"Le droit est ce qui est reconnu comme droit. Reconnu, c'est-à-dire approuvé ou prononcé par un pouvoir arbitral, et toutes portes ouvertes. Faute de quoi il n’y a jamais qu’un état de fait, devant lequel le droit reste suspendu. Posséder une montre, l’avoir dans sa poche, y trouver l’heure, ce n’est qu’un état de fait. Avoir droit de propriété sur la montre, c’est tout à fait autre chose ; revendiquer ce droit c’est s’adresser à l’arbitre dans un débat public ; c’est plaider et tenter de persuader. Le fait que le voleur possède la montre ne décide nullement de la propriété. Pareillement pour une maison. L’occuper, faire acte de possesseur, ce n’est nullement fonder un droit. On sait qu’il y a présomption de droit si j’occupe trente ans sans opposition ; mais cela même doit être décidé par arbitre et publiquement. Tant que le droit n’est pas dit de cette manière solennelle et impartiale, il n’y a jamais que possession, c'est-à-dire simple fait.{C}
Exposer ces notions c’est rappeler le sens des mots ; avoir ces notions présentes, c’est simplement savoir ce qu’on dit. Cela est bien ancien, et de sens commun. Nul ne plaidera jamais qu’il est propriétaire d’une chose attendu qu’il l’a prise à quelqu’un de plus faible. Ce qui est nouveau, c’est que les hommes essaient présentement de transférer la notion de droit dans une société des nations. Ici encore il faudra un tribunal arbitral et une opinion publique. Le tribunal seul est capable de transformer le fait en droit ; il réalise cette transformation par un jugement public, et il n’y a point d’autre moyen. Mais aussi ce moyen étant mis en œuvre, il ne manque plus rien au droit. Le droit est dit, le droit est reconnu. Si le fait ne s’y conforme, le fait n’a aucun pouvoir de droit. C’est encore le tribunal arbitral qui jugera si un fait de cinquante ou cent ans d’âge sera transformé en droit et proclamé tel. Le bon sensa ici une maxime, qui dit que nul n’est juge en sa propre cause.
Beaucoup estiment que le tribunal arbitral doit être en outre muni de pouvoir d’exécution, et, comme on dit, de gendarmes. Mais un tel pouvoir n’est point dans la notion de droit. Quand un tribunal arbitral, soit le juge civil, avec tous les recours, a prononcé, le droit est dit et reconnu. Il n’y manque rien. Il se peut qu’on ne puisse point transformer le droit en fait, par exemple si le débiteur est mort sans laisser un sou. Mais le tribunal n’en a pas moins dit le droit. Et la chose due ou volée, si jamais on la retrouve, on saura à qui elle appartient en droit, même si ce légitime propriétaire, étant mort lui aussi, ne peut être mis en possession. Au reste il suffit qu’un voleur coure pour garder en sa possession la chose volée ; elle n’en est pas moins dite volée ; et on peut avertir par mille moyens ceux qui seraient tentés de l’acheter, que celui qui la possède n’a pas le droit de la vendre. Ainsi le droit peut n’être jamais réalisé dans le fait sans cesser d’être un droit.
Aussi appelle-t-on droit, dans tous les pays, un système de formes et de précautions, à la fois d’usage et de bon sens, selon lesquelles un droit doit être dit et proclamé si l’on veut qu’il ait valeur de droit. Le fait peut être hors de l’action des pouvoirs, par exemple une fortune au fond de la mer ; cela n’empêche pas qu’on puisse dire, selon les formes du droit, à qui elle appartient légitimement.
Le conflit se trouve donc entre ceux qui souhaitent un règne du droit entre les nations, et ceux qui repoussent le droit et prétendent se borner au fait. La vieille et agréable coutume de juger en sa propre cause n'est pas encore oubliée des souverains. Aussi les voit-on naïvement tantôt se rallier au tribunal, s’il leur donne raison, tantôt récuser le tribunal, s’ils le soupçonnent seulement de pouvoir leur donner tort. C’est tantôt choisir le droit et la vie selon le droit, tantôt refuser tout droit et revenir à l’exercice de la force nue. Il est seulement plus difficile qu’autrefois de déguiser la force en droit. Pourquoi ? Parce que le tribunal arbitral existe.
Là-dessus on dit : « Oui, des représentants de petites nations, cela ne compte pas. » De tels juges n’en sont que plus évidemment impartiaux.
Ce qui brouille les notions, c’est qu’on aperçoit que de tels juges n’ont point de force, et qu’on essaie de les mépriser. Mais dire le droit cela ne suppose pas qu’on ait la force de réaliser le droit. Cet autre problème est réservé, et peut-être vaut-il mieux qu’il le soit. On comprendra mieux que l’essentielle fonction du juge est de dire le droit. « Et qu’en résultera-t-il ? » demandez-vous. Simplement que chacun saura redresser ses propres discours, s’il le veut. Cela revient à dire que le tribunal des nations n’a qu’un pouvoir moral. Et ceux qui disent que c’est peu ne connaissent l’homme. Car les usurpateurs ne cessent jamais de plaider et d’argumenter. Je cherche seulement à rédiger un article de dictionnaire qui permette de décrire correctement les conflits actuels. D’abord savoir ce qu’on dit."
Alain, Propos, 28 mars 1936.
"Vous trouvez normal qu'une partie de ballon rond ou ovale se déroule selon des règles, et sous le contrôle d'un arbitre qui sanctionne les fautes commises, que le conducteur d'une automobile respecte le code de la route, à l'application duquel veillent les agents de la circulation et les tribunaux ; en y réfléchissant un peu plus, vous constatez que ces deux activités humaines sont encadrées par de multiples dispositions qui limitent la liberté des acteurs : le joueur de football, de rugby, de basket appartient à un club, association de la loi de 1901, il évolue sur un terrain construit selon certaines normes, devant un public qui, le plus souvent, est muni d'un ticket d'entrée ; l'automobiliste possède une carte grise, un permis, une assurance, une vignette, le prix du carburant qu'il consomme comporte une part d'impôt…
On dira de tous deux qu'ils relèvent du droit, celui-ci régissant les rapports de chacun d'eux avec ses partenaires (le sportif avec ses coéquipiers et adversaires, le conducteur d'un véhicule avec les autres usagers de la route), et tous les deux avec la société sous ses différentes formes (pour le premier : l'association placée sous la tutelle de l'État, et qui fera partie d'une ligue et d'une fédération, pour le second : le fisc, le service des mines, le maire qui, par arrêté, réglemente la circulation et le stationnement dans la ville, etc.).
Le droit – dont il existe des définitions très complexes – n'est autre chose que l'ensemble des règles du jeu qui encadrent les activités des personnes et des groupes, de la plus modeste manifestation sportive aux fonctions exercées par le président de la République."
J. L. Cosperec, Guide du citoyen, Éditions Roudil.
Droit objectif et droits subjectifs
"Le droit objectif est constitué par l'ensemble des règles juridiques applicables à tous. C'est donc l'ensemble des règles de droit en vigueur dans un pays à un moment donné. L'expression droit positif est également utilisée dans un sens voisin.
Toutefois, pour qu'une personne devienne titulaire d'un droit, il faut qu'un événement survienne. M. Le Gwen a, par exemple, un droit de propriété sur un terrain situé en Bretagne depuis qu'il a acheté à M. Le Du, par contrat passé devant Me Saint-Quante, notaire. La passation du contrat est l'événement qui a créé le droit de propriété de M. Le Gwen. Les droits dont deviennent ainsi titulaires les individus sont appelés droits subjectifs.
Les droits subjectifs sont donc les prérogatives dont peut se prévaloir une personne, un sujet (subjectif)".
Remarque : LAW et RIGHT : en anglais, il existe deux termes distincts pour désigner :
le droit objectif = LAW
et un droit subjectif = RIGHT. La distinction de l'un et de l'autre pose donc moins de problèmes qu'en français…
Manuel de droit, Première STT, édition Bertrand-Lacoste, p. 4.
Prérogatives : autorité, avantage attaché à certaines fonctions, à certaines dignités, etc.
"Prenons […] le mot « droit ». Il ne vient pas du mot latin qui signifie « droit », et qui est le mot jus (au génitif : juris). Le mot « droit » vient du latin directum, qui a aussi donné « direct » et « direction », et qui signifie à l'origine « droit » dans le sens de « tout droit », le contraire de « tordu » – qui se dit en latin tortum. Mais tortum a aussi donné « tort » : a tort celui qui n'est pas « dans son droit » (en anglais, le mot tort est un terme juridique qui signifie « dommage »). L'italien diritto et l'espagnol derecho proviennent aussi de directum ; de façon très remarquable, l'anglais right et l'allemand recht dérivent de la même racine indo-européenne R-K qui se retrouve aussi dans directum, et signifient également « droit » dans les deux sens : le droit, et ce qui est droit. Mais cette même racine R-K se retrouve dans le mot latin regula, qui signifie règle : une règle, c'est droit. Si les substantifs européens qui désignent le droit ne dérivent pas du mot jus, ce terme est en revanche à l'origine d'une série d'adjectifs qui appartiennent au même champ : à commencer par « juridique », qui s'applique à tout ce qui concerne le droit en général. Mais aussi « judiciaire », qui désigne de façon plus étroite ce qui concerne la justice : on parle de l'organisation judiciaire, du droit judiciaire (le droit du procès), etc. La juridiction […] c'est le fait de dire (dictio) le droit (juris) : c'est l'acte propre du juge (le judex : « diseur » de droit). Enfin, le mot « justice » dérive évidemment de jus, ce qui marque bien le rapport des deux termes."
Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit, 2e édition, 1999, PUF, p.13.