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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Le rêve

  "Les pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux, le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription [Übertragung] des pensées du rêve, dans un autre mode d'expression, dont nous ne pourrons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l'original. Nous comprenons les pensées du rêve d'une manière immédiate dès qu'elles nous apparaissent. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits [übertragen] dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il représente une maison sur le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses parties n'ont de sens. Un canot ne doit pas se trouver sur le toit d'une maison et une personne qui n'a pas de tête ne peut pas courir. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m'efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être représenté par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l'interpréter en tant que dessin. C'est pourquoi il leur a paru absurde et sans valeur."

Freud, L'Interprétation des rêves, 1899, Chapitre VI : Le travail du rêve, trad. fr. Ignace Meyerson augmentée et révisée par D. Berger, PUF, 1987, p. 241-242.


 

  "Nous avons jusqu'ici suivi pas à pas le désir du rêve. Nous l'avons vu sortir de l'inconscient, nous avons analysé ses relations avec les restes diurnes : désirs conscients, autres impulsions psychiques, simples impressions récentes. Nous avons ainsi réservé la place qui revient pour la formation du rêve à l'activité diverse et multiple de la pensée de veille. Il ne nous paraît pas impossible d'expliquer, à l'aide de notre conception, même les cas extrêmes où le rêve, continuant le travail de la veille, résout un problème resté en suspens. Il ne nous manque que l'analyse d'un exemple de cette sorte, permettant de montrer la source du désir infantile ou refoulé dont l'aide a pu seconder si puissamment l'activité préconsciente. Mais nous ne savons toujours pas pourquoi dans le sommeil l'inconscient ne nous offre que la force pulsionnelle vers la satisfaction d'un désir. La réponse à cette question jettera une vive lumière sur la nature psychologique du désir ; nous allons la tenter à l'aide de notre schéma de l'appareil psychique.
  Cet appareil n'a pu atteindre sa perfection actuelle qu'au bout d'un long développement. Essayons de le ramener à un stade antérieur. Selon des hypothèses que nous n'avons pas à justifier ici, cet appareil a tendu tout d'abord à se maintenir le plus possible à l'abri des stimuli : et c'est pourquoi sa première structure a été celle d'un appareil réflexe ; il pouvait ainsi aiguiller aussitôt sur la voie motrice toute excitation sensorielle qui l'atteignait. Mais la vie trouble cette fonction simple ; elle donne l'impulsion qui mène à une structure plus complexe. D'abord les grands besoins du corps apparaissent. L'excitation provoquée par le besoin interne cherche une issue dans la motilité que l'on peut appeler « modification interne » ou « expression d'un changement d'humeur ». L'enfant qui a faim criera désespérément ou bien s'agitera. Mais la situation demeure la même ; car l'excitation provenant d'un besoin intérieur répond à une action continue et non à un heurt momentané. Il ne peut y avoir changement que quand, d'une façon ou d'une autre (dans le cas de l'enfant par suite d'une intervention étrangère), l'on acquiert l'expérience de la satisfaction qui met fin à l'excitation interne. Un élément essentiel de cette expérience, c'est l'apparition d'une certaine perception (l'aliment dans l'exemple choisi) dont l'image mnésique restera associée avec la trace mémorielle de l'excitation du besoin. Dès que le besoin se représentera, il y aura, grâce à la relation établie, déclenchement d'une impulsion [Regung] psychique qui investira à nouveau l'image mnésique de cette perception dans la mémoire, et provoquera à nouveau la perception elle-même, c'est-à-dire reconstituera la situation de la première satisfaction. C'est ce mouvement que nous appelons désir ; la réapparition de la perception est l'accomplissement du désir et l'investissement total de la perception depuis l'excitation du besoin est le chemin le plus court vers l'accomplissement du désir. Rien ne nous empêche d'admettre un état primitif de l'appareil psychique où ce chemin est réellement parcouru et où le désir, par conséquent, aboutit en hallucinatoire. Cette première activité psychique tend donc à une identité de perception, c'est-à-dire à la répétition de la perception, laquelle se trouve liée à la satisfaction du besoin.
  Une dure expérience vitale doit avoir transformé cette activité psychique primitive en une activité mieux adaptée secondaire. L'identité de perception obtenue par la voie régrédiente rapide, intérieure à l'appareil, n'a pas d'autre part les conséquences qui sont reliées à l'investissement, depuis l'extérieur, de cette même perception. La satisfaction ne se produit pas, le besoin continue. Il n'y a qu'un moyen de rendre cet investissement interne équivalent à la perception extérieure : c'est de le maintenir d'une manière permanente, continue ; c'est ce que réalisent les psychoses hallucinatoires et les fantasmes des inanités, où l'activité psychique s'épuise à retenir l'objet désiré. Pour obtenir un emploi mieux approprié de la force psychique, il est nécessaire d'arrêter la régression dans sa marche, en sorte qu'elle ne dépasse pas l'image-souvenir, et puisse à partir de là chercher d'autres voies qui permettent d'établir de l'extérieur l'identité souhaitée[1]. Cette inhibition, et la déviation de l'excitation qui suit, est le fait d'un deuxième système qui contrôle la motilité volontaire, c'est-à-dire l'utilisation des mouvements pour des fins que nous offre notre mémoire. Mais toute cette activité de pensée compliquée qui va de l'image mnésique jusqu'au rétablissement de l'identité de perception par les objets du monde extérieur n'est qu'un détour dans l'accomplissement du désir, rendu nécessaire par l'expérience. La pensée n'est qu'un substitut du désir hallucinatoire, et on comprend aisément que le rêve ne soit qu'accomplissement de désir, puisque seul le désir peut pousser au travail notre appareil psychique. Le rêve, qui réalise ses désirs par le court chemin « régrédient », ne fait là que nous conserver un exemple du mode de travail primaire de l'appareil psychique qui a été banni à cause de son inefficacité. La vie nocturne a recueilli ce qui fut autrefois notre vie éveillée, quand notre vie psychique était jeune et inhabile, un peu comme nos enfants retrouvent les armes aujourd'hui périmées de l'humanité primitive, l'arc et les flèches. Le rêve est un fragment de vie psychique infantile qui a été supplantée. Dans les psychoses, ces modes de travail psychique anciens et réprimés retrouvent leur force et révèlent par là leur impuissance à satisfaire nos besoins vis-à-vis du monde extérieur.
  Les impulsions de désirs [Wunschregungen] inconscients tendent visiblement à se manifester aussi pendant le jour ; le transfert aussi bien que les psychoses nous montrent qu'elles voudraient pénétrer de force à travers le préconscient, jusqu'à la conscience et à la motilité volontaire. La censure entre l'inconscient et le préconscient, dont le rêve nous a révélé l'existence, il nous faut donc la reconnaître et l'honorer comme le gardien de notre santé mentale. Mais ce gardien n'a-t-il pas tort de diminuer pendant la nuit sa vigilance et de laisser ainsi s'exprimer les impulsions refoulées de l'inconscient, de rendre possible la régression hallucinatoire ? Je ne le pense pas. Car, lorsque ce veilleur-censeur s'en va dormir – et nous avons la preuve qu'il ne sommeille pas profondément –, il ferme la porte menant à la motilité. Les impulsions venues de l'inconscient, ordinairement inhibé, peuvent s'ébattre sur la scène ; on peut les laisser faire : elles demeurent inoffensives, car elles ne sont pas en mesure de mettre en mouvement l'appareil moteur, qui seul peut modifier le monde extérieur. L'état de sommeil assure la sécurité de la forteresse à garder. Il n'y a danger que lorsque le déplacement de forces est réalisé, non par le relâchement nocturne de la censure critique, mais par un affaiblissement pathologique de celle-ci ou par le renforcement pathologique des excitations inconscientes, alors que le préconscient est investi et que les portes de la motilité sont ouvertes. Alors le veilleur est terrassé, les excitations inconscientes soumettent à leur pouvoir le préconscient, dominent par lui nos paroles et nos actes ou s'emparent de la régression hallucinatoire et dirigent l'appareil qui n'était pas fait pour elle au moyen de l'attraction que les perceptions exercent sur la répartition de notre énergie psychique. C'est cet état que nous appelons psychose."

 

Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves, 1899, tr. fr. Ignace Meyerson augmentée et révisée par D. Berger, France Loisirs, 1992, p. 588-592.


[1] En d'autres termes : on reconnaît la nécessité d'une « épreuve par la réalité ».



  "Quand, au début de ce travail, j'ai donné un de mes rêves en exemple d'analyse, j'ai dû interrompre l'inventaire de mes idées latentes parce qu'il s'en trouvait parmi elles que je préférais garder secrètes, que je ne pouvais pas communiquer sans manquer gravement à certaines convenances. J'ai ajouté qu'il ne servirait à rien de remplacer cette analyse par une autre, car, quel que soit le rêve choisi, fût-il le plus obscur de tous et le plus embrouillé, je me heurterais en fin de compte à des pensées latentes que je ne pourrais révéler sans indiscrétion. Toutefois, quand, après avoir écarté les témoins de ces débats intimes, j'ai poursuivi l'analyse à part moi, j'ai rencontré des pensées qui m'ont profondément étonné. Je ne me les connaissais pas ; elles me semblaient non seulement étrangères, mais pénibles ; je les repoussais de toutes mes forces et cependant je sentais qu'elles m'étaient imposées par la logique inflexible des idées latentes. Je ne puis expliquer cet état de choses que d'une manière, en admettant que ces pensées ont réellement existé en moi, qu'elles y possédaient une certaine intensité ou énergie psychique, mais qu'elles se trouvaient à mon égard dans une situation psychologique spéciale qui m'empêchait d'en prendre conscience. Cette situation spéciale, je la dénomme état de refoulement. Je reconnais alors qu'entre l'obscurité du rêve manifeste et l'état de refoulement des idées latentes – autrement dit, la répugnance que j'éprouve à prendre conscience de ces idées –, il existe une relation de cause à effet ; et j'en conclus que si le rêve est obscur, c'est par nécessité et pour ne pas trahir certaines idées latentes que ma conscience désapprouve. Ainsi s'explique le travail de déformation qui est pour le rêve comme un véritable déguisement."

 

Sigmund Freud, Le Rêve et son interprétation, 1901, tr. fr. Hélène Legros, Folio essais, 1985, p. 87-88.

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Date de création : 16/03/2007 @ 19:46
Dernière modification : 20/11/2024 @ 17:11
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