"Les erreurs où l'on tombe […] dans toutes les sciences auxquelles on applique la géométrie, ne viennent point de la géométrie, qui est une science incontestable, mais de la fausse application qu'on en fait. On suppose par exemple que les planètes décrivent par leur mouvement des cercles et des ellipses parfaitement régulières; ce qui n'est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu'il s'en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques, sans pesanteur, et sans frottement; ou plutôt on ne considère pas assez leur pesanteur, leur matière ni le rapport que ces choses ont entre elles : que la dureté ou la grandeur augmente la pesanteur, que la pesanteur augmente le frottement, que le frottement diminue la force, qu'elle rompt ou use en peu de temps la machine, et qu'ainsi ce qui réussit presque toujours en petit ne réussit presque jamais en grand."
Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, Livre VI, 1ère partie, c, IV, in Oeuvres, Bibl. de la Pléiade, t. 1, p. 618.
"La question de la validité des hypothèses de la géométrie dans l'infiniment petit est liée à la question du principe intime des rapports métriques dans l'espace. Dans cette dernière question, que l’on peut bien encore regarder comme appartenant à la doctrine de l’espace, on trouve l’application de la remarque précédente, que, dans une variété discrète, le principe des rapports métriques est déjà contenu dans le concept de cette variété, tandis que, dans une variété continue, ce principe doit venir d’ailleurs. Il faut donc, ou que la réalité sur laquelle est fondé l’espace forme une variété discrète, ou que le fondement des rapports métriques soit cherché en dehors de lui, dans les forces de liaison qui agissent en lui. La réponse à ces questions ne peut s’obtenir qu’en partant de la conception des phénomènes, vérifiée jusqu’ici par l’expérience, et que Newton a prise pour base, et en apportant à cette conception les modifications successives, exigées par les faits qu’elle ne peut pas expliquer. Des recherches partant de concepts généraux, comme l'étude que nous venons de faire, ne peuvent avoir d'autre utilité que d'empêcher que ce travail ne soit entravé par des vues top étroites, et que le progrès dans la connaissance de la dépendance mutuelle des choses ne trouve un obstacle dans les préjugés traditionnels. Ceci nous conduit dans le domaine d’une autre science, dans le domaine de la Physique, où l’objet auquel est destiné ce travail ne permet pas de pénétrer aujourd’hui."
Bernhard Riemann, Hypothèses qui servent de fondement à la géométrie, 1854.
"Dans le système d'une physique théorique, nous déterminons une place pour la raison et pour l'expérience. La raison constitue la structure du système. Les résultats expérimentaux et leurs imbrications mutuelles peuvent trouver leur expression, grâce aux propositions déductives. Et c'est dans la possibilité d'une telle représentation que se situent exclusivement le sens et la logique de tout le système, et plus particulièrement, des concepts et des principes qui en forment les bases. Et d'ailleurs, ces concepts et ces principes se découvrent comme des inventions spontanées de l'esprit humain. Elles ne peuvent se justifier a priori ni par la structure de l'esprit humain ni, avouons-le, par une quelconque raison.
Ces principes fondamentaux, ces lois fondamentales, lorsqu'on ne peut plus les réduire en stricte logique, dévoilent la partie inévitable, rationnellement incompréhensible de la théorie. Car le but essentiel de toute théorie est d'obtenir ces éléments fondamentaux irréductibles, aussi évidents et aussi rares que possible, sans oublier la représentation adéquate de toute expérience possible."
Albert Einstein, Comment je vois le monde, 1934, trad. M. Solovine et R. Hanrion, Flammarion, 1979, p. 129-131.
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