centré, avec une hiérarchie de centres (essentiellement commerciaux, mais aussi religieux, « culturels », etc.), avec un centre principal, la capitale.
b) une violence, celle d'un État militaire (féodal, bourgeois, impérialiste, etc.) : pouvoir politique utilisant les ressources du marché ou la croissance des forces productives et s'en emparant avec des objectifs de puissance.
  Le rapport reste à déterminer entre la croissance économique « spontanée », l'intervention de la violence, et leurs effets respectifs. Dans cette hypothèse, les deux « moments » ont conjugué leurs effets pour produire un espace : celui d'un État-Nation. Celui-ci ne peut se définir ni par une substantialité personnaliste, ni par une pure fiction (un « centre spéculaire ») idéologique. Il a un autre mode d'existence, défini par son rapport avec un espace. Reste enfin à étudier aujourd'hui la connexion de ces espaces avec le marché mondial, l'impérialisme et les stratégies, les firmes multinationales et leurs aires."

 

Henri Lefebvre, La production de l'espace, 1974, 4e édition, Ed. Anthropos, 2000, p. 132-134.

 

 


Date de création : 09/10/2006 @ 20:53
Dernière modification : 24/02/2014 @ 09:40
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