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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
Le complexe d'Oedipe

  "D'après mes observations, déjà fort nombreuses, les parents jouent un rôle essentiel dans la vie psychique de tous les enfants qui seront plus tard atteints de psychonévroses. La tendresse pour l'un, la haine pour l'autre appartiennent au stock immuable d'impulsions formées à cet âge, et qui tiendront une place si importante dans la symptomatologie de la névrose ultérieure. Mais je ne crois pas que les névropathes se distinguent en cela des individus normaux, il n'y a là aucune création nouvelle, rien qui leur soit particulier. Il semble bien plutôt, et l'observation des enfants normaux paraît en être la preuve, que ces désirs affectueux ou hostiles à l'égard des parents ne soient qu'un grossissement de ce qui se passe d'une manière moins claire et moins intense dans l'esprit de la plupart des enfants. L'Antiquité nous a laissé pour confirmer cette découverte une légende dont le succès complet et universel ne peut être compris que si on admet l'existence universelle de semblables tendances dans l'âme de l'enfant.

  Je veux parler de la légende d'Œdipe-roi et du drame de Sophocle. Œdipe, fils de Laïos, roi de Thèbes, et de Jocaste, est exposé dès le berceau parce que, dès avant sa naissance, un oracle a prévenu son père que ce fils le tuerait. Il est sauvé ; on l'élève, comme le fils du roi, dans une cour étrangère ; mais ignorant sa naissance, il interroge un oracle. Celui-ci lui conseille d'éviter sa patrie, parce qu'il y serait le meurtrier de son père et l'époux de sa mère. Comme il fuit sa patrie supposée, il rencontre le roi Laïos et le tue au cours d'une dispute qui a éclaté brusquement. Il arrive ensuite à Thèbes où il résout l'énigme du sphinx qui barrait la route et, en remerciement, reçoit des Thébains le titre de roi et la main de Jocaste. Il règne longtemps en paix et a, de sa mère, deux fils et deux filles. Brusquement la peste éclate, et les Thébains interrogent à nouveau l'oracle. Ici commence la tragédie de Sophocle. Les messagers apportent la réponse de l'oracle : la peste cessera quand on aura chassé du pays le meurtrier de Laïos. Mais où le trouver ? « Où découvrirons-nous cette piste difficile d'un crime ancien ? ». La pièce n'est autre chose qu'une révélation progressive et très adroitement mesurée - comparable à une psychanalyse - du fait qu'Œdipe lui-même est le meurtrier de Laïos, mais aussi le fils de la victime et de Jocaste. Épouvanté par les crimes qu'il a commis sans le vouloir, Œdipe se crève les yeux et quitte sa patrie. L'oracle est accompli. Œdipe-roi est ce qu'on appelle une tragédie du destin ; son effet tragique serait dû au contraste entre la toute-puissante volonté des dieux et les vains efforts de l'homme que le malheur poursuit ; le spectateur, profondément ému, devrait y apprendre la soumission à la volonté divine et sa propre impuissance. Des poètes modernes se sont efforcés d'obtenir un effet tragique semblable en présentant le même contraste, au moyen d'un sujet qu'ils avaient eux-mêmes imaginé. Les spectateurs ont assisté sans aucune émotion à la lutte d'hommes innocents contre une malédiction ou un oracle qui finissait par s'accomplir ; les tragédies modernes du destin n'ont eu aucun succès.

  Si les modernes sont aussi émus par Œdipe-roi que les contemporains de Sophocle, cela vient non du contraste entre la destinée et la volonté humaine, mais de la nature du matériel qui sert à illustrer ce contraste. Il faut qu'il y ait en nous une voix qui nous fasse reconnaître la puissance contraignante de la destinée dans Œdipe ; nous l'écartons aisément dans L'Aïeule ou tant d'autres tragédies du destin. Ce facteur existe en effet dans l'histoire d'Œdipe-Roi. Sa destinée nous émeut parce qu'elle aurait pu être la nôtre, parce qu'à notre naissance l'oracle a prononcé contre nous cette même malédiction. Il se peut que nous ayons tous senti à l'égard de notre mère notre première impulsion sexuelle, à l'égard de notre père notre première haine ; nos rêves en témoignent. Œdipe qui tue son père et épouse sa mère ne fait qu'accomplir un des désirs de notre enfance. Mais, plus heureux que lui, nous avons pu, depuis lors, dans la mesure où nous ne sommes pas devenus névropathes, détacher de notre mère nos désirs sexuels et oublier notre jalousie à l'égard de notre père. Nous nous épouvantons à la vue de celui qui a accompli le souhait de notre enfance, et notre épouvante a toute la force du refoulement qui depuis lors s'est exercé contre ces désirs. Le poète, en dévoilant la faute d'Œdipe, nous oblige à regarder en nous-mêmes et à y reconnaître ces impulsions qui, bien que réprimées, existent toujours. Le contraste sur lequel nous laisse le Chœur : « […] Voyez cet Œdipe, qui devina les énigmes fameuses. Cet homme très puissant, quel est le citoyen qui ne regardait pas sans envie sa prospérité ? Et maintenant dans quel flot terrible de malheur il est précipité ! »

  Cet avertissement nous atteint nous-mêmes et blesse notre orgueil, notre conviction d'être devenus très sages et très puissants depuis notre enfance. Comme Œdipe, nous vivons inconscients des désirs qui blessent la morale et auxquels la nature nous contraint. Quand on nous les révèle, nous aimons mieux détourner les yeux des scènes de notre enfance."
 

Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves, 1900, tr. fr. I. Meyerson, PUF, 1967, p. 227-229.



  "Le complexe d'Oedipe dans sa forme simplifiée, le cas de l'enfant mâle, se présente ainsi : tout au début, il développe un investissement d'objet à l'égard de la mère, qui prend son point de départ dans le sein maternel et représente le modèle exemplaire d'un choix d'objet selon le type par étayage ; quant au père, le garçon s'en empare par identification. Les deux relations cheminent un certain temps côte à côte jusqu'à ce que, les désirs sexuels à l'égard de la mère se renforçant et le père étant perçu comme un obstacle à ces désirs, le complexe d'Oedipe apparaisse. L'identification au père prend alors une tonalité hostile, elle se convertit en désir d'éliminer le père et de le remplacer auprès de la mère. À partir de là, la relation au père est ambivalente ; on dirait que l'ambivalence inhérente dès l'origine à l'identification est devenue manifeste. L'attitude ambivalente à l'égard du père et la tendance objectale uniquement tendre envers la mère représentent chez le garçon le contenu du complexe d'Oedipe simple, positif."

 

Sigmunf Freud, Essais de psychanalyse (1915-1923), « Le Moi et le Ça », trad. J. Laplanche sous la responsabilité de K. Bourguignon, Payot, 1981.



    "En 1887, Freud raconte qu'il a été amoureux de sa mère et jaloux de son père. De cet événement marquant de sa propre enfance, il fait un complexe fondateur chez chaque être humain et la pierre angulaire de la psychanalyse. La référence au héros de la mythologie grecque, qui tua son père et épousa sa mère, donne à sa théorie un statut universel. De la résolution de ce complexe chez le sujet dépend l'état de normalité ou celui de névrose.

    Cette statue d'airain vient d'être déboulonnée par deux psychologues allemands des universités de Hanovre et de Heildelberg. Ils affirment, preuves à l'appui, que le complexe d'Oedipe est une invention de Freud et que, loin d'être un passage obligé, il ne se manifeste chez l'enfant que de manière exceptionnelle. Les deux scientifiques ont testé 130 enfants de 3 à 9 ans (61 garçons et 67 filles), ainsi que leurs parents, des familles représentatives du clivage traditionnel entre père et mère (en terme de formation et de profession).

    La méthode comprenait des entretiens projectifs - images, schémas, émotions, récits - reliés à leurs parents. Grâce au test du visage (silhouette amicale, neutre, inamicale ou en colère), nos deux pourfendeurs du mythe ont eu la surprise de constater qu'à l'âge « phalique » ou « oedipal », 81,5% des enfants indépendamment de leur sexe, jugeaient leur mère gentille, 78,5% leur père gentil. Les questionnaires remplis par les parents confirmèrent le résultat. aucun des enfants n'idéalisait le parent du sexe opposé.

    Quant aux propositions de mariage (plus tard j'épouserai) dont font grand cas les psychanalystes, 82,5% des mères et 86,5% des pères n'avaient jamais entendu leur enfant faire ce type de confidence. Qui plus est dans la phase oedipale, chaque enfant s'identifiait fortement au parent du même sexe que lui. Un travail à rapprocher des études des ethnologues (comme celles de Bronislav Malinowski sur les sociétés à formation matrilinéaine) pour qui l'homme est avant tout un être historique, façonné par le contexte psychosocial spécifique à chaque culture. Selon eux, le schéma de l'oedipe serait caduc dans les cultures différentes des nôtres. Les plus virulents détracteurs parlent même de ce complexe en terme de maladie ethnique très localisée".
 

 

 

Article tiré de la revue Science et Avenir - Février 1997, p. 28.
 

 

 

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Date de création : 13/03/2007 @ 17:50
Dernière modification : 05/05/2024 @ 18:50
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