"Il y a des sciences pures de l'essence, telles que la logique pure, la mathématique pure, la théorie pure du temps, de l'espace, du mouvement, etc. Dans aucune de leurs démarches elles ne posent des faits ; ou, ce qui revient au même, aucune expérience en tant qu'expérience – si l'on entend par là une conscience qui saisit ou pose une réalité, une existence – n'y joue le rôle de fondement. Quand l'expérience y intervient, ce n'est pas en tant qu'expérience. Le géomètre, lorsqu'il trace au tableau ses figures, forme des traits qui existent en fait sur le tableau qui lui-même existe en fait. Mais, pas plus que le geste physique de dessiner, l'expérience de la figure dessinée, en tant qu'expérience, ne fonde aucunement l'intuition et la pensée qui portent sur l'essence géométrique. C'est pourquoi il importe peu qu'en traçant ces figures il soit ou non halluciné et qu'au lieu de dessiner réellement il projette ses lignes et ses constructions dans un monde imaginaire. Il en est autrement du savant dans les sciences de la nature. Il observe et expérimente ; autrement dit, il constate par expérience une existence ; pour lui l'expérience est l'acte sur lequel tout le reste se fonde et que la simple fiction ne peut jamais remplacer. C'est précisément pourquoi sciences du fait et sciences de l'expérience sont des concepts équivalents. Mais pour le géomètre qui explore non des réalités mais des « possibilités idéales », non des états de choses propres à la réalité mais des états de choses propres aux essences, l'intuition des essences est, à la place de l'expérience, l'acte qui fournit les ultimes fondements."
Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Première section, Chapitre premier, § 7, trad. Paul Ricoeur, pp. 16-17 de l'édition allemande, tel Gallimard, pp. 31-32.
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