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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Science et croyance

  "On dit avec juste raison que, dans le domaine de la science, les convictions n'ont pas droit de cité : c'est seulement lorsqu'elles se décident à adopter modestement les formes provisoires de l'hypothèse, du point de vue expérimental, de la fiction régulatrice, qu'on peut leur concéder l'accès du domaine de la connaissance et même leur y reconnaître une certaine valeur [...]. - Mais cela ne revient-il pas, au fond, à dire que c'est uniquement lorsque la conviction cesse d'être conviction qu'elle peut acquérir droit de cité dans la science ? La discipline de l'esprit scientifique ne commencerait-elle pas seulement au refus de toute conviction ?... C'est probable ; reste à savoir si l'existence d'une conviction n'est pas déjà indispensable pour que cette discipline elle-même puisse commencer. [...] On voit par là que la science elle-même repose sur une croyance ; il n'est pas de science sans postulat."
 

Nietzsche, Le Gai Savoir, 1882, § 344.



  "La science n'est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. Elle est une création de l'esprit humain au moyen d'idées et de concepts librement inventés. Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi, nos constructions mentales se justifient seulement si, et de quelle façon, nos théories forment un tel lien. […]
  À l'aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d'ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu'il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l'harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l'éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l'harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s'opposent à notre compréhension."


 

Albert Einstein et Léopold Infeld, L'Évolution des idées en physique, 1938.
 


  "Aucun grand savant ne peut être qualifié de scientiste. Ils se sont tous montrés sceptiques et prudents à l'égard de la science. Ils savaient que nous savons peu de choses. Par exemple, on ne voit guère comment le reproche de scientisme pourrait s'adresser à Henri Poincaré. Newton qui fut l'un des plus grands hommes et sans doute le plus grand savant de tous les temps se décrivait lui-même comme un petit garçon qui ramassait des pierres et des coquillages sur la plage, presque sans s'apercevoir que s'étendait devant lui un immense domaine inconnu, la mer. Je pense que tous les véritables savants se sont considérés un peu comme Newton : ils savaient que nous ne savions rien, et que même dans le champ déjà labouré par la science, tout demeure incertain. Comme vous le savez tous, la théorie de Newton a été plus ou moins supplantée par celle d'Einstein. C'est ainsi que les choses se passent en science.
  Jusqu'à il y a cent ans environ, on a cru que le domaine de la mécanique découvert par Newton engloberait tout le domaine de la science. Or, en 1890, un domaine nouveau apparut avec la découverte de l'électron par J.J. Thompson : l'électronique. Cela a entraîné une révolution dont presque personne ne s'est rendu compte en dehors du monde scientifique : la révolution de l'électronique dans laquelle nous vivons encore aujourd'hui. Cette révolution a connu différentes phases, sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. Je tiens seulement à rappeler que la science est un ouvrage humain et qu'en tant qu'ouvrage humain elle n'est pas infaillible. Et c'est précisément la conscience de l'imperfection de la science qui distingue le savant du scientiste. En effet, si le scientisme représente quelque chose, c'est la croyance aveugle et dogmatique en la science. Or cette croyance aveugle est étrangère au véritable savant. Et c'est pourquoi le reproche de scientisme s'adresse peut-être à certaines conceptions vulgaires de la science, mais ne peut pas toucher les savants eux-mêmes".

 

Karl Popper, L'avenir est ouvert, 1983, trad. J. Étoré, Champs Flammarion, 1995, p. 58-59.




Date de création : 14/10/2006 @ 14:13
Dernière modification : 21/01/2022 @ 18:43
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