"Un adage nous déconseille de servir deux maîtres à la fois. Pour le pauvre Moi la chose est bien pire, il a à servir trois maîtres sévères et s'efforce de mettre de l'harmonie dans leurs exigences. Celles-ci sont toujours contradictoires et il paraît souvent impossible de les concilier ; rien d'étonnant dès lors à ce que souvent le Moi échoue dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extérieur, le Surmoi et le ça. Quand on observe les efforts que tente le Moi pour se montrer équitable envers les trois à la fois, ou plutôt pour leur obéir, on ne regrette plus d'avoir personnifié le Moi, de lui avoir donné une existence propre. Il se sent comprimé de trois côtés, menacé de trois périls différents auxquels il réagit, en cas de détresse, par la production d'angoisse. Tirant son origine des expériences de la perception, il est destiné à représenter les exigences du monde extérieur, mais il tient cependant à rester le fidèle serviteur du ça, à demeurer avec lui sur le pied d'une bonne entente, à être considéré par lui comme un objet et à s'attirer sa libido. En assurant le contact entre le ça et la réalité, il se voit souvent contraint de revêtir de rationalisations préconscientes les ordres inconscients donnés par le ça, d'apaiser les conflits du ça avec la réalité et, faisant preuve de fausseté diplomatique, de paraître tenir compte de la réalité, même quand le ça demeure inflexible et intraitable. D'autre part, le Surmoi sévère ne le perd pas de vue et, indifférent aux difficultés opposées par le ça et le monde extérieur, lui impose les règles déterminées de son comportement. S'il vient à désobéir au Surmoi, il en est puni par de pénibles sentiments d'infériorité et de culpabilité. Le Moi ainsi pressé par le ça, opprimé par le Surmoi, repoussé par la réalité, lutte pour accomplir sa tâche économique, rétablir l'harmonie entre les diverses forces et influences qui agissent en et sur lui : nous comprenons ainsi pourquoi nous sommes souvent forcés de nous écrier : "Ah, la vie n'est pas facile !"
Lorsque le Moi est contraint de reconnaître sa faiblesse, il éclate en angoisse, une angoisse réelle devant le monde extérieur, une angoisse de conscience devant le Surmoi, une angoisse névrotique devant la force des passions logées dans le ça.
Ces relations structurales de la personnalité psychique que j’ai développées devant vous, je voudrais les exposer dans un dessin sans prétention que je vous soumets ici :
Comme vous le voyez, le Surmoi plonge dans le ça ; en effet, en tant qu'héritier du complexe d'Œdipe, il a des relations intimes avec lui, il se trouve plus éloigné du système de perception que le Moi. Le ça n'a de rapport avec le monde extérieur que par l'intermédiaire du Moi, du moins dans ce schéma. II est assurément difficile de dire aujourd'hui dans quelle mesure ce dessin est exact ; en un point il ne l'est assurément pas. L'espace qu'occupe le ça inconscient devrait être incomparablement plus grand que celui du Moi ou du préconscient."
Freud, Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse, 1915-1916, Troisième conférence, tr. A. Berman, 1936, Gallimard, 1984, p.107-109.
"Selon toute apparence l'ensemble de notre activité psychique a pour but de nous procurer du plaisir et de nous faire éviter le déplaisir, qu'elle est régie automatiquement par le principe de plaisir. Or, nous donnerions tout pour savoir quelles sont les conditions du plaisir et du déplaisir, mais les éléments de cette connaissance nous manquent précisément. La seule chose que nous soyons autorisés à affirmer, c'est que le plaisir est en rapport avec la diminution, l'atténuation ou l'extinction des masses d'excitations accumulées dans l'appareil psychique, tandis que la peine va de pair avec l'augmentation, l'exaspération de ces excitations. L'examen du plaisir le plus intense qui soit accessible à l'homme, c'est-à-dire du plaisir éprouvé au cours de l'accomplissement de l'acte sexuel, ne laisse aucun doute sur ce point. Comme il s'agit, dans ces actes accompagnés de plaisir, du sort de grandes quantités d'excitation ou d'énergie psychique, nous donnons aux considérations qui s'y rapportent le nom d'économiques. Nous notons que la tâche incombant à l'appareil psychique et l'action qu'il exerce peuvent encore être décrites autrement et d'une manière plus générale qu'en insistant sur l'acquisition du plaisir. On peut dire que l'appareil psychique sert à maîtriser et à supprimer les excitations et irritations d'origine extérieure et interne. En ce qui concerne les tendances sexuelles, il est évident que du commencement à la fin de leur développement elles sont un moyen d'acquisition de plaisir, et elles remplissent cette fonction sans faiblir. Tel est également, au début, l'objectif des tendances du moi. Mais sous la pression de la grande éducatrice qu'est la nécessité, les tendances du moi ne tardent pas à remplacer le principe de plaisir par une modification. La tâche d'écarter la peine s'impose à elles avec la même urgence que celle d'acquérir du plaisir ; le moi apprend qu'il est indispensable de renoncer à la satisfaction immédiate, de différer l'acquisition de plaisir, de supporter certaines peines et de renoncer en général à certaines sources de plaisir. Le moi ainsi éduqué est devenu « raisonnable », il ne se laisse plus dominer par le principe de plaisir, mais se conforme au principe de réalité qui, au fond, a également pour but le plaisir, mais un plaisir qui, s'il est différé et atténué, a l'avantage d'offrir la certitude que procurent le contact avec la réalité et la conformité à ses exigences. Le passage du principe de plaisir au principe de réalité constitue un des progrès les plus importants dans le développement du moi."
Freud, Introduction à la psychanalyse, 1916, Petite Bibliothèque Payot, p. 335-336.
"Dans le « Moi » lui-même, une instance particulière s'est différenciée, que nous appelons le « Surmoi ». Ce Surmoi occupe une situation spéciale entre le « Moi » et le « ça » . Il appartient au « Moi », a part à sa haute organisation psychologique, mais est en rapport particulièrement intime avec le « ça ». Il est en réalité le résidu des premières amours du « ça », l'héritier du complexe d'Oedipe après abandon de celui-ci. Ce « Surmoi » peut s'opposer au « Moi », le traiter comme un objet extérieur et le traite en fait souvent fort durement. Il importe autant, pour le « Moi », de rester en accord avec le « Surmoi » qu'avec le « ça ». Des dissensions entre « Moi » et « Surmoi » sont d'une grande signification pour la vie psychique. [...] Le « Surmoi » est le dépositaire du phénomène que nous nommons conscience morale. Il importe fort à la santé psychique que le « Surmoi » se soit développé normalement, c'est-à-dire soit devenu suffisamment impersonnel. Ce n'est justement pas le cas chez le névrosé, chez qui le complexe d'Oedipe n'a pas subi la métamorphose voulue. Son « Surmoi » est demeuré, en face du « Moi » tel un père sévère pour son enfant, et sa moralité s'exerce de cette façon primitive : le « Moi » doit se laisser punir par le « Surmoi »."
Freud, Psychanalyse et médecine, 1925, tr.fr. Marie Bonaparte.
"Les pulsions du « ça » aspirent à des satisfactions immédiates, brutales, et n'obtiennent ainsi rien, ou bien même se causent un dommage sensible. Il échoit maintenant pour tâche au « Moi » de parer à ces échecs, d'agir comme intermédiaire entre les prétentions du « ça » et les oppositions que celui-ci rencontre de la part du monde réel extérieur. Le "Moi" déploie son activité dans deux directions. D’une part, il observe, grâce aux organes des sens, du système de la conscience, le monde extérieur, afin de saisir l’occasion propice à une satisfaction exempte de périls ; d’autre part, il agit sur le "ça", tient en bride les passions de celui-ci, incite les instincts à ajourner leur satisfaction ; même quand cela est nécessaire, il leur fait modifier les buts auxquels ils tendent ou les abandonner contre des dédommagements. En imposant ce joug aux élans du "ça", le "Moi" remplace le principe de plaisir, primitivement seul en vigueur, par le principe dit "de réalité" qui certes poursuit le même but final, mais en tenant compte des conditions imposées par le monde extérieur. Plus tard, le "Moi" s’aperçoit qu’il existe, pour s’assurer la satisfaction, un autre moyen que l’adaptation dont nous avons parlé, au monde extérieur. On peut en effet agir sur le monde extérieur afin de le modifier, et y créer exprès les conditions qui rendront la satisfaction possible. Cette sorte d’activité devient alors le suprême accomplissement du "Moi", l’esprit de décision qui permet de choisir quand il convient de dominer les passions et de s’incliner devant la réalité, ou bien quand il convient de prendre le parti des passions et de se dresser contre le monde extérieur. Cet esprit de décision est tout l’art de vivre".
Freud, Psychanalyse et médecine, in Ma vie et la psychanalyse, 1926. Trad. M. Bonaparte, Paris, Collection Idées, 1972, p. 118-119.
"Quand le ça tente d'imposer à un être humain quelque exigence pulsionnelle d'ordre érotique ou agressif, la réaction la plus simple, la plus naturelle du Moi, maître des systèmes cogitatif et musculaire, est de satisfaire par un acte cette exigence. Cette satisfaction de l'instinct, le Moi la ressent comme un plaisir, tandis que l'insatisfaction aurait provoqué pour lui du déplaisir. Toutefois, il peut arriver que le Moi, du fait de quelque obstacle extérieur, par exemple s'il s'aperçoit que l'acte en question entraînerait un grave danger, renonce à cette satisfaction. Le renoncement à une satisfaction, à une pulsion, par suite d'obstacles extérieurs, par obéissance, comme nous disons, au principe de réalité, n'est jamais agréable. Il provoquerait une tension et un déplaisir durables s'il ne se produisait, en même temps, grâce à un déplacement d'énergie, une diminution de la force pulsionnelle elle-même. Mais il peut arriver que le renoncement se produise pour des motifs que nous pouvons à juste titre qualifier d'intérieurs. Au cours de l'évolution individuelle, une partie des forces inhibitrices du monde extérieur se trouve intériorisée ; il se crée dans le Moi une instance qui s'opposant à l'autre, observe, critique et interdit. C'est cette instance que nous appelons le Surmoi. Dès lors le Moi, avant de satisfaire les instincts, se trouve obligé de tenir compte non seulement des dangers extérieurs, mais encore des exigences du Surmoi et il aura ainsi d'autant plus de motifs de renoncer à une satisfaction. Mais alors que le renoncement dû à des raisons extérieures ne provoque que du déplaisir, le renoncement provoqué par des raisons intérieures, par obéissance aux exigences du Surmoi, a un effet économique différent. À côté d'un déplaisir inévitable, il assure aussi un gain en plaisir, une sorte de satisfaction compensatrice. Le Moi se sent exalté et considère comme un acte méritoire son renoncement à la pulsion. Nous croyons avoir compris le fonctionnement de ce mécanisme : le Surmoi est le successeur et le représentant des parents (et des éducateurs) qui, pendant les premières années de l'individu, ont surveillé ses faits et gestes. Le Surmoi continue, sans presque y rien changer, à remplir les fonctions des parents et éducateurs, ne cessant de tenir le moi en tutelle et d'exercer sur lui une pression constante. Comme dans l'enfance, le Moi reste soucieux de ne pas perdre l'amour de ce maître, dont l'estime provoque en lui un soulagement et une satisfaction, et les reproches, du remords. Quand le Moi a fait au Surmoi le sacrifice de quelque satisfaction de ses instincts, il en attend, en retour, un surcroît d'amour. Le sentiment d'avoir mérité cet amour se transforme en fierté."
Freud, Moïse et le monothéisme, 1939.
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