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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
L'individu et l'Etat

  "L'autorité du gouvernement, même si elle est telle que j'accepte de m'y soumettre — car j'obéirai volontiers à ceux qui en savent plus que moi et font mieux que moi, et à plusieurs égards, même à ceux qui n'en savent pas autant et font moins bien —, reste impure : pour être strictement juste, elle doit posséder l'agrément et le consentement des gouvernés. Elle ne peut avoir de droit absolu sur ma personne et ma propriété sinon celui que je lui concède. Passer d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, d'une monarchie constitutionnelle à une démocratie, c'est un progrès vers le vrai respect pour l'individu. Même le philosophe chinois fut assez sage pour tenir l'individu comme le fondement de l'empire. La démocratie, telle que nous la connaissons, est-elle la dernière amélioration possible à un gouvernement ? N'est-il pas possible d'aller plus loin dans la reconnaissance et l'organisation des droits de l'homme ? Il n'y aura jamais d'État vraiment libre et éclairé tant qu'il ne reconnaîtra pas l'individu comme un pouvoir plus altier et indépendant, d'où dérivent son propre pouvoir et son autorité, et qu'il ne le traitera pas en conséquence. Il me plaît d'imaginer un État qui puisse se permettre d'être juste envers tous les hommes et qui traite l'individu avec respect comme un voisin ; qui ne jugerait pas sa propre quiétude menacée si quelques-uns s'installaient à l'écart, ne s'y mêlant pas, en refusant l'étreinte, sans pour autant s'abstenir de remplir tous les devoirs de bons voisins et compatriotes. Un État qui porterait ce genre de fruit, et le laisserait tomber aussi vite qu'il a mûri, ouvrirait la voie à un État encore plus glorieux et parfait, que j'ai également imaginé sans le voir nulle part."

 

Henry David Thoreau, La Désobéissance civile, 1849, trad. Guillaume Villeneuve, Mille et une nuits, p. 47-48.

 



  "Mais l'État revêt à l'égard de ses citoyens pris individuellement une double fonction tout à fait particulière qui peut au premier abord sembler contradictoire. D'un côté, il aplanit les différences entre les individus. Sur les registres officiels et dans les bureaux de l'administration étatique,l'individu est pratiquement défait de sa personnalité distinctive. L'individu devient un nom avec un numéro, un contribuable ou un homme qui demande assistance et protection, à qui les autorités officielles doivent donner satisfaction mais peuvent aussi refuser leur aide. Toutefois, bien que l'appareil étatique prenne ainsi l'individu dans un filet de lois qui est en gros identique pour tous les citoyens, ce ne sont pas les individus en tant que soeur ou oncle, membres d'un groupe familial ou de quelque autre forme d'intégration préétatique auxquels s'appliquent les droits et les devoirs civiques dans le cadre de l'organisation de l'État moderne, mais les individus pris isolément. Au stade ultime de l'évolution jusqu'à ce jour, le processus de l'organisation étatique contribue pour une bonne part à une poussée d'individualisation massive.
Mais l'ampleur et les modalités de cette individualisation varient considérablement en fonction de la structure étatique et surtout de la répartition des pouvoirs entre gouvernants et gouvernés, entre appareil étatique et citoyens. Sous les régimes dictatoriaux des pays de l'Est et d'une façon générale sous tous les régimes dictatoriaux le filet de lois étatiques se resserre si bien autour de l'individu, la réciprocité des contrôles entre gouvernants et gouvernés est si faible, que la marge de décision des citoyens et, par conséquent, la possibilité d'individualisation personnelle sont relativement restreintes. Surtout dans la vie publique, le contrôle extérieur l'emporte de loin sur le contrôle que l'individu peut exercer sur lui-même, qui se trouve le plus souvent relégué au domaine privé. Et même sur le plan privé, les possibilités d'individualisation sont encore restreintes par les monopoles de l'État sur la diffusion des connaissances, l'éducation, le droit d'association et de réunion, et tant d'autres.
La marge de contrôle individuel et de libre choix personnel qu'un certain type de société étatique offre à ses représentants est un critère important du degré d'individualisation. L'une des caractéristiques d'un régime dictatorial est le développement d'un habitus social spécifique des individus vivant sous ce régime. Ils s'adaptent dans une très large mesure au contrôle extérieur auquel ils sont soumis et se montrent souvent déconcertés, en un premier temps, lorsque ce contrôle s'affaiblit ou disparaît. L'initiative personnelle et la faculté de décision individuelle n'étant guère récompensées, et risquant même d'être mal vues voire réprimées par les organisations étatiques de ce type, les régimes correspondants ont tendance à se perpétuer eux-mêmes. Les individus qui mènent une vie collective de cet ordre perdent plus ou moins de leur assurance, ils vivent un conflit intérieur lorsqu'on exige d'eux d'une manière ou d'une autre un plus haut degré de contrôle individuel. Leurs dispositions sociales les poussent malgré eux à oeuvrer pour le rétablissement de la contrainte extérieure, autrement dit d'un gouvernement fort."
 
Norbert Elias, Les transformations de l'équilibre "nous-je", 1987, in La société des invididus, tr. Fr. Jeanne Étoré, Pocket, 1997, p. 237-238.


Date de création : 07/11/2006 @ 13:07
Dernière modification : 05/10/2011 @ 16:34
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