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La séparation des pouvoirs en politique

  "Le pouvoir législatif est celui qui a droit de régler comment les forces d'un État peuvent être employées pour la conservation de la communauté et de ses mem­bres. […] Et comme ce pourrait être une grande tentation pour la fragi­lité humaine, et pour ces personnes qui ont le pouvoir de faire des lois, d'avoir aussi entre leurs mains le pouvoir de les faire exécuter, dont elles pourraient se servir pour s'exempter elles-mêmes de l'obéissance due à ces lois qu'elles auraient faites, et être portées à ne se proposer, soit en les faisant, soit lorsqu'il s'agirait de les exécuter, que leur propre avantage, et à avoir des intérêts distincts et séparés des intérêts du reste de la communauté, et contraires à la fin de la société et du gouvernement : c'est, pour cette raison, que dans les États bien réglés, où le bien public est considéré comme il doit être, le pouvoir législatif est remis entre les mains de diverses personnes, qui dûment assemblées, ont elles seules, ou conjointe­ment avec d'autres, le pouvoir de faire des lois, auxquelles, après qu'elles les ont faites et qu'elles se sont séparées, elles sont elles-mêmes sujettes ; ce qui est un motif nouveau et bien fort pour les engager à ne faire de lois que pour le bien public.
[…]

  Quoique, comme j'ai dit, le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif de chaque société soient réellement distincts en eux-mêmes, ils se séparent néanmoins mal aisément, et on ne les voit guère résider, en un même temps, dans des personnes différentes. Car l'un et l'autre requérant, pour être exercés, les forces de la société, il est presque impossible de remettre les forces d'un État à différentes personnes qui ne soient pas subordonnées les unes aux autres. Que si le pouvoir exécutif, et le pouvoir fédératif, sont remis entre les mains de personnes qui agissent séparément, les forces du corps politique seront sous de différents commandements ; ce qui ne pourrait qu'attirer, tôt ou tard, des malheurs et la ruine à un État."

 

John Locke, Traité du gouvernement civil, 1690, Chapitre XII, sections 143 et 148.
 

  "The legislative power is that, which has a right to direct how the force of the common-wealth shall be employed for preserving the community and the members of it. […] And because it may be too great a temptation to human frailty, apt to grasp at power, for the same persons, who have the power of making laws, to have also in their hands the power to execute them, whereby they may exempt themselves from obedience to the laws they make, and suit the law, both in its making, and execution, to their own private advantage, and thereby come to have a distinct interest from the rest of the community, contrary to the end of society and government: therefore in well ordered commonwealths, where the good of the whole is so considered, as it ought, the legislative power is put into the hands of divers persons, who duly assembled, have by themselves, or jointly with others, a power to make laws, which when they have done, being separated again, they are themselves subject to the laws they have made; which is a new and near tie upon them, to take care, that they make them for the public good.
[…]

  Though, as I said, the executive and federative power of every community be really distinct in themselves, yet they are hardly to be separated, and placed at the same time, in the hands of distinct persons: for both of them requiring the force of the society for their exercise, it is almost impracticable to place the force of the common-wealth in distinct, and not subordinate hands; or that the executive and federative power should be placed in persons, that might act separately, whereby the force of the public would be under different commands: which would be apt some time or other to cause disorder and ruin".

 

John Locke, Two treatises of Civil Government, 1689, Book 2, Chapter XII, sections 143 & 148.



  "Le pouvoir législatif est celui qui a droit de régler comment les forces d'un État peuvent être employées pour la conservation de la communauté et de ses mem­bres. Mais parce que ces lois, qui doivent être constamment exécutées, et dont la vertu doit toujours subsister, peuvent être faites en peu de temps, il n'est pas nécessaire que le pouvoir législatif soit toujours sur pied, n'ayant pas toujours des affaires qui l'occupent. Et comme ce pourrait être une grande tentation pour la fragilité humaine, et pour ces personnes qui ont le pouvoir de faire des lois, d'avoir aussi entre leurs mains le pouvoir de les faire exécuter, dont elles pourraient se servir pour s'exempter elles-mêmes de l'obéissance due à ces lois qu'elles auraient faites, et être portées à ne se proposer, soit en les faisant, soit lorsqu'il s'agirait de les exécuter, que leur propre avantage, et à avoir des intérêts distincts et séparés des intérêts du reste de la communauté, et contraires à la fin de la société et du gouvernement : c'est, pour cette raison, que dans les États bien réglés, où le bien public est considéré comme il doit être, le pouvoir législatif est remis entre les mains de diverses personnes, qui dûment assemblées, ont elles seules, ou conjointement avec d'autres, le pouvoir de faire des lois, auxquelles, après qu'elles les ont faites et qu'elles se sont séparées, elles sont elles-mêmes sujettes ; ce qui est un motif nouveau et bien fort pour les engager à ne faire de lois que pour le bien public.
  Mais parce que les lois qui sont une fois et en peu de temps faites, ont une vertu constante et durable, qui oblige à les observer et à s'y soumettre continuelle­ment, il est nécessaire qu'il y ait toujours quelque puissance sur pied qui fasse exécu­ter ces lois, et qui conserve toute leur force : et c'est ainsi que le pouvoir législatif, et le pouvoir exécutif, se trouvent souvent séparés.

  Il y a un autre pouvoir dans chaque société, qu'on peut appeler naturel, à cause qu'il répond au pouvoir que chaque homme a naturellement avant qu'il entre en société. Car, quoique dans un État les membres soient des personnes distinctes qui ont toujours une certaine relation de l'une à l'autre, et qui, comme telles, sont gouvernées par les lois de leur société, dans cette relation pourtant qu'elles ont avec le reste du genre humain, elles composent un corps, qui est toujours, ainsi que chaque membre l'était auparavant, dans l'état de nature, tellement que les différends qui arrivent entre un homme d'une société, et ceux qui n'en sont point, doivent intéresser cette société-là, et une injure faite à un membre d'un corps politique engage tout le corps à en demander réparation. Ainsi, toute communauté est un corps qui est dans l'état de nature, par rapport aux autres États, ou aux personnes qui sont membres d'autres communautés.
  C'est sur ce principe qu'est fondé le droit de la guerre et de la paix, des ligues, des alliances, de tous les traités qui peuvent être faits avec toutes sortes de communautés et d'États peut être appelé, si l'on veut, droit ou pouvoir fédé­ra­tif […]
  Ces deux pouvoirs, le pouvoir exéctif, et le pouvoir fédératif, encore qu'ils soient réellement distincts en eux-mêmes, l'un comprenant l'exécution des lois positives de l'État, de laquelle on prend soin au-dedans de la société ; l'autre, les soins qu'on prend, et certaine adresse dont on use pour ménager les intérêts de l’État, au regard des gens de dehors et des autres sociétés; cependant, ils ne laissent pas d'être presque toujours joints. Pour ce qui regarde en particulier le pouvoir fédératif, ce pouvoir, soit qu'il soit bien ou mal exercé, est d'une grande conséquence à un État; mais il est pourtant moins capable de se conformer à des lois antécédentes, stables et positives, que n'est le pouvoir exécutif ; et, par cette raison, il doit être laissé à la prudence et à la sagesse de ceux qui en ont été revêtus, afin qu'ils le ménagent pour le bien public. En effet, les lois qui concernent les sujets entre eux, étant destinées à régler leurs actions, doivent précéder ces actions-là : mais qu'y a-t-il à faire de semblable à l'égard des étrangers, sur les actions desquels on ne saurait compter ni prétendre avoir aucune juridiction ? Leurs sentiments, leurs desseins, leurs vues, leurs intérêts peuvent varier; et on est obligé de laisser la plus grande partie de ce qu'il y a à faire auprès d'eux, à la prudence de ceux à qui l'on a remis le pouvoir fédératif, afin qu'ils emploient ce pouvoir, et ménagent les choses avec le plus de soin pour l'avantage de l'État.
  Quoique, comme j'ai dit, le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif de chaque société soient réellement distincts en eux-mêmes, ils se séparent néanmoins mal aisément, et on ne les voit guère résider, en un même temps, dans des personnes différentes. Car l'un et l'autre requérant, pour être exercés, les forces de la société, il est presque impossible de remettre les forces d'un État à différentes personnes qui ne soient pas subordonnées les unes aux autres. Que si le pouvoir exécutif, et le pouvoir fédératif, sont remis entre les mains de personnes qui agissent séparément, les forces du corps politique seront sous de différents commandements; ce qui ne pourrait qu'attirer, tôt ou tard, des malheurs et la ruine à un État. […]
  Dans toutes les causes, et dans toutes les occasions qui se présentent, le pouvoir législatif est le pouvoir souverain. Car ceux qui peuvent proposer des lois à d'autres doivent nécessairement leur être supérieurs : et puisque l'autorité législative n'est l'autorité législative de la société politique que par le droit qu'elle a de faire des lois pour toutes les parties et pour tous les membres de la société, de prescrire des règlements pour leurs actions, et de donner le pouvoir de punir exemplairement ceux qui les auraient enfreints, il est nécessaire que le pouvoir législatif soit souverain, et que tous les autres pouvoirs des différents membres de l'État dérivent de lui et lui soient subordonnés."

 

John Locke, Traité du gouvernement civil, 1690, Chapitre XIII § 143-148 et § 150, tr. fr. David Mazel, GF, 1992, p. 250-254.



  "Lorsque le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont en différentes mains, comme dans toutes les monarchies modérées, et dans tous les gouvernements bien réglés, le bien de la société demande qu'on laisse quantité de choses à la discrétion de celui qui a le pouvoir exécutif. Car, les législateurs n'étant pas capables de prévoir tout, ni de pourvoir, par des lois, à tout ce qui peut être utile et nécessaire à la communauté, celui qui fait exécuter les lois, étant revêtu de pouvoir, a, par les lois communes de la nature, le droit d'employer son pouvoir pour le bien de la société, dans plusieurs cas, auxquels les lois de l'État n'ont point pourvu, jusqu'à ce que le pouvoir législatif puisse être dûment assemblé, et y pourvoir lui-même. Et, certainement, il y a plusieurs cas auxquels les législateurs ne sauraient pourvoir en aucune manière ; et ces cas-là doivent nécessairement être laissés à la discrétion de celui qui a le pouvoir exécutif entre les mains, pour être réglés par lui, selon que le bien public et l'avantage de la société le demandera. Cela fait que les lois mêmes, doivent, en certains cas, céder au pouvoir exécutif, ou plutôt à la loi fondamentale de la nature et du gouvernement, qui est, qu'autant qu'il est possible, tous les membres de la société doivent être conservés. En effet, plusieurs accidents peuvent arriver, dans lesquels une observation rigide et étroite des lois est capable de causer bien du préjudice, comme de ne pas abattre la maison d'un homme de bien pour arrêter le ravage d'un incendie; et un homme, en s'attachant scrupuleusement aux lois, qui ne font point distinction des personnes, peut faire une action qui mérite une récompense, et qui, en même temps, ait besoin de pardon. C'est pourquoi, celui qui tient les rênes du gouvernement, doit avoir, en divers cas, le pouvoir d'adoucir la sévérité des lois, et de pardonner quelques crimes, vu que la fin du gouvernement étant de conserver tous les membres de la société, autant qu'il se peut, des coupables doivent être épargnés, et obtenir leur pardon, lorsqu'on voit manifestement qu'en leur faisant grâce, on ne cause aucun préjudice aux innocents.
   Le pouvoir d'agir avec discrétion pour le bien public, lorsque les lois n'ont rien prescrit sur de certains cas qui se présentent, ou quand même elles auraient prescrit ce qui doit se faire en ces sortes de cas, mais qu'on ne peut exécuter dans de certaines conjonctures sans nuire fort à l'État : ce pouvoir, dis-je, est ce qu'on appelle prérogative, et il est établi fort judicieusement. Car, puisque dans quelques gouvernements le pouvoir législatif n'est pas toujours sur pied ; que même l'assemblée de ce pouvoir est d'ordinaire trop nombreuse et trop lente à dépêcher les affaires qui demandent une prompte exécution; et qu'il est impossible de prévoir tout, et de pourvoir, par les lois, à tous les accidents et à toutes les nécessités qui peuvent concerner le bien public, ou de faire des lois qui ne soient point capables de causer du préjudice dans certaines circonstances, quoiqu'on les exécute avec une rigueur inflexible dans toutes sortes d'occasions, et à l'égard de toutes sortes de personnes : c'est pour toutes ces raisons qu'on a donné une grande liberté au pouvoir exécutif, et qu'on a laissé à sa discrétion et à sa prudence bien des choses dont les lois ne disent rien."

 

John Locke, Traité du gouvernement civil, 1690, Chapitre XIV, § 159-160, tr. fr. David Mazel, GF, 1992, p. 262-264.



  "Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
  Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger ; et l'autre, simplement la puissance exécutrice de l'État.

  La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
  Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement. Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
  Dans la plupart des royaumes de l'Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l'exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme."

 

Montesquieu, De l'Esprit des lois, 1748, Livre XI, Chapitre 6.
 

    "Les pouvoirs qui s'exercent sur nous menacent toujours la liberté et la justice. Quelles précautions doit prendre la Constitution politique pour limiter cette menace ?
  Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
  Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. [...]
  Voyez quelle peut être la situation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu'il s'est donnée comme législateur. il peut ravager l'État par ses volontés générales ; et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières.
  Toute la puissance y est une ; et, quoiqu'il il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant."

 

Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748, livre XI, chapitre 6, GF, 1979, t. 1, p. 294-295.


  "Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible ; car la volonté est générale, ou elle ne l'est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d'une partie. Dans le premier cas, cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi ; dans le second, ce n'est qu'une volonté particulière, ou un acte de magistrature ; c'est un décret tout au plus. Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet : ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance, exécutive ; en droits d'impôt, de justice et de guerre ; en administration intérieure et en pouvoir de traiter avec l'étranger : tantôt ils confondent toutes ces parties, et tantôt ils les séparent. Ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées ; c'est comme s'ils composaient l'homme de plusieurs corps, dont l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds, et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs ; puis, jetant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques ; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment. Cette erreur vient de ne s'être pas fait des notions exactes de l'autorité souveraine, et d'avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n'en était que des émanations. Ainsi, par exemple, on a regardé l'acte de déclarer la guerre et celui de faire la paix comme des actes de souveraineté ; ce qui n'est pas puisque chacun de ces actes n'est point une loi, mais seulement une application de la loi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l'idée attachée au mot loi sera fixée. En suivant de même les autres divisions, on trouverait que, toutes les fois qu'on croit voir la souveraineté partagée, on se trompe ; que les droits qu'on prend pour des parties de cette souveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l'exécution."

 

Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762, Livre III, chapitre 2.



  "Tous les pouvoirs du gouvernement – législatifs, exécutifs, judiciaires – reviennent au corps législatif. La concentration de ces pouvoirs dans les mêmes mains est précisément ce qui définit un gouvernement despotique. Le fait que l'exercice de ces pouvoirs soit confié à un certain nombre de mains et non à une main unique n'arrange rien. L'oppression de cent soixante-treize despotes vaut certainement celle d'un despote unique ; que ceux qui en doutent regardent la république de Venise. Le fait que nous les choisissions nous-mêmes ne nous sert pas davantage. Si nous avons combattu, ce n'était pas dans l'idée de nous donner pour gouvernement un despotisme électif ; c'était pour nous donner un gouvernement, non seulement fondé sur des principes de liberté, mais dans lequel les pouvoirs seraient partagés et équilibrés entre différents organes de magistrature, de telle sorte qu'aucun de ces organes ne pourrait outrepasser les limites fixées par la loi sans être efficacement arrêté et contenu par les autres. C'est pour cette raison que la convention qui arrêta l'organisation du gouvernement la fonda sur le principe que les branches législative, exécutive et judiciaire seraient séparées et distinctes, afin qu'aucun individu n'exerce plus d'un de ces pouvoirs en même temps."

 

Thomas Jefferson, Observations sur la Virginie, Question XIII, 1786, in La Liberté et l'État, Éditions Seghers, 1970, p. 173.


 

  "Il doit exister, comme il va de soi dans toute société, un pouvoir qui l'emporte sur tout autre ; que ce pouvoir doive résider dans la majorité paraît être ce qu'il y a de plus juste : non pas juste en soi, mais moins injuste que toute autre solution. Mais il est nécessaire que les institutions sociales comportent des dispositions convenables pour que soit maintenue en existence une forme d'opposition permanente à la volonté de la majorité, afin de corriger ses vues partielles et de protéger tant la liberté de penser que l'individualité du caractère. Les pays qui ont su progresser durablement ou se conserver dans leur grandeur sont ceux où l'on trouve une opposition organisée face au pouvoir dominant, quel qu'il soit – les plébéiens face aux patriciens, le clergé aux rois, les libres penseurs au clergé, les rois aux barons, les communes aux rois et à l'aristocrate."
 
 
 
John Stuart Mill, Essai sur Bentham, 1838, tr. fr. Patrick Thierry, PUF, 1998, p. 228-229.

  "La séparation des pouvoirs est-elle ou non un prin­cipe démocratique ? L'opposition de l'idéologie et de la réalité ne permet pas une réponse tranchée à cette ques­tion. Du point de vue de l'idéologie, une séparation des pouvoirs, l'attribution de la législation et de l'exé­cution à des organes différents, ne correspond aucu­nement à l'idée que le peuple ne doive être gouverné que par lui-même. De cette idée, il résulterait au contraire que tous les pouvoirs et par conséquent toutes les fonctions de formation de la volonté étatique devraient être réunies entre les mains du peuple ou du moins du Parlement qui le représente. De fait, ce n'est nullement afin de frayer la voie à la démocratie, que l'on a, depuis Montesquieu, fait valoir le dogme de la séparation des pouvoirs, mais plutôt au contraire en vue de conserver au monarque, à moitié éliminé de la législation par le mouvement démocratique, la possibilité d'exercer un pouvoir propre dans le domaine de l'exécution. Le dogme de la séparation des pouvoirs est le noyau de l'idéologie de la monarchie constitu­tionnelle. D'où également la théorie curieuse, absolu­ment inconciliable avec la notion et l'essence de l'exécution – réservée au monarque – que défendent les auteurs de droit public, du moins les monarchistes, de la parité, de l'égalité et de l'indépendance de l'exécution vis-à-vis de la législation. Théorie qui acquiert une grande influence dans la pratique de la monarchie constitutionnelle. Car, de quelque façon que le jeu des forces s'organise dans l'État, la séparation des pou­voirs a pour conséquence que l'organe législatif poly­céphale, dans lequel seul le peuple est représenté, ne peut pas établir sa suprématie. Si le pouvoir exécutif est confié à un monarque et est – contrairement à sa notion même – mis sur le pied d'égalité avec la législature au lieu de lui être subordonné, c'est un fait d'expérience que ce monarque fait figure de pouvoir supérieur à la représentation nationale qui participe avec lui à la législation. Il apparaît ici que l'on surestime politiquement la fonction législative. C'est presque une ironie de l'histoire qu'une République comme les États-Unis d'Amérique accepte dévotement le dogme de la séparation des pouvoirs et le pousse à l'extrême précisément au nom du principe démocratique. D'ailleurs, la situation du Président des États-­Unis est consciemment modelée sur celle du roi d'Angleterre. Lorsque, dans la République présiden­tielle, le pouvoir exécutif est confié à un Président qui n'est pas désigné par le Parlement, mais directement élu par le peuple, et lorsque l'indépendance de ce Président investi de la fonction exécutive vis-à-vis de la représentation nationale est assurée encore d'autre façon, il en résulte – si paradoxal que cela puisse apparaître et, en dépit de ce que, vraisemblablement, on se proposait – plutôt un affaiblissement qu'un renforcement du principe de la souveraineté du peuple. Car lorsqu'en face du peuple des électeurs, qui compte des millions d'individus, on place comme élu un unique individu, l'idée de la représentation du peuple perd nécessairement sa dernière apparence de bien-fondé. Ce qui dans une assemblée comme le Par­lement, qui réunit tous les partis populaires, est encore possible : que de la coopération de toutes ces forces se dégage quelque chose que l'on puisse consi­dérer comme une volonté nationale, cela est impossible chez le Président désigné par élection populaire directe, par suite entièrement indépendant du Parle­ment, incontrôlable d'autre part par le peuple lui­-même, corps immense et incapable d'action, tout comme chez un monarque héréditaire  et même les chances d'une autocratie – limitée sans doute dans le temps – peuvent dans certaines circonstances être plus grandes dans le régime présidentiel que dans la monarchie héréditaire. Le mode d'investiture ne joue pas ici un rôle décisif. Combien l'idée de représenta­tion a peu d'affinités avec le principe démocratique, on le reconnaît au fait que l'autocratie se sert de la même fiction. De même que le monarque et tout parti­culièrement le monarque absolu, on donne aussi tout fonctionnaire institué par lui pour un organe, par conséquent pour un représentant de la collectivité nationale tout entière, de l'État. Il n'y a pas d'usur­pateur ni de tyran qui ait jamais renoncé à justifier son pouvoir de cette façon. Entre l'autocratie d'un monarque héréditaire qui invoque la formule de la représentation et la pseudo-démocratie d'un empereur élu, la différence n'est pas très grande.
  Malgré tout, la séparation des pouvoirs agit parfois aussi dans un sens démocratique. Tout d'abord, en tant qu'elle réalise une division du pouvoir et en empêche une concentration favorable à son expansion et à son exercice arbitraire. Ensuite, en tant qu'elle tend à soustraire le stade important de la formation de la volonté étatique générale à l'influence directe du gouvernement et permet aux sujets de l'influencer directement, et réduit en sens inverse la fonction du gouvernement à l'exécution des lois.

  Ceci n'aboutit pas, à proprement parler, à une réduc­tion de la domination au minimum. On croirait plutôt – pour se servir d'une image – que la somme d'énergie sociale qui s'exprime dans la domination politique reste constante dans le passage des formes autocratiques aux formes démocratiques, qu'il se produit unique­ment une certaine répartition du poids de cette domi­nation jusqu'alors concentré en un point unique, répartition qui donne à ses sujets l'impression qu'elle est plus légère. La volonté dominatrice ne perd rien de son intensité par le fait qu'elle résulte de la colla­boration de plusieurs organes. L'idée de la direction par les chefs sans doute est obscurcie par le fait qu'on se représente le gouvernement subordonné à un Parlement de plusieurs centaines de membres ; qu'au chef unique, seule et unique incarnation de la domination, se substitue une pluralité de personnes qui se partagent la fonction de commandement, c'est-à-dire de création de la volonté dirigeante."

 

Hans Kelsen, La Démocratie. Sa nature, sa valeur, 1929, tr. fr. Charles Eisenman, Dalloz, 2004, p. 91-95.


 

  "Pris au sens littéral ou interprété comme le principe de la répartition des pouvoirs, le principe de la séparation des pouvoirs n'est pas essentiellement démocratique. À l'inverse, à l'idée de démocratie correspond la notion selon laquelle le pouvoir appartient tout entier au peuple et que, dans les situations où la démocratie indirecte seule est possible, le pouvoir est exercé dans son intégralité par un organe collégial dont les membres sont élus par le peuple, cet organe étant juridiquement responsable devant le peuple. Si cet organe ne remplit que des fonctions législatives, les autres organes chargés d'exécuter les normes créées par le législateur doivent être responsables devant ce dernier, même s'ils ne sont pas élus par le peuple. La stricte exécution des normes générales intéresse au premier chef celui qui les a créées, l'organe législatif. Le contrôle exercé par les organes à qui incombe la fonction législative sur les organes chargés des fonctions exécutives et judiciaires témoigne de la relation qui unit naturellement ces trois fonctions. La démocratie exige par conséquent que l'organe législatif soit investi d'un pouvoir de contrôle à l'égard des organes administratifs et judiciaires. Lorsque la constitution d'un État démocratique prévoit que la fonction législative soit séparée des fonctions exécutives, ou qu'elle prescrit que les organes chargés de l'application du droit contrôlent le législateur – ou que les tribunaux contrôlent les fonctions législative et administrative –, ces dispositions ne trouvent qu'une explication historique, elles ne sont pas justifiées pas en tant qu'éléments spécifiquement démocratiques.

 

Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l'État, 1945, tr. fr. Valérie Faure, Bruylant L.G.D.G., 1997, p. 331.


 


Date de création : 15/11/2006 @ 17:48
Dernière modification : 30/05/2023 @ 11:40
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