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Texte à méditer :   De l'amibe à Einstein, il n'y a qu'un pas.   Karl Popper
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Déontologisme (morale de l'intention), éthique de la vertu, et morale conséquentialiste
  "Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n'est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c'est seulement le vouloir ; c'est-à-dire que c'est en soi qu'elle est bonne ; et, considérée en elle-même, elle doit sans comparaison être estimée bien supérieure à tout ce qui pourrait être accompli par elle uniquement en faveur de quelque inclination et même, si l'on veut, de la somme de toutes les inclinations. Alors même que, par une particulière défaveur du sort, ou par l'avare dotation d'une nature marâtre, cette volonté serait complètement dépourvue du pouvoir de faire aboutir ses desseins ; alors même que dans son plus grand effort elle ne réussirait à rien ; alors même qu'il ne resterait que la bonne volonté toute seule (je comprends par-là, à vrai dire, non pas quelque chose comme un simple vœu, mais l'appel à tous les moyens dont nous pouvons disposer), elle n'en brillerait pas moins, ainsi qu'un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière. L'utilité ou l'inutilité ne peut en rien accroître ou diminuer cette valeur".

 

Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, Iresection, trad. V. Delbos, Éd. Delagrave, rééd. 1997, p. 89-90.


 

    "Ils [les adversaires de l'utilitarisme] disent que c'est trop demander que d'exiger que les gens agissent toujours en vue de promouvoir les intérêts généraux de la société. Mais c'est là une erreur quant à la signification même d'un critère moral, et une confusion entre la règle d'une action et son motif. La tâche de l'éthique est de nous dire quels sont les devoirs ou par quelle expérience nous pouvons les connaître ; mais aucun système éthique ne demande que le seul motif de tout ce que nous faisons soit un sentiment (feeling) de devoir ; bien au contraire, 90 % de toutes nos actions ont leur source dans d'autres motifs et, à juste titre, à condition que la règle du devoir ne les condamne pas. Il est d'autant plus injuste vis-à-vis de l'utilitarisme, de faire de ce malentendu la base d'une objection que les moralistes de l'utilité ont été plus loin que personne en déclarant que le motif de l'action n'a rien à voir avec sa moralité, mais beaucoup avec la valeur (worth) de l'agent. Celui qui sauve son semblable de la noyade fait ce qui est moralement juste (right), que son motif soit le devoir ou l'espoir d'être rétribué pour son geste ; celui qui trahit l'ami qui lui fait confiance est coupable d'un crime, même si son objet était de servir un autre ami vis-à-vis duquel il avait une obligation plus grande".

 

 

Mill, L'utilitarisme, 1861, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, p. 52-53.
 

 "C'est affaire à la morale de nous dire quels sont nos devoirs, ou quel est le critérium qui nous permet de les reconnaître ; mais aucun système de morale n'exige que le seul motif de tous nos actes soit le sentiment du devoir : au contraire, nos actes, dans la proportion de quatre-vingt-dix-neuf sur cent, sont accomplis pour d'autres motifs, et, tout de même, sont des actes moraux si la règle du devoir ne les condamne pas. Il est particulièrement injuste de fonder sur cette singulière méprise une objection contre l'utilitarisme. Car les utilitaristes, allant plus loin que la plupart des autres moralistes, ont affirmé que le motif n'a rien à voir avec la moralité [morality] de l'action quoiqu'il intéresse beaucoup la valeur [worth] de l'agent. Celui qui sauve un de ses semblables en danger de se noyer accomplit une action moralement bonne, que son motif d'action soit le devoir ou l'espoir d'être payé de sa peine, celui qui trahit l'ami qui a placé sa confiance en lui se rend coupable d'un méfait, même s'il se propose de rendre service à un autre ami envers lequel il a de plus grandes obligations qu'envers le premier."
 
Mill, L'utilitarisme, 1861, tr. fr. George Tannesse, Champs Flammarion, 1988, p. 68-69.

 

    "Les règles de conduite, dont beaucoup ont une origine rituelle, jouent un grand rôle dans la vie des peuples sauvages et primitifs. Il est interdit de manger dans le plat du chef, ou de faire cuire le chevreau dans le lait de sa mère ; il est ordonné d'offrir des sacrifices aux dieux, et, à un certain stade d'évolution, ces sacrifices passent pour être plus agréables aux dieux s'il s'agit d'êtres humains. D'autres règles morales, telles que l'interdiction du meurtre et du vol, ont une utilité sociale plus évidente, et survivent au déclin des systèmes théologiques primitifs auxquels elles étaient liées à l'origine. Mais, à mesure que les hommes réfléchissent davantage, ils tendent à insister moins sur les règles et plus sur les états d'esprit. Cette tendance a deux sources : la philosophie et la religion mystique. Nous connaissons tous des passages des Prophètes et des Évangiles où la pureté du cœur est placée au-dessus de l'observation méticuleuse de la Loi ; et le fameux passage de saint Paul à la louange de la charité, ou de l'amour, enseigne le même principe. C'est ce qu'on retrouve chez tous les grands mystiques, chrétiens et non chrétiens ; ce qui a de la valeur à leurs yeux, c'est un état d'esprit qui doit, d'après eux, entraîner une conduite juste ; les règles leur paraissent extérieures, et insuffisamment adaptables aux circonstances."

 

Russell, Science et religion, 1935, Chapitre IX, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 166-167.


  "De la fin du XIe au début du XIIIe siècle, la conception du péché et de la pénitence change profondément, se spiritualise, s'intériorise. Désormais, la gravité du péché se mesure à l'intention du pécheur. Il faut donc rechercher si cette intention était bonne ou mauvaise. Cette morale de l'intention est professée par toutes les écoles théologiques importantes du XIIe siècle, de celle de Laon à celles de Saint-Victor de Paris, de Chartres et de Notre-Dame de Paris, par tous les théologiens de premier plan, pourtant antagonistes sur beaucoup d'autres problèmes, Abélard et saint Bernard, Gilbert de la Porrée et Pierre Lombard, Pierre le Chantre et Alain de Lille. Il en résulte un changement profond dans la pratique de la confession. De collective et publique, exceptionnelle et réservée aux péchés les plus graves, la confession devient auriculaire, de bouche à oreille, individuelle et privée, universelle et relativement fréquente. Le IVe concile du Latran (1215) marque une grande date. Il rend obligatoire à tous les Chrétiens - c'est-à-dire à tous les hommes et femmes – la confession, au moins une fois par an, à Pâques. Le pénitent est tenu d'expliquer son péché en fonction de sa situation familiale, sociale, professionnelle, des circonstances et de sa motivation. Le confesseur doit tenir compte de ces paramètres individuels, et autant que la « satisfaction », c'est-à-dire la pénitence, sinon davantage, rechercher l'aveu du pécheur, recueillir sa contrition. Il doit plutôt laver une personne que châtier une faute.
  Cela demande aux deux partenaires de la confession un gros effort auquel la tradition ne les a pas habitués. Le pénitent doit s'interroger sur sa conduite et ses intentions, se livrer à un examen de conscience. Un front pionnier est ouvert : celui de l'introspection, qui va transformer lentement les habitudes mentales et les comportements. Ce sont les débuts de la modernité psychologique. Le confesseur devra poser les questions propres à lui faire connaître son pénitent, à trier dans son lot de péchés les graves, mortels s'il n'y a pas contrition ni pénitence, et les plus légers, les véniels qu'on peut racheter. Les pécheurs qui meurent en état de péché mortel iront dans le lieu traditionnel de la mort, du châtiment éternel, l'enfer. Ceux qui ne meurent que chargés de péchés véniels passeront un temps plus ou moins long d'expiation dans un lieu nouveau, le purgatoire, que, purifiés, purgés, ils quitteront pour la vie éternelle, le paradis –  au plus tard au moment du Jugement dernier."

 

Jacques Le Goff, La Bourse et la vie, 1986, Pluriel, 2010, p. 12-14.


 

  "Au départ, des convictions morales très fortes : le meurtre est un mal, ainsi que le mensonge, ou encore le fait de ne pas tenir ses promesses. La morale ordinaire édifie sur ces convictions un système d'interdits et d'obligations qui s'impose absolument à chaque agent : tu ne tueras point ; tu respecteras tes engagements, etc. Mais, affirme le conséquentialisme [1], s'il est mal pour un agent de commettre un meurtre, et s'il est bien d'honorer ses promesses, le monde sera d'autant meilleur que le nombre d'agents commettant des meurtres sera moins élevé, et celui des agents qui tiennent leurs engagements, plus fort. C'est là une exigence de rationalité maximisatrice qui, en soi, n'est pas morale, est même antérieure à et indépendante de toute moralité, mais qui, greffée sur nos convictions concernant le bien et le mal, engendre le principe conséquentialiste : il faut viser à accroître le bien, et à diminuer le mal, globalement dans le monde. Or il se trouve que dans des cas exceptionnels, qui constituent autant de dilemmes pour la réflexion éthique, la visée maximisatrice globale prescrit de transgresser les interdits et de se soustraire aux obligations de la morale de sens commun. Celle-ci, du point de vue du conséquentialisme, se trouve donc dans la position paradoxale d'avoir à refuser absolument ce qui, globalement, minimiserait le mal et maximiserait le bien, et ce au nom d'interdits et d'obligations qui n'ont pas d'autre justification que d'empêcher ce mal et de favoriser ce bien. « Tu ne tueras point », soit. Mais si, en tuant un innocent, j'évite que vingt-deux autres innocents soient tués ? Si vraiment je considère que le meurtre d'un innocent est une chose abominable, alors l'interdit qui frappe le meurtre, dans ce cas, apparaît contraire à la raison. La morale traditionnelle (chrétienne, kantienne, déontologique) semble donc coupable d'irrationalisme. Elle refuse de « reculer pour mieux sauter » ; elle n'accepte pas la logique du sacrifice : elle rejette le principe du détour.

  Lorsque des auteurs critiques de l'utilitarisme, tel Robert Nozick [2], cherchent à mettre celui-ci dans l'embarras, ils recourent fréquemment à des cas du type suivant : « Une populace en furie, saccageant, brûlant, et tuant tout sur son passage, violera évidemment les droits de ses victimes. En conséquence, quelqu'un pourrait être tenté de justifier le châtiment d'une personne qu'il sait être étrangère au crime qui a déchaîné la foule, en arguant que cette punition d'un innocent permettrait d'éviter d'encore plus grandes violations des droits de l'homme, et rapprocherait la communauté de l'optimum global défini par la minimisation de ces violations ». L'argument semble être que, puisqu'il n'y a rien qui nous fasse plus horreur que le fait de livrer un innocent en pâture à une populace, l'utilitarisme, qui justifie cela, doit être condamné. Mais faut-il aussi condamner les principes les plus basiques de ce que nous appelons Raison ? La situation mise en scène par Nozick n'est autre que le choix de Caïphe, et c'est bien à la pure raison de ses interlocuteurs que celui-ci s'adresse lorsqu'il lance aux grands prêtres et aux pharisiens : « Vous n'y entendez rien. Vous ne voyez pas qu'il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière » (Jean 11, 49-50)."


Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain, Éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2002, p. 41-43.


[1] Le conséquentialisme, dont l'utilitarisme est une variante, recommande de « maximiser » une grandeur globale formée par l'intérêt de tous les individus concernés. Pour le conséquentialisme, les moyens trouvent leur raison dans leur fin (ou « conséquence », soit l'intérêt de tous ou du plus grand nombre). Cette doctrine s'oppose aux morales dites déontologiques, qui posent des interdits et des obligations absolus.

[2] In Anarchy, State and utopia, 1974.



  "Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d'ordinaire
N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés :
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.
Nul animal n'avait affaire
Dans les lieux que l'Ours habitait ;
Si bien que tout Ours qu'il était
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore,
Il l'était de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux : Mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu ; si ce n'est dans mon livre ;
De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L'Ours porté d'un même dessein
Venait de quitter sa montagne :
Tous deux, par un cas surprenant
Se rencontrent en un tournant.
L'homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire
Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur.
L'Ours très mauvais complimenteur,
Lui dit : Viens-t'en me voir. L'autre reprit : Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait : Ce n'est peut-être pas
De Nosseigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j'offre ce que j'ai. L'Ours l'accepte ; et d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ;
Et bien qu'on soit à ce qu'il semble
Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,
Comme l'Ours en un jour ne disait pas deux mots
L'Homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L'Ours allait à la chasse, apportait du gibier,
Faisait son principal métier
D'être bon émoucheur, écartait du visage
De son ami dormant, ce parasite ailé,
Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l'Ours au désespoir, il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi."
 
La Fontaine, "L'ours et l'amateur des jardins", Fables, 1678, Livre XIII, 10.
 

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Date de création : 12/05/2007 @ 13:34
Dernière modification : 11/11/2015 @ 14:23
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