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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
La critique nietzschéenne de la morale
  "L'histoire des sentiments en vertu desquels nous rendons quelqu'un responsable, c'est-à-dire des sentiments appelés moraux, se déroule selon les grandes phases suivantes. On commence par dire bonnes ou mauvaises des actions prises séparément sans regarder à leurs motifs, mais uniquement en raison de leurs conséquences utiles ou nuisibles. Mais on oublie bien vite l'origine de ces désignations et l'on s'imagine que la qualité de « bonnes » ou « mauvaises » est inhérente aux actions en soi, indépendamment de leurs conséquences : épousant la même erreur qui fait que le langage qualifie la pierre elle-même de dure, l'arbre lui-même de vert - c'est-à-dire prenant pour la cause ce qui est l'effet. Ensuite on introduit la qualité bonne ou mauvaise dans les motifs eux-mêmes et ce sont les actes en soi que l'on considère comme moralement ambigus. Allant plus loin, on attribue le prédicat bon ou mauvais non plus au motif isolé, mais à l'être même d'un individu tout entier, qui produit le motif comme le sol la plante. C'est ainsi que l'on rend l'homme successivement responsable des effets qu'il provoque, puis de ses actions, puis de ses motifs et enfin de son être même. On finit alors par découvrir que cet être ne peut pas être responsable non plus, dans la mesure où il n'est rien que conséquence et résultat d'un enchevêtrement d'éléments et d'influences de choses passées et présentes ; tant et si bien que l'on ne peut rendre l'homme responsable de rien, ni de son être, ni de ses motifs, ni de ses actes, ni de leurs effets. On en arrive ainsi au point de reconnaître que l'histoire des sentiments moraux est l'histoire d'une erreur, l'erreur de la responsabilité : laquelle repose sur l'erreur touchant la liberté de la volonté".

Nietzsche, Humain, trop humain, 1878, § 39, trad. Robert Rovini, Folio essais, 2000, p. 64-65.

 

    "Avoir de la morale, des moeurs, une éthique, cela signifie obéir à une loi ou une tradition fondées en ancienneté. Que l'on s'y soumette avec peine ou de son plein gré, peu importe, il suffit qu'on le fasse. On appelle « bon » celui qui, comme tout naturellement, à la suite d'une longue hérédité, donc aisément et volontiers, agit en conformité avec la morale telle qu'elle est à ce moment (exerce par exemple la vengeance quand exercer la vengeance entre, comme chez les Grecs anciens, dans les bonnes moeurs). Il est dit bon parce qu'il est bon « à quelque chose » ; mais comme, malgré le changement des moeurs, on a toujours trouvé la bienveillance, la pitié, et autres sentiments semblables « bons à quelque chose », utiles, c'est surtout le bienveillant, le secourable que l'on appelle « bons ». Être méchant, c'est être « non moral » (immoral), pratiquer l'immoralité, s'opposer à la tradition, quelque raisonnable ou absurde qu'elle puisse être ; mais dans toutes les lois morales des diverses époques, c'est surtout nuire à son prochain que l'on a ressenti comme nuisible, si bien qu'actuellement le mot « méchant » nous fait avant tout penser à un dommage volontairement infligé au prochain. Elle n'est pas entre « égoïste » et « altruiste », l'opposition fondamentale qui a conduit les hommes à distinguer le moral de l'immoral, le bien du mal, elle est entre l'attachement à une tradition, à une loi, et l'acte de s'en détacher. La manière dont la tradition a pris naissance est ici chose indifférente ; elle l'a fait en tout cas sans référence au bien et au mal ou à quelque impératif catégorique immanent, en visant avant tout à la conservation d'une communauté, d'un peuple ; tout usage superstitieux né d'un accident mal interprété finit par imposer une tradition qu'il est moral de suivre ; s'en affranchir est un effet dangereux, plus nuisible encore à la communauté qu'à l'individu (parce que la divinité fait expier le sacrilège et toute violation de ses privilèges à la communauté, et par là seulement à l'individu aussi). Or, toute tradition se fait d'autant plus vénérable dans sa continuité que l'origine en est plus reculée, plus oubliée ; les trésors de respect qu'on lui voue s'accumulent de génération en génération, la tradition finit par être sacrée, par inspirer crainte et vénération ; et ainsi la morale de la piété est en tout cas une morale beaucoup plus ancienne que celle qui exige des actions désintéressées".
 
Nietzsche, Humain, trop humain, 1878, trad. Robert Rovini, Folio essais, 2000, p. 91-92.


    "Idée de la moralité des moeurs. Si l'on compare notre façon de vivre à celle de l'humanité pendant des millénaires, on constatera que, nous autres, hommes d'aujourd'hui, vivons dans une époque très immorale : la puissance des moeurs est affaiblie d'une façon surprenante, et le sens moral s'est tellement subtilisé et élevé que l'on peut tout aussi bien le considéré comme volatilisé. C'est pourquoi, nous autres, hommes tardifs, pénétrons si difficilement les idées directrices qui ont présidé à la formation de la morale et, si nous arrivons à les découvrir, nous répugnons encore à les publier: parce qu'elles résonnent si grossièrement ! Ou parce qu'elles ont l'air de calomnier le moralité ! Voilà déjà, par exemple, la proposition principale : la moralité n'est pas autre chose, (donc, avant tout, pas plus) que l'obéissance aux moeurs, c'est la façon traditionnelle, d'agir et d'évoluer. Partout où les coutumes ne commandent pas, il n'y a pas de moralité ; et moins l'existence est déterminée par les coutumes, moins est grand le cercle de la moralité. L'homme libre est immoral, puisque, en toutes choses, il veut dépendre de lui-même et non d'usage établi : dans tous les états primitifs de l'humanité, "mal" équivaut à "intellectuel", "libre", "arbitraire", "inaccoutumé", " imprévu", "incalculable". Toujours selon l'évaluation des mêmes états, si une action est exécutée non parce que la tradition le commande mais pour d'autres raisons (par exemple à cause de son utilité individuelle ), et même pour les mêmes raisons qui autrefois ont établi la coutume, elle est qualifiée d'immorale et considérée comme telle, même par celui qui l'exécute : car elle n'a pas été inspirée par l'obéissance envers la tradition. Qu'est-ce que la tradition ? Une autorité supérieure à laquelle on obéi, non parce qu'elle commande l'utile, mais parce qu'elle commande. En quoi ce sentiment de la tradition se distingue-t-il d'un sentiment général de crainte ? C'est la crainte d'une intelligence supérieure qui ordonne, d'une puissance incompréhensible et indéfinie, de quelque chose qui est plus que personnel, - il y a de la superstition dans cette crainte.
    Autrefois l'éducation tout entière et les soins de la santé, le mariage, l'art médical, l'agriculture, la guerre la parole et le silence, les rapports entre les hommes et les rapports avec les dieux appartenaient au domaine de la moralité : celle-ci exigeait que l'on observât des prescriptions, sans penser à soi-même en tant qu'individu. Originellement tout dépendait donc de l'usage, de moeurs, et celui qui voulait s'élever au-dessus des moeurs devait se faire législateur, guérisseur, et quelque chose comme un demi-dieu : c'est-à-dire qu'il lui fallait créer des moeurs, - chose épouvantable et fort dangereuse !

    Qui est le plus moral ? D'une part celui qui accomplit la loi le plus fréquemment: celui donc qui, comme le brahmane, porte la conscience de la loi partout et dans la plus petite division du temps, de sorte que son esprit s'ingénie sans cesse à trouver des occasions pour accomplir la loi. D'autre part, celui qui accomplit aussi la loi dans les cas les plus difficiles. Le plus moral est celui qui sacrifie le plus au m½urs : mais quels sont les plus grands sacrifices ? En répondant à cette question on arrive à développer plusieurs morales distinctives : mais la différence la plus importante demeure celle qui sépare la moralité de l'accomplissement le plus fréquent de celle de l'accomplissement le plus difficile. Que l'on ne se trompe pas sur les motifs de cette morale qui exige pour signe de la moralité l'accomplissement d'un usage dans les cas les plus difficiles ! La victoire sur soi-même n'est pas demandée à cause des conséquences utiles qu'elle a pour l'individu, mais pour que les moeurs, la tradition apparaissent comme dominantes, malgré toutes les velléités contraires et tous les avantages individuels : l'individu doit se sacrifier - ainsi l'exige la moralité des moeurs. Par contre, ces moralistes qui pareils aux successeurs de Socrate, recommandent à l'individu la domination de soi et l'abstinence comme ses avantages les plus particuliers, comme la clé de son bonheur le plus personnel, sont l'exception - et s'il nous paraît en être autrement, c'est simplement parce que nous avons été élevés sous leur influence. Ils suivent tous une voie nouvelle et sont victimes de la désapprobation absolue de tous les représentants de la moralité des moeurs, ils s'excluent de la communauté comme immoraux, et sont, au sens le plus profond , mauvais. De même un Romain vertueux de la vieille école considérait comme mauvais tout chrétien qui "aspirait, avant tout, à son propre salut". Partout où il existe une communauté et, par conséquent, une moralité de moeurs, domine l'idée que la punition pour la violation des moeurs touche avant tout la communauté elle-même : cette punition surnaturelle dont la manifestation et les limites sont si difficiles à saisir et approfondies avec une peur superstitieuse. La communauté peut forcer l'individu à racheter, auprès d'un autre individu ou de la communauté même, le dommage immédiat qui est la conséquence de son acte, elle peut aussi exercer une sorte de vengeance sur l'individu parce que, à cause de lui - comme une prétendue conséquence de son acte - , les nuages divins et les explosions de colères divines se sont accumulés sur la communauté, - mais elle considère pourtant, avant tout, la culpabilité de l'individu comme sa culpabilité à elle, et elle porte la punition de l'individu comme sa punition à elle. "Les moeurs se sont relâchés", ainsi gémit l'âme de chacun, quand de pareils actes sont possibles. Toute action individuelle, toute façon de penser individuelle font frémir ; il est tout à fait impossible d'évaluer ce que les esprits les plus rares, les plus recherchés, les plus originaux, ont dû souffrir au cours des temps par le fait qu'ils ont toujours été considérés comme des êtres mauvais et dangereux, par le fait qu'ils se considéraient eux-mêmes comme tels. Sous la domination de la moralité des moeurs, toute espèce d'originalité avait mauvaise conscience ; l'horizon de l'élite paraissait encore plus sombre qu'il ne devait l'être."

Nietzsche, Aurore, 1881, Trad. Henri Albert revue par A.Kremer-Marietti, p. 41-44.



  "Pourquoi tenez-vous cela, et précisément cela pour juste ? – « Parce que ma conscience me le dit ; la  conscience ne parle jamais de façon immorale, puisqu'elle détermine au préalable ce qui doit être moral ! » – Mais pourquoi écouter le langage de votre conscience ? Et dans quelle mesure avez-vous le droit de considérer pareil jugement comme vrai et infaillible ? Pour pareille croyance – il n'y aurait donc plus de conscience ? N'avez-vous nulle notion d'une conscience intellectuelle ? D'une conscience derrière votre « conscience » ? Votre jugement : « voilà qui est juste » a une préhistoire dans vos impulsions, vos penchants, vos répulsions, vos expériences, vos manques d'expérience : « Comment ce jugement a-t-il pu se produire ? » devez-vous vous demander, et ensuite : « Qu'est-ce qui me pousse en somme à l'écouter ? » Vous pouvez obéir à son impératif comme un brave soldat qui perçoit le commandement de son officier. Ou bien comme une femme qui aime celui qui commande. Ou encore comme un flagorneur, un lâche qui craint celui qui commande. Ou enfin comme un imbécile qui obéit parce qu'il ne trouve rien à dire là contre. Bref, vous pouvez écouter votre conscience de cent manières différentes. Mais que vous entendiez tel ou tel jugement en tant que voix de votre conscience, donc que vous éprouviez quelque chose en tant que juste, voilà qui peut avoir son origine dans le fait que vous n'avez jamais réfléchi sur vous-mêmes et accepté aveuglément tout ce qui vous fut prescrit en tant que juste depuis votre enfance : ou encore dans le fait que jusqu'à maintenant le pain quotidien et les honneurs vous furent assurés par cela même que vous nommez votre devoir – qui passe pour « juste » à vos yeux, parce que semblant constituer votre « condition d'existence » (que vous ayez droit vous-mêmes à l'existence, voilà qui vous semble irréfutable) ! La solidité de votre jugement moral pourrait toujours être une preuve précisément de misère personnelle, une preuve d'impersonnalité, votre « force morale » pourrait avoir sa source dans votre entêtement – ou dans votre incapacité de concevoir de nouveaux idéaux ! En un mot : si vous aviez pensé plus subtilement, observé mieux et appris davantage, ce « devoir » et cette « conscience » que vous dites vôtres, vous ne les nommeriez on aucun cas ni devoir ni conscience : la compréhension de la manière même dont les jugements moraux ont jamais pu naître, vous dégoûterait de ces termes pathétiques – de même que vous avez déjà été dégoûté d'autres termes pathétiques semblables tels que « péché », « salut de l'âme », « rédemption ». – Et maintenant ne me parlez pas de l'impératif catégorique, mon ami ! – ce mot chatouille mon oreille, il me fait rire, en dépit de votre si grave présence : je songe à la punition réservée au vieux liant qui, pour avoir épié et happé subrepticement la « chose en soi » – chose également fort risible – fut à son tour épié et surpris par « l'impératif » catégorique et, dans son cœur, retomba dans les erreurs que sont « Dieu », l' « âme », la « liberté » et l' « immortalité », pareil à un renard qui se fourvoie à nouveau dans sa cage : – or c'était sa force et son intelligence qui avaient brisé cette cage ! - Et voici que vous admirez l'impératif catégorique au-dedans de vous ? Cette « solidité » de votre jugement soi-disant moral ? Cette « absoluité » du sentiment qu' « en cela tous les autres doivent juger comme moi-même » ? Admirez plutôt ici votre égoïsme ! L'aveuglement, la mesquinerie et le manque d'exigence de votre égoïsme! C'est de l'égoïsme, en effet, que d'éprouver son jugement propre comme une loi universelle : et c'est un égoïsme aveugle, mesquin et sans exigence, parce qu'il trahit que vous ne vous êtes point encore trouvés vous-mêmes, que vous ne vous êtes point encore créé un idéal proprement personnel : – celui-ci ne saurait jamais être l'idéal d'un autre, pour ne point parler de tous, de tous les autres ! ... Qui en est encore à juger que « dans tel cas chacun devrait, agir ainsi », n'a pas encore avancé de cinq pas dans la connaissance de soi-même : autrement il saurait qu'il n'y a, qu'il ne peut y avoir jamais d'actions identiques – que chaque action accomplie le fut d'une manière tout à fait unique et irretrouvable, et qu'il en sera de même de toute action future – que toutes les prescriptions de l'agir ne concernent que le grossier aspect extérieur (même les prescriptions les plus intérieures, les plus subtiles de toutes morales jusqu'alors) – que par elles peut sans doute être réalisée une apparence d'identité, mais précisément rien qu'une apparence, – que toute action dès qu'on l'examine ou la reconsidère, est et demeure, une chose impénétrable – que nos opinions de ce qui est « bon », « noble », « grand » ne sauraient jamais être démontrées par nos actions, parce que chacune est inconnaissable – que si nos opinions, nos évaluations, nos tables de  valeurs sont parmi les plus puissants leviers dans le rouage de nos actions, il reste que dans chaque cas particulier la loi de leur mécanisme est indémontrable. Bornons-nous â donc à la purification de nos opinions et de nos évaluations, bornons-nous à la création de nouvelles et propres tables de valeurs : – mais ne nous creusons plus la tête sur la « valeur morale de nos actions » ! Oui, mes amis, à l'heure qu'il est, nous voici dégoûtés de tout bavardage moral des uns par rapport aux autres ! Prononcer des jugements au nom de la morale doit enfin répugner à notre bon goût ! Laissons ce bavardage à ceux qui n'ont rien à faire d'autre qu'à traîner un peu plus loin le passé à travers le temps, à ceux qui jamais ne deviennent eux-mêmes le présent, – donc au plus grand nombre ! Quant à nous autres, nous voulons devenir ceux que nous sommes – les nouveaux, les uniques, les incomparables, ceux qui sont leurs propres législateurs, ceux qui sont leurs propres créateurs !"

 

Nietzsche, Le gai savoir, 1882, Livre quatrième, § 336, tr. fr. Pierre Klossowski,  Folio essais, 1996, p. 224-226.



  "Tous les philosophes, sans exception ont assumé avec des airs de gravité et de raideur impayables une tâche beaucoup plus relevée, beaucoup plus prétentieuse et plus solennelle en voulant faire de la morale une science ; ils ont voulu établir les fondements de la morale et chacun d'eux s'est imaginée l'avoir fondée ; quant à la morale elle-même, elle passait pour "donnée". Combien leur sot orgueil était éloigné de cette tâche purement descriptive qui leur semblait trop terne et qu'on abandonnait à la poussière et à la moisissure, alors qu'elle aurait requis la plus grande finesse de doigté et des sens. Du fait justement que les moralistes philosophes jugeaient sommairement des faits moraux, d'après une sélection arbitraire ou un abrégé fortuit, par exemple d'après la morale de leur milieu, de leur climat ou de leur zone, de leur classe sociale, de leur Église, de leur époque ; du fait qu'ils étaient mal informés et même peu curieux de ce qui concernait d'autres nations, d'autres temps, des époques passées, ils ne discernaient même pas les véritables problèmes de la morale qui consistent toujours à établir une comparaison entre les diverses morales. Ce qui a le plus manqué à toutes les "sciences morales", si étrange que cela semble, c'est le problème même de la morale ; on n'a jamais eu le même soupçon qu'il pût y avoir là un problème. Ce que les philosophes appelaient "fonder la morale" et ce qu'ils exigeaient d'eux-mêmes sous ce nom, n'était, à le bien voir, qu'une forme savante de la croyance naïve à la morale régnante, un nouveau moyen de l'exprimer, donc un état de fait à l'intérieur d'une moralité donnée et même, en dernière analyse, une façon de nier que cette morale pût être envisagée comme un problème".

Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886, IV, 61, trad. Geneviève Bianquis, coll. 10/18, p. 139-140.



    "Exprimons-la, cette nouvelle exigence : nous avons besoin d'une critique des valeurs morales, c'est la valeur de ces valeurs qu'il faut commencer par mettre en question - et pour cela il faut une connaissance des conditions et des circonstances qui les ont produites, dans lesquelles elles se sont modifiées (la morale comme conséquence, comme symptôme, comme masque, comme tartuferie, comme maladie, comme malentendu ; mais aussi la morale comme cause, comme remède, comme stimulant, comme entrave, comme poison, une connaissance telle qu'il n'en a jamais existé et telle qu'on n'en a même jamais désiré de pareille jusqu'ici. On prenait la valeur de ces « valeurs » pour donnée, pour réelle, au-delà de toute question ; jusqu'ici on a placé la valeur « du bon » plus haut que celle « du méchant », sans l'ombre d'un doute ni d'une hésitation, plus haut au sens de promotion, d'utilité, de croissance pour l'homme en général (y compris l'avenir de l'homme). Eh quoi ? Et Si le contraire était vrai ? Eh quoi ? Si dans le « bon » se nichaient aussi un symptôme de recul ainsi qu'un danger, un égarement, un poison, un narcotique grâce auquel le présent vivrait aux dépens de l'avenir ? Peut-être d'une manière plus confortable, moins dangereuse, mais dans un style plus mesquin, plus vil ?... De sorte que ce serait bien la faute de la morale si le type humain ne pouvait jamais atteindre à la plus haute magnificence et splendeur qui lui est possible ? De sorte que la morale serait justement le danger des dangers ?..."
 

Nietzsche, Généalogie de la morale, 1887, tr. E. Blondel, O. Hansen-Love, T. Leydenbach et P. Pénisson, GF, 1996, p. 31-32.

 


Date de création : 01/04/2007 @ 12:08
Dernière modification : 26/12/2014 @ 17:45
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