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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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Hors des sentiers battus
La conception psychanalytique de la création artistique

  "Si au moins nous pouvions découvrir chez nous ou chez nos semblables une activité apparentée d'une manière ou d'une autre à ce que fait le poète ! L'investigation de celle-ci nous permettrait d'espérer acquérir un premier éclaircissement sur l'activité créatrice du poète. Et effectivement, une telle perspective existe – les poètes eux-mêmes d'ailleurs aiment à réduire l'écart entre leur particularité et l'essence humaine en général ; ils nous assurent si fréquemment qu'en tout homme se cache un poète et que le dernier poète ne mourra qu'avec le dernier homme.
  Ne devrions-nous pas chercher déjà chez l'enfant les premières traces d'une activité poétique ? L'occupation la plus chère et la plus intense de l'enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous en droit de dire : tout enfant qui joue se comporte comme un poète en tant qu'il se crée son propre monde ou, pour parler plus exactement, transporte les choses de son monde dans un ordre nouveau à sa convenance. Ce serait un tort de croire qu'il ne prend pas ce monde au sérieux, au contraire, il prend son jeu très au sérieux, il s'y investit beaucoup affectivement. Le contraire du jeu n'est pas le sérieux, mais la réalité. En dépit de son investissement affectif, l'enfant distingue fort bien son monde de jeu de la réalité, et il étaye1 volontiers les objets et les circonstances qu'il a imaginés sur des choses palpables et visibles du monde réel. Rien d'autre que cet étayage ne distingue encore l' « activité de jeu » de l'enfant de l' « activité imaginaire ».

  Or le poète fait la même chose que l'enfant qui joue ; il crée un monde imaginaire qu'il prend très au sérieux, c.-à-d. qu'il l'investit affectivement tout en le séparant strictement de la réalité."

 

Sigmund Freud, "Le Poète et l'activité de fantaisie", 1908, tr. fr. Pierre Cotet, Marie-Thérèse Schmidt, in Œuvres complètes, volume VIII, PUF, 2007.



  "Avant de terminer cette leçon, je voudrais encore attirer votre attention sur un côté des plus intéressants de la vie imaginative. Il existe notamment un chemin de retour qui conduit de la fantaisie à la réalité : c'est l’art. L'artiste est en même temps un introverti qui frise la névrose. Animé d'impulsions et de tendances extrêmement fortes, il voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent de se procurer ces satisfactions. C'est pourquoi, comme tout homme insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt, et aussi sa libido, sur les désirs créés par sa vie imaginative, ce qui peut le conduire facilement à la névrose. Il faut des circonstances favorables pour que son développement n'aboutisse pas à ce résultat ; et l'on sait combien sont nombreux les artistes qui souffrent d'un arrêt partiel de leur activité par suite de névroses. Il est possible que leur constitution comporte une grande aptitude à la sublimation et une certaine faiblesse à effectuer des refoulements susceptibles de décider du conflit. Et voici comment l'artiste retrouve le chemin de la réalité. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il n'est pas le seul à vivre d'une vie imaginative. Le domaine intermédiaire de la fantaisie jouit de la faveur générale de l'humanité, et tous ceux qui sont privés de quelque chose y viennent chercher compensation et consolation. Mais les profanes ne retirent des sources de la fantaisie qu'un plaisir limité. Le caractère implacable de leurs refoulements les oblige à se contenter des rares rêves éveillés dont il faut encore qu'ils se rendent inconscients. Mais le véritable artiste peut davantage. Il sait d'abord donner à ses rêves éveillés une forme telle qu'ils perdent tout caractère personnel susceptible de rebuter les étrangers, et deviennent une source de jouissance pour les autres. Il sait également les embellir de façon à dissimuler complètement leur origine suspecte. Il possède en outre le pouvoir mystérieux de modeler des matériaux donnés jusqu'à en faire l'image fidèle de la représentation existant dans sa fantaisie et de rattacher à cette représentation existant dans sa fantaisie inconsciente une somme de plaisir suffisante pour masquer ou supprimer, provisoirement du moins, les refoulements. Lorsqu'il a réussi à réaliser tout cela, il procure à d'autres le moyen de puiser à nouveau soulagement et consolation dans les sources de jouissances, devenues inaccessibles, de leur propre inconscient ; il s'attire leur reconnaissance et leur admiration et a finalement conquis par sa fantaisie ce qui auparavant n'avait existé que dans sa fantaisie : honneurs, puissance et amour des femmes".

 

Freud, Introduction à la psychanalyse, 1916, tr fr. Samuel Jankélévitch, Petite Bibliothèque Payot, p. 354-355.


 

    "Il existe notamment un chemin de retour qui conduit de la fantaisie à la réalité : c'est l'art. L'artiste est en même temps un introverti qui frise la névrose. Animé d'impulsions et de tendances extrêmement fortes, il voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent de se procurer ces satisfactions. C'est pourquoi, comme tout homme insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt, et aussi sa libido, sur les désirs créés par sa vie imaginative, ce qui peut le conduire facilement à la névrose... Et voici comment l'artiste retrouve le chemin de la réalité. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il n'est pas le seul à vivre d'une vie imaginative. Le domaine intermédiaire de la fantaisie jouit de la faveur générale de l'humanité, et tous ceux qui sont privés de quelque chose y viennent chercher compensation et consolation. Mais les profanes ne retirent des sources de la fantaisie qu'un plaisir limité. Le caractère implacable de leurs refoulements les oblige à se contenter des rares rêves éveillés dont il faut encore qu'ils se rendent conscients. Mais le véritable artiste peut davantage. Il sait d'abord donner à ses rêves éveillés une forme telle qu'ils perdent tout caractère personnel susceptible de rebuter les étrangers, et deviennent une source de jouissance pour les autres. Il sait également les embellir de façon à dissimuler complètement leur origine suspecte. Il possède en outre le pouvoir mystérieux de modeler des matériaux donnés jusqu’à en faire l’image fidèle de la représentation existant dans sa fantaisie et de rattacher à cette représentation de sa fantaisie inconsciente une somme de plaisir suffisante pour masquer ou supprimer, provisoirement du moins, les refoulements. Lorsqu’il a réussi à réaliser tout cela, il procure à d’autres le moyen de puiser à nouveau soulagement et consolation dans les sources de jouissances, devenues inaccessibles, de leur propre inconscient ; il s’attire leur reconnaissance et leur admiration et a finalement conquis par sa fantaisie ce qui auparavant n’avait existé que dans sa fantaisie : honneurs, puissance et amour des femmes."

 

Freud, Introduction à la psychanalyse, 1916, tr. fr. Samuel Jankélévitch, Payot, 1987, p. 354-355. 

 

 

 

 



  "Ce ne sont pas les épanchements de l'inconscient, mais plutôt la maîtrise des tendances inconscientes, la soumission de la faculté créatrice à une forte discipline esthétique qui seules permettent les œuvres d'art. […]
  Ce qui permet la créativité, ce n'est pas un débordement de l'inconscient, mais le fait que des éléments soigneusement choisis dans les fantasmes, et ordonnés, soient rigoureusement travaillés par un esprit critique d'une façon extrêmement disciplinée et dans le cadre d'une tradition bien comprise. Peu importe que l'artiste accepte, modifie ou rejette une tradition précise ; autrement dit, peu importe la façon dont ses œuvres se relient à cette tradition. Mais pour qu'elle puisse communiquer sa signification, l'œuvre d'art doit être positivement ou négativement rattachée à une tradition. Psychanalytiquement parlant, cela implique que le matériel inconscient sert de substrat à l'œuvre d'art, mais que celle-ci ne peut exister si ce matériel n'est pas modelé et socialisé par les forces du moi et du surmoi. S'il me fallait expliquer ma pensée d'une façon terre à terre, je dirais que quand l'importance de l'inconscient dans l'éducation artistique a été reconnue, cela a conféré à l'art un rôle unique, parce que la presque totalité du reste de l'éducation est destinée à réprimer l'inconscient. Mais il est faux d'en conclure qu'il faille simplement laisser l'inconscient dominer l'enseignement artistique.

  Les professeurs d'art devraient en effet montrer à leurs élèves que l'inconscient ne doit pas être réprimé, qu'il peut devenir la source d'une grande vitalité... mais seulement lorsqu'il a été maîtrisé par les forces du moi et enrichi par lui. Ce qu'il faut, c'est une mise en œuvre disciplinée du matériel inconscient chaotique ; il faut qu'il soit transformé et moulé dans des formes qui soient significatives aussi bien pour l'artiste lui-même que pour les autres. Nos élèves devraient apprendre que l'inconscient, quand il est utilisé comme une ressource naturelle, peut énormément vivifier l'ensemble de la personnalité ; tandis que l'expression libre et effrénée de l'inconscient est un pas vers la désintégration de la personnalité."

 
Bruno Bettelheim, "Points de vue personnels sur l'art et l'éducation artistique", 1962, in Survivre, tr. fr. Théo Carlier, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 485-486.

 

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Date de création : 16/03/2007 @ 17:48
Dernière modification : 24/06/2021 @ 09:08
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