"L'histoire naturelle, à l'époque classique, ne peut pas se constituer comme biologie. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, en effet, la vie n'existe pas. Mais seulement des êtres vivants. Ceux-ci forment une, ou plutôt plusieurs classes dans la série de toutes les choses du monde : et si on peut parler de la vie, c'est seulement comme d'un caractère - au sens taxinomique du mot - dans l'universelle distribution des êtres. On a l'habitude de répartir les choses de la nature en trois classes : les minéraux, auxquels on reconnaît la croissance, mais sans mouvement ni sensibilité ; les végétaux qui peuvent croître et qui sont susceptibles de sensation ; les animaux qui se déplacent spontanément. Quant à la vie et au seuil qu'elle instaure, on peut, selon les critères qu'on adopte, les faire glisser tout au long de cette échelle. Si, avec Maupertuis , on la définit par la mobilité et les relations d'affinités qui attirent les éléments les uns vers les autres et les maintiennent attachés, il faut loger la vie dans les particules les plus simples de la matière. On est obligé de la situer beaucoup plus haut dans la série si on la définit par un caractère chargé et complexe, comme le faisait Linné quand il lui fixait comme critères la naissance (par semence ou bourgeon), la nutrition (par intussusception ), le vieillissement, le mouvement extérieur, la propulsion interne des liqueurs, les maladies, la mort, la présence de vaisseaux, de glandes, d'épidermes et d'utricules . La vie ne constitue pas un seuil manifeste à partir duquel des formes entièrement nouvelles du savoir sont requises. Elle est une catégorie de classement, relative comme toutes les autres aux critères qu'on se fixe. Et comme toutes les autres, soumise à certaines imprécisions dès qu'il s'agit d'en fixer les frontières. De même que le zoophyte est à la frange ambiguë des animaux et des plantes, de même les fossiles, de même les métaux se logent à cette limite incertaine où on ne sait s'il faut ou non parler de la vie. Mais la coupure entre le vivant et le non vivant n'est jamais un problème décisif. Comme le dit Linné, le naturaliste - celui qu'il appelle Historiens naturalis [l'historien de la nature] -« distingue par la vue les parties des corps naturels, il les décrit convenablement selon le nombre, la figure, la position et la proportion, et il les nomme » . Le naturaliste, c'est donc l'homme du visible structuré et de la dénomination caractéristique. Non de la vie."
Michel Foucault, Les Mots et les choses, Éd. Gallimard, 1972, p. 173-174.
"Augustin, au IVe siècle de notre ère, disait du temps :
« Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. »
L'interrogation d'Augustin semble s'appliquer aussi bien à la vie. Quel biologiste oserait prétendre en posséder la définition ultime ? Si tel était le cas, il gagnerait peut-être un siège d'honneur au Comité Consultatif National d'Éthique, mais risquerait surtout de se prendre pour un nouveau Faust ou un héritier du docteur Frankenstein : ne serait-il pas en possession d'une connaissance et donc d'un pouvoir jusqu'alors réservés aux dieux ? Bien plus, ne serait-il pas devenu Dieu lui-même ?"
P.-H. Gouyon, J.-P. Henry et J. Arnould, Les Avatars du gène, 1997, Introduction, Belin, 2008, p. 9.
[1] Augustin, Confessions, livre XI, chapitre 14.
"Pour inaugurer dignement l'an 2000 [...] on m'a demandé de répondre à la question : qu'est-ce que la vie ? Cette question me paraît d'autant plus appropriée qu'elle n'a pas de réponse. Depuis qu'il y a des hommes et qui pensent, ils ont dû se poser une telle question. Chacun apprend rapidement qu'il est, tôt ou tard, destiné à mourir. Chacun a vu des animaux ou des humains morts. Chacun sait que la vie est un état éphémère. Chacun voudrait bien savoir en quoi il consiste. Le malheur est qu'il est particulièrement difficile, sinon impossible, de définir la vie. C'est un peu comme le temps. Chacun a une idée intuitive de ce qu'est le temps. Mais quand il faut le définir, on y arrive rarement. [...]
Longtemps, savants et philosophes ont cherché à élucider la nature de la vie. L'idée suggérait l'existence de quelque substance ou de quelque force spéciale. On pensait que la "matière vivante", comme on disait alors, différait de la matière ordinaire par une substance ou une force qui lui donnait des propriétés particulières. Et pendant des siècles, on a cherché à découvrir cette substance ou cette force vitale. En réalité la vie est un processus, une organisation de la matière. Elle n'existe pas en tant qu'entité indépendante qu'on pourrait caractériser. On peut donc faire l'étude du processus ou de l'organisation, mais pas de l'idée abstraite de vie. On peut tenter de décrire, on peut tenter de définir ce qu'est un organisme vivant. On peut chercher à établir la ligne de démarcation entre vivant et non vivant. Mais il n'y a pas de « matière vivante {C}{C}{C}{C}{C}{C}». Il y a de la matière qui compose les êtres vivants et cette matière n'a pas de propriété particulière que n'aurait pas ce qui compose les corps inertes".
François Jacob, Qu'est-ce que la vie ?, conférence prononcée le 1er janvier 2000.
"Disons donc - et tel est le principe de notre recherche -, que ce qui distingue l'animé de l'inanimé, c'est la vie. Or il y a plusieurs manières d'entendre la vie, et il suffit qu'une seule d'entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour qu'on le dise vivant : que ce soit l'intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement qu'implique la nutrition, enfin le dépérissement et la croissance. C'est pour cette raison que toutes les plantes mêmes sont considérées comme des vivants ; on constate en effet qu'elles possèdent un pouvoir et un principe interne qui les rend capables de croître et de décroître [...]. Pour le moment contentons-nous de dire que l'âme est le principe des facultés susdites et se définit par elles, à savoir : les facultés nutritive, sensitive, pensante et le mouvement."
Aristote, De l'âme, II, 2, 413 a-b.
"L'idée de la vie est une de ces idées générales et obscures produites en nous par certaines suites de phénomènes que nous voyons se succéder dans un ordre constant et se tenir par des rapports mutuels. Quoique nous ignorions la nature du lien qui les unit, nous sentons que ce lien doit exister, et cela nous suffit pour nous les faire désigner par un nom que bientôt le vulgaire regarde comme le signe d'un principe particulier, quoique en effet ce nom ne puisse jamais indiquer que l'ensemble des phénomènes qui ont donné lieu à sa formation.
Ainsi notre propre corps, et plusieurs autres qui ont avec lui des rapports de forme et de structure plus ou moins marqués, paraissant résister pendant un certain temps aux lois qui gouvernent les corps bruts, et même agir sur tout ce qui les environne, d'une manière entièrement contraire à ces lois, nous employons les noms de vie et de force vitale pour désigner ces exceptions, au moins apparentes, aux lois générales. C'est donc en déterminant exactement en quoi ces exceptions consistent, que nous fixerons le sens de ces mots. Considérons pour cet effet les corps dont je viens de parler, dans leurs rapports actifs et passifs avec le reste de la nature.
Examinons, par exemple, le corps d'une femme dans l'état de jeunesse et de santé : ces formes arrondies et voluptueuses, cette souplesse gracieuse de mouvements, cette douce chaleur, ces joues teintes des roses de la volupté, ces yeux brillants de l'étincelle de l'amour ou du feu du génie, cette physionomie égayée par les saillies de l'esprit, ou animée par le feu des passions : tout semble se réunir pour en faire un être enchanteur. Un instant suffit pour détruire ce prestige. Souvent, sans aucune cause apparente, le mouvement et le sentiment viennent à cesser ; le corps perd sa chaleur, les muscles s'affaissent et laissent paraître les saillies anguleuses des os ; les yeux deviennent ternes, les joues et les lèvres livides. Ce ne sont-là que les préludes de changements plus horribles : les chairs passent au bleu, au vert, au noir, elles attirent l'humidité et pendant qu'une portion s'évapore en émanations infectes, une autre s'écoule en une sanie putride, qui ne tarde pas à se dissiper aussi, en un mot, au bout d'un petit nombre de jours, il ne reste plus que quelques principes terreux ou salins ; les autres éléments se sont dispersés dans les airs et dans les eaux pour entrer dans de nouvelles combinaisons.
Il est clair que cette séparation est l'effet naturel de l'inaction de l'air, de l'humidité, de la chaleur, en un mot, de tous les corps extérieurs sur le corps mort, et qu'elle a sa cause dans l'attraction élective de ces divers agents pour les éléments qui le composaient. Cependant ce corps en était également entouré pendant sa vie, leurs affinités pour ses molécules étaient les mêmes et celles-ci y eussent cédé également, si elles n'avaient pas été retenues ensemble par une force supérieure à ces affinités, qui n'a cessé d'agir sur elle qu'à l'instant de la mort.
Voilà de tous les phénomènes dont les idées particulières entrent dans l'idée générale de la vie, celui qui paraît d'abord en constituer l'essence, puisque nous ne pouvons concevoir la vie sans lui, et qu'il existe évidemment sans interruption jusqu'à l'instant de la mort.
Mais l'étude suivie d'un corps vivant quelconque nous montre bientôt que cette force qui retient ensemble les molécules malgré les forces extérieures qui tendent à les séparer, ne borne pas son activité à ce résultat tranquille, et que sa sphère s'étend au-delà des limites du corps vivant lui-même. Il ne paraît pas du moins que cette force diffère de celle qui attire de nouvelles molécules pour les intercaler entre celles qui existaient déjà ; et cette action du corps vivant pour attirer les molécules environnantes n'est pas moins continuelle que celle qu'il exerce pour retenir les siennes propres ; car, outre que l'absorption des matières alimentaires, et leur passage dans le fluide nourricier et par lui à toutes les parties, ne souffrent guère d'interruption, et se continuent d'un repas à l'autre il y a une autre absorption qui se fait continuellement à la surface extérieure, et une troisième qui a lieu par l'effet de la respiration. Ces deux dernières sont même les seules qui existent dans tous les corps vivants qui ne digèrent pas, c'est-à-dire dans toutes les plantes. Or, comme nous voyons que les corps vivants ne croissent pas indéfiniment, mais que la nature a assigné à chacun d'eux des limites qu'il ne peut dépasser, nous sommes obligés d'en conclure, qu'ils perdent d'un côté au moins une grande partie de ce qu'ils reçoivent de l'autre. Et en effet, une observation attentive a appris que la transpiration et une multitude d'autres voies leur enlèvent continuellement de leur substance.
Ainsi doit se modifier l'idée que nous nous étions formée d'abord du principal phénomène de la vie : au lieu d'une union constante dans les molécules, nous devons y voir une circulation continuelle du dehors au dedans, et du dedans au dehors, constamment entretenue et cependant fixée entre certaines limites. Les corps vivants doivent donc être considérés comme des espèces de foyers dans lesquels les substances mortes sont portées successivement pour s'y combiner entre elles de diverses manières, pour y tenir une place et y exercer une action déterminée par la nature des combinaisons où elles sont entrées, et pour s'en échapper un jour afin de rentrer sous les lois de la nature morte.
Seulement il faut observer qu'il y a une différence, dépendante de l'âge et de la santé, dans la proportion des parties qui entrent dans ce torrent, et de celles qui en sortent, et que la vitesse du mouvement général varie également selon les différents états de chaque corps vivant.
Il paraît même que la vie s'arrête par des causes semblables à celles qui interrompent tous les autres mouvements connus, et que le durcissement des fibres et l'obstruction des vaisseaux rendraient la mort une suite nécessaire de la vie, comme le repos est celle de tout mouvement qui ne se fait pas dans le vide, quand même l'instant n'en serait pas prévenu par une multitude de causes étrangères au corps vivant.
Ce mouvement général et commun de toutes les parties est tellement ce qui fait l'essence de la vie, que les parties que l'on sépare d'un corps vivant ne tardent pas à mourir, parce qu'elles n'ont point elles-mêmes de mouvement propre, et ne font que participer au mouvement général que produit leur réunion ; en sorte que, selon l'expression de Kant, la raison de la manière d'être de chaque partie d'un corps vivant réside dans l'ensemble, tandis que, dans les corps bruts, chaque partie l'a en elle-même."
Georges Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, 1800, 1ère leçon, article 1er, Baudouin, 1805, p. 1-5.
"Si pour nous faire une idée juste de l'essence de la vie, nous la considérons dans les êtres où ses effets sont les plus simples, nous nous apercevrons promptement qu'elle consiste dans la faculté qu'ont certaines combinaisons corporelles de durer pendant un temps et sous une forme déterminée, en attirant sans cesse dans leur composition une partie des substances environnantes, et en rendant aux éléments des portions de leur propre substance.
La vie est donc un tourbillon plus ou moins rapide, plus ou moins compliqué, dont la direction est constante, et qui entraîne toujours des molécules de mêmes sortes, mais où les molécules individuelles entrent et d'où elles sortent continuellement, de manière que la forme du corps vivant lui est plus essentielle que sa matière.
Tant que ce mouvement subsiste, le corps où il s'exerce est vivant ; il vit. Lorsque le mouvement s'arrête sans retour, le corps meurt. Après la mort, les éléments qui le composent, livrés aux affinités chimiques ordinaires, ne tardent point à se séparer, d'où résulte plus ou moins promptement la dissolution du corps qui a été vivant. C'était donc par le mouvement vital que la dissolution était arrêtée, et que les éléments du corps étaient momentanément réunis.
Tous les corps vivants meurent après un temps dont la limite extrême est déterminée pour chaque espèce, et la mort paraît être un effet nécessaire de la vie, qui, par son action même, altère insensiblement la structure du corps où elle s'exerce, de manière à y rendre sa continuation impossible.
Effectivement, le corps vivant éprouve des changements graduels, mais constants, pendant toute sa durée. Il croît d'abord en dimensions, suivant des proportions et dans des limites fixées pour chaque espèce et pour chacune de ses parties ; ensuite il augmente en densité dans la plupart de ses parties : c'est ce second genre de changement qui paraît être la cause de la mort naturelle.
Si l'on examine de plus près les divers corps vivants, on leur trouve une structure commune qu'un peu de réflexion fait bientôt juger essentielle à un tourbillon tel que le mouvement vital.
Il fallait, en effet, à ces corps des parties solides pour en assurer la forme, et des parties fluides pour y entretenir le mouvement. Leur tissu est donc composé de réseaux et de mailles, ou de fibres et de lames solides qui renferment des liquides dans leurs intervalles ; c'est dans les liquides que le mouvement est le plus continuel et le plus étendu; les substances étrangères pénètrent le tissu intime du corps en s'incorporant à eux; ce sont eux qui nourrissent les solides en y interposant leurs molécules; ce sont eux aussi qui détachent des solides les molécules superflues ; c'est sous la forme liquide ou gazeuse que les matières qui doivent s'exhaler traversent les pores du corps vivant; mais ce sont à leur tour les solides qui contiennent les liquides et qui leur impriment une partie de leur mouvement par leurs contractions.
Cette action mutuelle des solides et des liquides, ce passage des molécules des uns aux autres, nécessitait de grands rapports dans leur composition chimique ; et effectivement, les solides des corps organisés sont en grande partie composés d'éléments susceptibles de devenir facilement liquides ou gazeux.
Le mouvement des liquides, exigeant aussi une action continuellement répétée de la part des solides, et leur en faisant éprouver une, demandait que les solides eussent à la fois de la flexibilité et de la dilatabilité ; et c'est, en effet, encore là un caractère presque général des solides organisés.
Cette structure commune à tous les corps vivants, ce tissu aréolaire dont les fibres ou les lames plus ou moins flexibles interceptent des liquides plus ou moins abondants, est ce qu'on appelle l'organisation ; et, en conséquence de ce que nous venons de dire, il n'y a que les corps organisés qui puissent jouir de la vie.
L'organisation résulte, comme on voit, d'un grand nombre de dispositions qui sont toutes des conditions de la vie ; et l'on conçoit que le mouvement général de la vie doive s'arrêter, si son effet est d'altérer quelqu'une de ces conditions, de manière à arrêter seulement l'un des mouvements partiels dont il se compose.
Chaque corps organisé, outre les qualités communes de son tissu, a une forme propre, non-seulement en général et à l'extérieur, mais jusque dans le détail de la structure de chacune de ses parties ; et c'est de cette forme, qui détermine la direction particulière de chacun des mouvements partiels qui s'exercent en lui, que dépend la complication du mouvement général de sa vie, qui constitue son espèce, et fait de lui ce qu'il est. Chaque partie concourt à ce mouvement général par une action propre et en éprouve des effets particuliers ; en sorte que, dans chaque être, la vie est un ensemble qui résulte de l'action et de la réaction mutuelle de toutes ses parties.
La vie en général suppose donc l'organisation en général, et la vie propre de chaque être suppose l'organisation propre de cet être, comme la marche d'une horloge suppose l'horloge ; aussi ne voyons-nous la vie que dans des êtres tout organisés et faits pour en jouir ; et tous les efforts des physiciens n'ont pu encore nous montrer la matière s'organisant, soit d'elle-même, soit par une cause extérieure quelconque. En effet, la vie exerçant sur les éléments qui font à chaque instant partie du corps vivant, et sur ceux qu'elle y attire, une action contraire à ce que produiraient sans elle les affinités chimiques ordinaires, il répugne qu'elle puisse être elle-même produite par ces affinités, et cependant l'on ne connaît dans la nature aucune autre force capable de réunir des molécules auparavant séparées."
Georges Cuvier, Le Règne animal distribué selon son organisation, tome I, 1817, Introduction, Deterville, p. 12-17.
"La méthode qui consiste à définir et à tout déduire d'une définition peut convenir aux sciences de l'esprit, mais elle est contraire à l'esprit même des sciences expérimentales.
C'est pourquoi il n'y a pas à définir la vie en physiologie. Lorsqu'on parle de vie, on se comprend à ce sujet sans difficulté, et c'est assez pour justifier l'emploi du terme d'une manière exempte d'équivoques.
Il suffit que l'on s'entende sur le mot vie, pour l'employer ; mais il faut surtout que nous sachions qu'il est illusoire et chimérique, contraire à l'esprit même de la science d'en chercher une définition absolue. Nous devons nous préoccuper seulement d'en fixer les caractères en les rangeant dans leur ordre naturel de subordination.
Il importe aujourd'hui de nettement dégager la physiologie générale des illusions qui l'ont pendant longtemps agitée. Elle est une science expérimentale et n'a pas à donner des définitions a priori."
Claude Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, 1878, rééd. Vrin, Paris, 1966, p. 24-25.
"Celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il en éprouve est une joie divine. Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d'être dans une création qui peut, à la différence de celle de l'artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu'il y avait de richesse dans le monde ?".
Henri Bergson, La Conscience et la vie, 1911, p. 24.
"Le mot « vie » cependant a un sens tout différent si on l'emploie par rapport au monde, pour désigner l'intervalle entre la naissance et la mort. Bornée par un commencement et par une fin, c'est-à-dire par les deux événements suprêmes de l'apparition et de la disparition dans le monde, cette vie suit un mouvement strictement linéaire, causé néanmoins par le même moteur biologique qui anime tous les vivants et qui conserve perpétuellement le mouvement cyclique naturel. La principale caractéristique de cette vie spécifiquement humaine, dont l'apparition et la disparition constituent des événements de-ce-monde, c'est d'être elle-même toujours emplie d'événements qui à la fin peuvent être racontés, peuvent fonder une biographie ; c'est de cette vie, bios par opposition à la simple zôè, qu'Aristote disait qu'elle « est en quelque manière une sorte de praxis ». Car l'action et la parole, qui [...] étaient étroitement liées dans la pensée politique grecque, sont en effet les deux activités dont le résultat final sera toujours une histoire assez cohérente pour être contée, si accidentels, si fortuits que puissent paraître un à un les événements et leurs causes."
Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1958, Pocket, 1994, p. 143.
"Anticipons de quelques siècles ou de quelques millénaires. Imaginons que nous produisions artificiellement un système, répétant tel système typiquement vivant, composé des mêmes substances et dans la même disposition. Ce système sera-t-il vivant ? Non, s'il reste au repos. Oui, si placé dans le milieu et les conditions convenables, il s'y déclenche l'enchaînement de réactions qui, par l'auto-renouvellement, l'auto-reproduction et l'auto-régulation, en assure l'auto-conservation.
Et voilà la difficulté. Le système sera vivant lorsque le mouvement s'y sera déclenché, il ne le sera pas tant que le mouvement ne s'y sera pas déclenché. Avant et après ce déclenchement, le système est pourtant identique du point de vue de sa composition et de sa structure matérielles. Il est inerte ou vivant selon qu'il a reçu ou non le quelque chose venu d'ailleurs, étranger à lui-même, qui donne l'impulsion vitale [...].
L'admirable formule de Friedrich Engels nous servira de guide : la vie est le mode de mouvement de la matière parvenue à un degré convenable de complexité et d'organisation. Si la réplique artificielle de l'être vivant est correcte, si elle répète en composition et en structure le système matériel de son modèle, il n'y a pas d'alternative, le système nouveau ne peut pas ne pas présenter le mode de mouvement correspondant à son degré d'organisation.
De lui-même, il s'ébranle, se renouvelle, se reproduit et assure sa régulation aux dépens du milieu extérieur. Pour un tel système, qu'il soit naturel ou artificiel (ou, pour mieux dire, qu'il soit spontané ou fabriqué), il n'existe pas d'autre mode d'existence que celui auquel nous attribuons le nom de vie (avec une minuscule)."
Ernest Kahane, La Vie n'existe pas !, 1962, Éditions Rationalistes, p. 223-224 et p. 228-229.
"L'observation scientifique nous montre des êtres vivants, de la matière vivante, des phénomènes vitaux, et nous nous empressons, pour en définir et en étudier les caractères. Rien ne nous autorise à penser qu'ils soient subordonnés à l'intervention d'un souffle, d'un principe quelconque, irréductible aux lois du monde matériel et à leur interprétation scientifique.
Notre méthode est basée sur l'économie des moyens. Elle veut qu'on fasse appel à une notion spéciale ou supplémentaire que comme dernier recours, si elle s'impose avec évidence ou si elle est nécessaire pour la construction d'un système, et seulement lorsqu'on est prêt d'être armé pour la confronter à l'expérience.
Notre connaissance des phénomènes de la vie s'améliore suffisamment pour que nous commencions à connaître leurs caractères, et pour que nous voyions leur spécificité dans la subordination à un édifice matériel d'une complexité et d'une délicatesse prodigieuses. En dehors de tels édifices, nous ne voyons aucune manifestation des phénomènes de la vie, et nous en arrivons à considérer les actes vitaux comme étant à la fois la condition et la conséquence de l'évolution qui a conduit à ces structures. Cette relation de nécessité, cette corrélation étroite, nous apparaît comme l'élément fondamental du déterminisme particulier qui préside aux phénomènes dont les êtres vivants sont le siège.
Jusqu'à preuve du contraire, il n'existe aucun principe vital, aucun fluide vital, aucune force vitale. Si loin que nous ayons cherché, nous avons trouvé les mêmes lois qui régissent le reste de la nature, simplement adaptées à la complexité de composition, de structure et de fonctionnement de ces objets que nous appelons vivants.
Nous pourrions renoncer à utiliser le terme de vie pour caractériser ce mode d'existence et de fonctionnement, ce mode supérieur de mouvement de la matière, et c'est dans ce sens que nous produisons l'assertion paradoxale : la Vie n'existe pas. Libre à nous cependant de désigner sous le nom de vie l'ensemble des manifestations particulières au degré élevé d'organisation que présentent les êtres vivants, et dans ce sens, nous reconnaissons comme une évidence que la vie existe.
Il convient alors de préciser le sens restrictif que l'on donne au mot vie, pour éviter toute confusion. Ce sens restrictif est celui que lui donnent l'immense majorité des biologistes, matérialistes par nécessité scientifique, et aussi passablement de philosophes, matérialistes par choix. Pour une grande partie du public, pour beaucoup de philosophes et pour quelques savants, cette conception scientifique de la vie est en concurrence avec le poids d'une tradition lourde de métaphysique. C'est pour tenter de lutter contre cette confusion que cet ouvrage porte pour titre : La Vie n'existe pas."
Ernest Kahane, La Vie n'existe pas !, 1962, Éditions rationalistes, p. 252-254.
"Notre méthode est basée sur l'économie des moyens. Elle veut qu'on ne fasse appel à une notion spéciale ou supplémentaire que comme dernier recours, si elle s'impose avec évidence ou si elle est nécessaire pour la construction d'un système, et seulement lorsqu'on est prêt d'être armé pour la confronter avec l'expérience [...].
Jusqu'à preuve du contraire, il n'existe aucun principe vital, aucun fluide vital, aucune force vitale. Si loin que nous ayons cherché, nous avons trouvé les mêmes lois qui régissent le reste de la nature, simplement adaptées à la complexité de composition, de structure et de fonctionnement de ces objets que nous appelons vivants.
[...] Libre à nous cependant de désigner sous le nom de vie l'ensemble des manifestations particulières au degré élevé d'organisation que présentent les êtres vivants, et dans ce sens, nous reconnaissons comme une évidence que la vie existe."
Ernest Kahane, La Vie n'existe pas !, 1962, Éditions Rationalistes, p. 252-254.
"En dépit de tous les succès bouleversants de la biochimie et de la recherche sur les virus, l'origine de la vie est et reste – pour le moment ! – le plus mystérieux de tous les phénomènes. La différence entre les processus caractéristiques du vivant et du non-vivant ne s'exprime que par ce que Bernhard Hassenstein appelle une « définition injonctive » ; ce qui veut dire que pour définir le concept « vie », il est nécessaire d'énumérer un certain nombre de caractères constitutifs dont aucun, à lui seul, ne constitue la vie, mais dont l'interaction et la somme, si on les prend tous ensemble, représentent, en effet, l'essentiel de la vie. Pour chacun d'eux, comme pour le métabolisme, la croissance ou l'assimilation, il existe aussi des exemples dans le monde non vivant. Il est certainement juste de dire que les processus vitaux sont des processus physiques et chimiques. Et sans aucun doute, comme tels, on peut les expliquer, en principe, d'une manière naturelle. Pas besoin de miracle pour rendre compréhensible leur caractère particulier ; la complexité des structures moléculaires ou autres l'explique suffisamment.
Il est cependant faux d'affirmer, comme on le fait souvent : à vrai dire, la vie n'est pas autre chose que ces processus physiques et chimiques. Cette affirmation contient, elle aussi, sans qu'on s'en aperçoive, un faux jugement de valeur. La véritable « essence » de la vie réside précisément dans la combinaison de caractères qui constituent sa « définition injonctive », et, compte tenu de ces caractères, les processus vitaux ne sont décidément pas ce qu'on entend d'ordinaire lorsqu'on parle de processus chimiques ou physiques. En raison de la structure de la matière dans laquelle ils ont lieu, ces processus remplissent un grand nombre de fonctions particulières telles que l'autorégulation, la conservation, l'acquisition et l'emmagasinage des informations, et surtout la reproduction des structures essentielles à l'accomplissement de ces fonctions. Bien qu'en principe susceptibles d'une explication causale, ces fonctions ne peuvent pas avoir lieu dans une matière différente ou structurée d'une façon moins compliquée."
Konrad Lorenz, L'Agression, une histoire naturelle du mal, 1963, tr. fr. Vilma Fritsch, Champs sciences, 2010, p. 220.
"Quand on étudie un organisme quelconque, à l'échelle atomique, qu'est-ce qui différencie un organisme vivant d'un organisme non vivant ?
- La différence entre la matière vivante et non vivante, si on compare deux objets - chacun pesant un kilo -, l'un étant un rocher et l'autre un lapin, c'est que le lapin bouge, le lapin va croître. De plus, si vous partez d'un couple de lapins, vous en aurez bientôt trente-six.
La matière vivante réagit aux circonstances. Elle prend des éléments de son environnement, pour les convertir, et elle peut se multiplier, alors que le rocher est toujours un seul rocher.
Pour rechercher l'origine de cette différence - qui est tellement banale qu'elle cesse de nous frapper –, on a comparé la structure physique et chimique des deux types de matière.
La première chose qu'on ait constatée, c'est que les mêmes corps chimiques se trouvent dans les deux objets. Les mêmes types d'atomes se retrouvent. [...] Ce n'est pas dans la composition atomique qu'il faut chercher ; c'est dans l'organisation de la matière. [...] Si vous disposez d'un microscope d'une énorme puissance, la matière vivante va apparaître comme une machine extrêmement complexe, bourrée de molécules elles-mêmes très complexes, dont les interactions organisées permettent le maintien de l'état vivant."
Interview de Robin Offord, sur le site internet Agora Vox.
Date de création : 08/11/2005 @ 16:01
Dernière modification : 19/04/2024 @ 09:36
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