"33. La nature et l'éducation sont proches l'une de l'autre. Car l'éducation transforme l'homme, mais par cette transformation, elle lui crée une seconde nature...
59. On ne peut atteindre ni l'art ni la sagesse si l'on ne s'est pas adonné à leur étude.
64. Bien des gens farcis de connaissances n'ont aucune raison.
65. Beaucoup de réflexion et non beaucoup de connaissances, voilà à quoi il faut tendre.
76. Ce qui instruit les sots, ce n'est pas la parole, mais le malheur.
178. Le pire qu'on puisse apprendre aux enfants, c'est la frivolité ; elle provoque les plaisirs qui développent la perversité.
179. Si les enfants se laissent entraîner vers tout autre chose que le travail, ils n'apprendront ni la lecture, ni la musique, ni le sport, ni le sentiment de l'honneur, qui est la principale condition de la valeur. C'est par ces moyens que naît d'ordinaire et principalement le sentiment de l'honneur.
180. L'éducation est pour les gens heureux une parure, pour les malheureux un refuge
183. On peut constater de la sagesse chez les jeunes gens et chez les vieillard de la déraison; car ce n'est pas l'âge qui nous rend sages, mais une éducation appropriés et la nature"
Démocrite, in Les penseurs grecs avant Socrate, G.F. p. 171 sq.
"À ses diverses phases, l'éducation des enfants s'avère un des premiers soins du législateur. Personne ne le conteste. La négligence des Cités sur ce point leur nuit infiniment. Partout l'éducation doit se régler sur la forme du gouvernement. Chaque Etat a ses mœurs qui lui sont propres et d'où dépendent sa conservation et même son établissement. Ce sont les mœurs démocratiques qui font la démocratie et les oligarchiques qui font l'oligarchie. Plus les mœurs sont bonnes, plus l'est aussi le gouvernement. D'ailleurs, comme tous les talents et arts ont leurs essais préliminaires qu'il faut avoir faits et auxquels il faut s'être habitué pour en exécuter ensuite facilement les opérations et les ouvrages, il en faut user de même pour la vertu et en faire l'apprentissage.
Comme il n'y a qu'une même fin commune à tout l'Etat, il ne doit y avoir qu'une même institution pour tous les sujets ; et elle doit se faire, non en particulier, comme cela se pratique aujourd'hui, où chacun prend soin de ses enfants qu'il élève à sa fantaisie et en telle science qu'il lui plaît; elle doit se faire en public. Tout ce qui est commun doit avoir des exercices communs. Il faut, d'ailleurs, que tout citoyen se persuade que personne n'est à soi, mais que tous appartiennent à l’Etat, dont chacun est une partie ; qu'ainsi le gouvernement de chaque partie doit naturellement se modeler sur le gouvernement du tout."
Aristote, Politique, Livre huitième, Chapitre premier, tr. fr. Charles Million.
"On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l'éducation. Si l'homme naissait grand et fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu'à ce qu'il eût appris à s'en servir ; elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l'assister ; et, abandonné à lui-même, il mourrait de misère avant d'avoir connu ses besoins. On se plaint de l'état de l'enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l'homme n'eût commencé par être enfant.
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d'assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l'éducation.
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l'éducation de la nature ; l'usage qu'on nous apprend à faire de ce développement est l'éducation des hommes ; et l'acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l'éducation des choses.
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d'accord avec lui-même ; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-là seul est bien élevé."
Rousseau, Émile, ou De l'éducation, 1762, Livre I.
"Tant que les enfants ne trouveront de résistance que dans les choses et jamais dans les volontés, ils ne deviendront ni mutins ni colères et se conserveront mieux en santé. [...] Les premiers pleurs de l'enfant sont des prières : si on n'y prend garde ils deviennent bientôt des ordres ; ils commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir. Ainsi de leur propre faiblesse d'où vient d'abord le sentiment de leur dépendance, naît ensuite l'idée de l'empire et de la domination ; mais cette idée étant moins excitée par leurs besoins que par nos services, ici commencent à se faire apercevoir les effets moraux dont la cause immédiate n'est pas dans la nature, et l'on voit déjà pourquoi dès ce premier âge il importe de démêler l'intention secrète qui dicte le geste ou le cri.
Quand l'enfant tend la main avec effort sans rien dire, il croit atteindre à l'objet parce qu'il n'en estime pas la distance ; il est dans l'erreur ; mais quand il se plaint et crie en tendant la main, alors il ne s'abuse plus sur la distance, il commande l'objet de s'approcher, ou à vous de le lui apporter. Dans le premier cas portez-le à l'objet lentement et à petits pas. Dans le second, ne faites pas seulement semblant de l'entendre ; plus il criera, moins vous devez l'écouter. Il importe de l'accoutumer de bonne heure à ne commander, ni aux hommes, car il n'est pas leur maître, ni aux choses, car elles ne l'entendent point."
Rousseau, Émile ou de l'éducation, 1762, Livre I, édition GF, p. 75.
"La discipline nous fait passer de l'état animal à celui d'homme. Un animal est par son instinct même tout ce qu'il peut être ; une raison étrangère a pris d'avance pour lui tous les soins indispensables. Mais l'homme a besoin de sa propre raison. Il n'a pas d'instinct, et il faut qu'il se fasse à lui-même son plan de conduite. Mais, comme il n'en est pas immédiatement capable, et qu'il arrive dans le monde à l'état sauvage, il a besoin du secours des autres. L'espèce humaine est obligée de tirer peu à peu d'elle-même par ses propres efforts toutes les qualités naturelles qui appartiennent à l'humanité. Une génération fait l'éducation de l'autre. On ne peut chercher le premier commencement dans un état brut ou dans un état parfait de civilisation ; mais, dans ce second cas, il faut encore admettre que l'homme est retombé ensuite à l'état sauvage et dans la barbarie.
La discipline empêche l'homme de se laisser détourner de sa destination, de l'humanité, par ses penchants brutaux. Il faut, par exemple, qu'elle le modère, afin qu'il ne se jette pas dans le danger comme un être indompté ou un étourdi. Mais la discipline est purement négative, car elle se borne à dépouiller l'homme de sa sauvagerie ; l'instruction au contraire est la partie positive de l'éducation. La sauvagerie est l'indépendance à l'égard de toutes les lois. La discipline soumet l'homme aux lois de l'humanité, et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. [...]
Il n'y a personne qui, ayant été négligé dans sa jeunesse, ne soit capable d'apercevoir dans l'âge mûr en quoi il a été négligé, soit dans la discipline, soit dans la culture (car on peut nommer ainsi l'instruction). Celui qui n'est point cultivé est brut ; celui qui n'est pas discipliné est sauvage. Le manque de discipline est un mal pire que le défaut de culture, car celui-ci peut encore se réparer plus tard, tandis qu'on ne peut plus chasser la sauvagerie et corriger un défaut de discipline. Peut-être l'éducation deviendra-t-elle toujours meilleure, et chacune des générations qui se succéderont fera-t-elle un pas de plus vers le perfectionnement de l'humanité ; car c'est dans le problème de l'éducation que gît le grand secret de la perfection de la nature humaine. On peut marcher désormais dans cette voie. Car on commence aujourd'hui à juger exactement et à apercevoir clairement ce qui constitue proprement une bonne éducation. Il est doux de penser que la nature humaine sera toujours mieux développée par l'éducation et que l'on peut arriver à lui donner la forme qui lui convient par excellence. Cela nous découvre la perspective du bonheur futur de l'espèce humaine."
Kant, Traité de pédagogie, 1803, Introduction.
"L'Homme est la seule créature qui soit susceptible d'éducation. Par éducation l'on entend les soins (le traitement, l'entretien) que réclame son enfance, la discipline qui le fait homme, enfin l'instruction avec la culture. Sous ce triple rapport, il est nourrisson, élève, et écolier.
Aussitôt que les animaux commencent à sentir leurs forces, ils les emploient régulièrement, c'est-à-dire d'une manière qui ne leur soit point nuisible à eux-mêmes. Il est curieux en effet de voir comment, par exemple, les jeunes hirondelles, à peine sorties de leur œuf et encore aveugles, savent s'arranger de manière à faire tomber leurs excréments hors de leur nid. Les animaux n'ont donc pas besoin d'être soignés, enveloppés, réchauffés et conduits, ou protégés. La plupart demandent, il est vrai, de la pâture, mais non des soins. Par soins, il faut entendre les précautions que prennent les parents pour empêcher leurs enfants de faire de leurs forces un usage nuisible. Si, par exemple, un animal, en venant au monde, criait comme le font les enfants, il deviendrait infailliblement la proie des loups et des autres bêtes sauvages qui seraient attirées par ses cris.
La discipline nous fait passer de l'état animal à celui d'homme. Un animal est par son instinct même tout ce qu'il peut être ; une raison étrangère a pris d'avance pour lui tous les soins indispensables. Mais l'homme a besoin de sa propre raison. Il n'a pas d’instinct, et il faut qu'il se fasse à lui-même son plan de conduite. Mais, comme il n'en est pas immédiatement capable, et qu'il arrive dans le monde à l'état sauvage, il a besoin du secours des autres.
L'espèce humaine est obligée de tirer peu à peu d'elle-même par ses propres efforts toutes les qualités naturelles qui appartiennent à l'humanité. Une génération fait l'éducation de l'autre. On en peut chercher le premier commencement dans un état sauvage ou dans un état parfait de civilisation ; mais, dans ce second cas, il faut encore admettre que l'homme est retombé ensuite à l'état sauvage et dans la barbarie.
La discipline empêche l'homme de se laisser détourner de sa destination, de l'humanité, par ses penchants brutaux. Il faut, par exemple, qu'elle le modèle, afin qu'il ne se jette pas dans le danger comme un farouche ou un étourdi. Mais la discipline est purement négative, car elle se borne à dépouiller l'homme de sa sauvagerie ; l'instruction au contraire est la partie positive de l'éducation."
Kant, Réflexions sur l'éducation (publiées en 1803 par son disciple Rink), traduit de l'allemand par Alexis Philonenko, Vrin, 1967, p. 69-71, nouvelle éd. 2004.
"Il n'y a personne qui, ayant été négligé dans sa jeunesse, ne soit capable d'apercevoir dans l'âge mûr en quoi il a été négligé, qu'il s'agisse de discipline ou de culture (car on peut nommer ainsi l’instruction). Celui qui n’est pas cultivé est brut, celui qui n'est pas discipliné est sauvage. Le défaut de discipline est un mal bien plus grand que le défaut de culture, car celui-ci peut se réparer plus tard ; mais la sauvagerie ne peut plus être chassée et une erreur dans la discipline ne peut être comblée.. Il est possible que l’éducation devienne toujours meilleure et que chaque génération, à son tour, fasse un pas de plus vers le perfectionnement de l’humanité ; car c’est au fond de l’éducation que gît le grand secret de la nature humaine. Dès maintenant on peut marcher dans cette voie. Car ce n’est que maintenant que l’on commence à juger correctement et à saisir clairement ce qui est véritablement nécessaire à une bonne éducation. C’est une chose enthousiasmante de penser que la nature humaine sera toujours mieux développée par l’éducation et que l’on peut parvenir à donner à cette dernière une forme qui convienne à l’humanité. Ceci nous ouvre une perspective sur une future espèce humaine plus heureuse."
Kant, Réflexions sur l'éducation, 1776-1787, Introduction, tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1993, p. 100-101.
"Il y a beaucoup de germes dans l'humanité, et c'est notre tâche que de développer d'une manière proportionnée les dispositions naturelles, que de déployer l'humanité à partir de ces germes, et de faire en sorte que l'homme atteigne sa destination. Les animaux remplissent d'eux-mêmes leur destination et sans la connaître. Seul l'homme doit chercher à l'atteindre, et cela ne peut se faire s'il ne possède pas un concept de sa destination. [...]
L'éducation est un art dont la pratique doit être perfectionnée par beaucoup de générations. Chaque génération, instruite des connaissances des précédentes, est toujours plus à même d'établir une éducation qui développe d'une manière finale et proportionnée toutes les dispositions naturelles de l'homme et qui ainsi conduise l'espèce humaine tout entière à sa destination. [...]
Voici un principe de l'art de l'éducation que particulièrement les hommes qui font des plans d'éducation devraient avoir sous les yeux : on ne doit pas seulement éduquer des enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après son état futur possible et meilleur, c'est-à-dire conformément à l'Idée de l'humanité et à sa destination totale. Ce principe est de grande importance. Ordinairement les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il. Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu'un meilleur état pût en sortir dans l'avenir. Toutefois deux obstacles se présentent ici :1) ordinairement les parents ne se soucient que d'une chose: que leurs enfants réussissent bien dans le monde, et 2) les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins. Les parents songent à la maison, les princes songent à l'État. Les uns et les autres n'ont pas pour but ultime le bien universel et la perfection, à laquelle l'humanité est destinée et pour laquelle elle possède aussi des
dispositions.
Kant, Réflexions sur l'éducation, 1776-1787, Introduction, tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1993, p. 102.
"L'homme peut bien être simplement dressé, dirigé, mécaniquement instruit, ou bien être réellement éclairé. On dresse des chiens, des chevaux ; on peut aussi dresser des hommes.
L'éducation n'est pas encore à son terme avec le dressage ; en effet il importe avant tout que les enfant apprennent à penser. Cela concerne les principes dont toutes les actions découlent. On voit ainsi que dans une authentique éducation il y a beaucoup à faire. Dans l'éducation privée le quatrième moment, le plus important, est d'habitude trop peu considéré et mis en application, car on élève dans l'ensemble les enfants de telle sorte que le soin de la moralisation est laissé au pasteur. Cependant n'est-il pas infiniment important d'apprendre aux enfants, tout jeunes, à haïr le vice, non point seulement pour la raison que Dieu l'a défendu, mais parce qu'il est lui-même haïssable. Autrement, en effet, ils en viennent facilement à penser qu'ils pourraient bien faire le mal et en outre qu'il pourrait bien être permis si seulement Dieu ne l'avait pas défendu, et que Dieu justement pourrait bien pour une fois faire une exception. Dieu est l'être le plus saint ; il ne veut que ce qui est bon et il exige que nous pratiquions la vertu en raison de la valeur qui lui est propre et non parce qu'il l'exige."
Kant, Réflexions sur l'éducation, 1776-1787, Introductio 1n, tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1993, p. 112.
"Dans l’éducation, il faut donc :
1 Discipliner l’homme. Discipliner c’est chercher à empêcher l’animalité de porter préjudice à l’humanité, dans l’individu comme dans l’homme social. La discipline n’est donc que l’apprivoisement de la sauvagerie.
2 Il faut cultiver l’homme. La culture comprend l’enseignement par la règle et par l’exemple. Elle consiste à procurer l’habileté. L’habileté est possession d’une capacité suffisant à toute fin. Elle ne détermine donc nulle fin, elle en laisse le soin aux circonstances qui se présentent.
Quelques formes de l’habileté sont bonnes en tous les cas, par exemple la lecture et l’écriture; d’autres ne servent qu’à un petit nombre de fins, par exemple la musique à celle de nous rendre aimables. La multitude des fins étend en quelque sorte jusqu’à l’illimité le domaine de l’habileté.
3 Il faut veiller à ce que l’homme devienne également prudent, qu’il soit à sa place dans la société humaine, qu’il ait faveur et influence. Cela implique une certaine forme de culture que l’on nomme civilisation. Elle réclame, manières, gentillesse et une certaine prudence à utiliser les humains à ses propres fins. Elle se règle sur le goût changeant de chaque époque. Ainsi l’on aimait, voici quelques décennies à peine, le cérémonial dans les relations.
4 Il faut veiller à sa moralisation. L’homme ne doit pas être habile à toutes sortes de fins, il doit aussi acquérir la disposition d’esprit qui ne lui fasse choisir que de bonnes fins. Bonnes sont les fins qui reçoivent nécessairement l’approbation de chacun et qui peuvent être en même temps les fins de chacun."
Kant, Propos de Pédagogie, 1803, tr. fr. P. Jalabert, Œuvres philosophiques, Tome III, Gallimard, coll. Pléïade, p. 1157-1158.
"Un des plus grands problèmes de l'éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment cultiver la liberté par la contrainte? Il faut que j'accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu'en même temps je l'instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il n'y aurait en lui que pur mécanisme ; l'homme privé d'éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu'il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d'apprendre à connaître combien il est difficile de se suffire à soi-même, de supporter les privations et d'acquérir de quoi se rendre indépendant. On doit observer ici les règles suivantes : 1°) Il faut laisser l'enfant libre dès sa première enfance et dans tous les moments (excepté dans les circonstances où il peut se nuire à lui-même, comme par exemple s'il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu'il ne fasse pas lui-même obstacle à la liberté d'autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté se manifeste d'une manière trop bruyante et qu'il incommode les autres. 2°) On doit lui montrer qu'il ne peut arriver à ses fins qu'à la condition de laisser les autres arriver aussi aux leurs, par exemple qu'on ne fera rien d'agréable pour lui s'il ne fait pas lui-même ce que l'on désire, qu'il faut qu'il s'instruise, etc. 3°) Il faut lui prouver que la contrainte qu'on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu'on le cultive afin qu'il puisse un jour être libre, c'est-à-dire se passer du secours d'autrui."
Kant, Réflexions sur l'éducation, 1776-1787, Introduction, tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1993, p. 118.
"Il ne faut pas orienter l’instruction d'après les signes d'une vocation. D'abord parce que les préférences peuvent tromper. Et aussi parce qu'il est toujours bon de s'instruire de ce qu'on n'aime pas savoir. Donc contrariez les goûts, d'abord et longtemps.
Celui-là n'aime que les sciences ; qu'il travaille donc l'histoire, le droit, les belles-lettres; il en a besoin plus qu'un autre. Et au contraire, le poète, je le pousse aux mathématiques et aux tâches manuelles. Car tout homme doit être pris premièrement comme un génie universel; ou alors il ne faut même pas parler d'instruction, parlons d'apprentissage. Et je suis sûr que le rappel, même rude, à la vocation universelle de juger, de gouverner et d'inventer est toujours le meilleur tonique pour un caractère."
Alain, Esquisses de l'homme, 1927, rééd. 1938, Chapitre XLVII.
"Nous passons tous par cette expérience décisive, qui nous apprend en même temps la parole et la pensée. Nos premières idées sont des mots compris et répétés. L'enfant est comme séparé du spectacle de la nature, et ne commence jamais par s'en approcher tout seul ; on le lui montre et on le lui nomme. C'est donc travers l'ordre humain qu'il connaît toute chose ; et c'est certainement de l'ordre humain qu'il prend l'idée de lui-même, car on le nomme, et on le désigne lui-même, comme on lui désigne les autres. L'opposition du moi et du non-moi appartient aux théories abstraites ; la première opposition est certainement entre moi et les autres ; et cette opposition est corrélation ; car en l'autre je trouve mon semblable qui me pense comme je le pense. Cet échange, qui se fait d'abord entre la mère et l'enfant, est transporté peu à peu aux frères, aux amis, aux compagnons. Ces remarques sont pour rappeler qu'en toutes les recherches sur la nature humaine, il faut se tenir très près de l'existence collective, si naturelle à tout homme, et en tout cas seule possible pour l'enfant."
Alain, Les Idées et les âges, 1927, L'individu.
"Ma pédagogie est dure. La faiblesse doit être chassée à coups de fouet. Dans mes séminaires grandira une jeunesse qui effraiera le monde. Je veux une jeunesse brutale, impérieuse, impavide et cruelle. La jeunesse doit être tout cela. Elle doit supporter la souffrance. Il ne doit y avoir en elle rien de faible ou de tendre. Le fauve libre et magnifique doit à nouveau briller dans ses yeux. Forte et belle : voilà comme je veux ma jeunesse. Elle pratiquera tous les exercices physiques. Je veux une jeunesse athlétique, c'est la première chose, et la plus importante. C'est ainsi que j'effacerai des millénaires de domestication humaine. Ainsi j'aurai devant moi le fruit pur et noble de la nature. Ainsi je pourrai créer du nouveau. Je ne veux pas d'éducation intellectuelle. La science corromprait ma jeunesse. Ce que je préférerais, c'est qu'elle n'apprenne que ce qu'elle s'appropriera volontairement en pratiquant une activité de jeu. Mais elle doit apprendre à se dominer. Je veux qu'elle apprenne à vaincre, dans les plus rudes épreuves, la crainte de la mort. C'est là le stade de la jeunesse héroïque. D'elle sortira l'homme libre, mesure et centre du monde, l'homme-créateur, l'homme-Dieu. Dans mes séminaires, il y aura comme image du culte l'homme beau et maître de lui, et il préparera la jeunesse au stade ultérieur, celui de la maturité virile..."
H. Rauschning, Conversation avec Hitler. Cité d'après P. MILZA, Fascismes et idéologies réactionnaires en Europe (1919-1945), dossier "sciences humaines" n°9, p. 38-39, Paris, 1969.
"Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est également méconnue. J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion. [...] Les professeurs de sciences imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point par point. Ils n’ont pas réfléchi au fait que l’adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissance empiriques déjà constituées : il s’agit alors, non pas d’acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. Un seul exemple : l’équilibre des corps flottants fait l’objet d’une intuition familière qui est un tissu d’erreurs. D’une manière plus ou moins nette, on attribue une activité au corps qui flotte, mieux : au corps qui nage. Si l’on essaie avec la main d’enfoncer un morceau de bois dans l’eau, il résiste. On n’attribue pas facilement la résistance à l’eau. Il est dès lors assez difficile de faire comprendre le principe d’Archimède dans son étonnante simplicité mathématique si l’on n’a pas d’abord critiqué et désorganisé le complexe impur des intuitions premières. En particulier sans cette psychanalyse des erreurs initiales, on ne fera jamais comprendre que le corps qui émerge et le corps complètement immergé obéissent à la même loi."
Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, 1938, Chapitre I, Vrin, 1967, p. 18.
"La conception puritaine de la nature enfantine comme lieu de pulsions aussi dangereuses que puissantes (essentiellement auto-érotiques) conduit à concevoir l'éducation comme un dressage et la pédagogie comme un ensemble de techniques permettant de dominer l'enfant en même temps que de dompter les mauvais instincts qui sont en lui ; elle impartit aux adultes le pouvoir de définir des besoins, c'est-à-dire des désirs légitimes, de discerner par exemple entre les cris légitimes de faim ou de douleur) et les cris illégitimes ou encore entre les « bonnes » et les «mauvaises» habitudes. Au contraire, l'éthique thérapeutique, toute nourrie de lieux communs « libérationnistes » (« rapport au père», «peur de grandir», etc.) crédite l'enfant d'une nature bonne qui doit être acceptée comme telle, avec ses besoins de plaisirs légitimes (besoin d'attention, d'affection et de soins maternels) ; l'éducation qui est aussi source de plaisirs légitimes (en sorte quela procréation, qui procure cet objet de consommation apportant joie, jeunesse et union aux deux parents, est aussi un devoir psychothérapeutique) traite l'enfant comme une sorte d'apprenti qui doit découvrir, par l'exploration, et son corps et le monde, et brouillant les frontières entre le jeu et le travail, entre le devoir et le plaisir, définit le jeu comme apprentissage moteur ou intellectuel et, par là, comme plaisir nécessaire, subjectivement agréable et objectivement indispensable, créant ainsi, pour les enfants comme pour les parents, un devoir de plaisir."
Pierre Bourdieu, La Distinction (critique sociale du jugement), 1979, Chapitre 6, Éditions de Minuit, p. 427.
" […] la principale contribution de la télévision à la philosophie de l'éducation consiste en l'idée qu'enseignement et amusement sont inséparables. C'est une conception entièrement nouvelle qui ne se retrouve nulle part dans les discours sur l'éducation de Confucius à John Dewey en passant par Platon, Cicéron et Locke. Dans toute la littérature sur l'éducation vous trouverez écrit, par certains, que les enfants apprennent mieux s'ils s'intéressent à ce qu'ils apprennent. Vous trouverez écrit – Platon et Dewey ont insisté sur ce point – que la raison se développe mieux si elle prend racine dans un solide terrain émotionnel. Vous trouverez même que l'on apprend plus facilement avec un professeur aimant et bienveillant. Mais personne n'a jamais dit, ni laissé entendre, que l'on pouvait véritablement apprendre de façon efficace et durable en faisant de l'éducation un amusement. Les philosophes de l'éducation reconnaissent que l'acculturation est une chose difficile car elle implique nécessairement des contraintes. Ils soutiennent qu'il doit y avoir une progression dans l'apprentissage ; que la persévérance et une certaine dose de transpiration sont indispensables ; que les plaisirs individuels doivent souvent céder la place devant les intérêts du groupe ; et qu'apprendre à avoir l'esprit critique et à penser de façon conceptuelle et rigoureuse ne vient pas facilement aux jeunes mais sont des victoires qui s'arrachent dans l'effort. Cicéron faisait remarquer que le but de l'éducation était de libérer celui qui étudie de la tyrannie du présent, chose qui ne peut pas être un plaisir pour ceux qui, comme les jeunes, luttent énergiquement pour faire le contraire –c'est-à-dire s'adapter au présent."
Neil Postman, Se distraire à en mourir, 1985, tr. fr. Thérésa de Chérisey, Nova Éditions, 2010, p. 218-219.
"La plupart des jeunes mammifères ne savent, à leur naissance, que se déplacer plus ou moins sommairement et s'agripper à leur mère ou la suivre, ainsi que chercher son mamelon, à condition d'y être plus ou moins aidés. Chez certains d'entre eux, au moins, des comportements innés, stéréotypés, subsistent. Mais, au fur et à mesure que les durées d'élevage des jeunes augmentent, les possibilités d'apprentissage s'accroissent, ainsi que la quantité de comportements appris. De quelques semaines chez certaines espèces, la durée de l'élevage passe à quelques mois chez beaucoup de grandes espèces et atteint plusieurs années chez l'éléphant ou les grands singes, les records étant de l'ordre de quinze ans pour le chimpanzé et souvent plus pour l'Homme. Par ailleurs, la plupart des mammifères vivent en collectivités qui permettent à l'apprentissage de se poursuivre au-delà du groupe familial et du temps d'élevage des jeunes et de correspondre, dans certains cas, aux balbutiements d'une éducation permanente.
Ce sont sans doute les carnivores, avec l'apprentissage de la chasse ou de la pêche, et les primates qui en donnent les meilleurs exemples. Dans ces espèces, les jeunes, dès qu'ils ont conquis leur autonomie de déplacement, passent la plus grande partie de leur temps à jouer avec leurs parents et entre eux. Mais ces activités ludiques ne sont pas seulement un entraînement sportif, au demeurant fort utile pour des animaux exposés à de multiples risques. Elles constituent aussi une occasion d'apprendre et de perfectionner des gestes de la chasse ou de la vie sociale. Les jeux des jeunes chats ou des jeunes renards ne laissent aucun doute sur leur nature de préparation aux activités futures. On observe aussi souvent, de la part des parents de ces espèces ou des singes, des gestes de répression très semblables à ceux pratiqués chez les humains. Ce qui montre que le triptyque exemple, jeu, répression, qui compose toute éducation, n'est pas une particularité des sociétés humaines.
La transmission des connaissances par l'élevage des jeunes permet une continuité des comportements d'une génération à l'autre ; […] l'innovation de comportement d'un sujet dans une espèce à apprentissage peut être transmise aux jeunes qu'il élève, et, éventuellement, aux membres de la population que la sénilité n'empêche pas d'apprendre."
André Langaney, La philosophie… biologique, 1999, Chapitre 5 : Ignorer pour attendre, Belin, p. 78-79.
"S'il n'est pas aveugle comme les chatons ou certains oisillons, le nouveau-né humain présente presque tous les caractères de la prématurité. C'est, de beaucoup, celui dont les talents mettent le plus longtemps à se manifester. De plus, ses connaissances instinctives se limitent à bien peu de choses. Ne sachant presque rien, il trouve encore le moyen d'oublier assez rapidement les réflexes de marche et de nage automatiques qu'il possède au début de son existence. Il devra donc presque tout apprendre ou réapprendre, tant sur le plan moteur que sur le plan culturel. La recherche de comportements moteurs innés, à laquelle se sont livrés les éthologistes (en particulier Eibl-Eibesfeldt qui a observé leur présence chez les enfants nés sourds, muets et aveugles, qui ne peuvent les apprendre) a fourni un certain nombre de résultats intéressants concernant les mimiques faciales et certaines attitudes qui semblent être déterminées génétiquement. Certaines sont d'ailleurs partagées avec les grands singes. Mais, pour le reste, et c'est de beaucoup l'essentiel de ses activités, l'enfant, puis l'adulte, dépendront essentiellement de ce qu'ils apprendront, sous le contrôle, toutefois, de leurs caractéristiques physiologiques et de leurs hormones.
Pourtant, grâce au langage à double articulation des signes et des sens, le moins doué au départ acquiert, dès l'âge de deux ans, des capacités cognitives qui dépassent celles de n'importe quel autre animal adulte.
Chez les animaux qui le pratiquent, l'apprentissage se fait par le jeu et par l'imitation gestuelle des parents. Chez les humains, le langage permet la communication, non seulement de l'expérience passée du sujet, mais encore d'informations transmises par tous ceux qui l'ont précédé. L'absence d'automatisme dans les comportements, jointe à leur non-spécialisation écologique, permet aux humains, à l'intérieur de chaque culture, d'enregistrer et de se transmettre un fond commun formé d'une multitude d'expériences vécues et sélectionnées. Ainsi, sans y avoir été confronté, le petit humain se trouve préparé à une multitude de situations devant lesquelles il fait l'économie de l'apprentissage par essai-erreur, auquel sont contraintes les autres espèces. Il apprend, au cours d'une éducation bien plus longue que celle de la plupart des animaux évolués, à anticiper les événements qu'il doit vivre et à prévoir les conséquences de ses actes.
La caractéristique de l'enfant est donc d'être, au départ, très indéterminée. D'une indétermination, d'ailleurs, qu'il faut bien garder de confondre avec la liberté. Le petit humain, capable de tout potentiellement, ne peut rien tout seul. Il est livré, pieds et poings liés, à la culture que lui inculquent ses éducateurs. Par la pratique quotidienne, ceux-ci lui permettent, peu à peu, de conquérir son autonomie pour la prise d'aliments et les besoins naturels, puis pour ses déplacements et ses communications avec les autres. Très tôt, par un ensemble de mesures le plus souvent très contraignant, il doit apprendre les règles de la politesse et de l'altruisme à l'égard de ses apparentés ou semblables. En même temps, par les chants, les contes, les histoires, les mythes, il est peu à peu conditionné, sinon programmé pour se conduire comme un membre méritant de la société à laquelle il appartient. Dans ce domaine, les traditions orales réputées les plus civilisées ne répugnent pas devant les méthodes du conditionnement opérant : les contes pour les jeunes enfants regorgent d'histoire d'ogres et de loups, de transformations effrayantes et de récompenses sucrées. Elles inculquent aussi, dès le plus jeune âge, et particulièrement aux garçons, un sens aigu de la hiérarchie et de l'unité du groupe, ainsi qu'un goût immodéré pour les justes combats, le mépris de la mort et des blessures infligées aux autres. Le travail est sanctifié, les défauts et crimes sociaux sont vilipendés et bien d'autres notions, variables selon les cultures, sont inculquées par un matraquage idéologique d'une quinzaine années. On parvient ainsi à former un individu, parfois réputé « citoyen libre » de sa nation ou de sa culture, mais qui tend souvent vers ce que on pourrait presque qualifier d' « automate socio-culturel. »"
André Langaney, La Philosophie… biologique, 1999, Chapitre 5 : Ignorer pour apprendre, Belin, p. 84-86.
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