"Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l'au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l'intervalle approximatif d'un demi millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l'Islam : et il est frappant que chaque étape loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d'un recul. Il n'y a pas d'au-delà pour le bouddhisme ; tout s’y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche dans un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion. Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituel se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte, on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas."
Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955, Pocket, p. 489.
"L'homme des sociétés primitives s'est efforcé de vaincre la mort en la transformant en rite de passage. En d'autres termes, pour les primitifs, on meurt toujours à quelque chose qui n'était pas essentiel ; on meurt surtout à la vie profane. Bref, la mort en vient à être considérée comme la suprême initiation, comme le commencement d'une nouvelle existence spirituelle. Mieux : génération, mort et régénération (re-naissance) ont été comprises comme les trois moments d'un même mystère, et tout l'effort spirituel de l'homme archaïque s'est employé à montrer qu'entre ces moments il ne doit pas exister de coupure. On ne peut pas s'arrêter dans un de ces trois moments. Le mouvement, la régénération se poursuivent infiniment."
Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane, 1957, Folio Essais, 2001, p. 167.
"La vieillesse n'est jamais en elle-même une cause de décès. Tout le monde meurt parce que les adaptations qu'il a élaborées n'ont pas réussi à relever un certain défi. La sénescence joue son rôle en rendant de plus en plus probable la mort liée à de nombreux types de défi, mais il n'y a pas de processus de mort identifiable. Un homme âgé de quatre-vingt-cinq ans peut mourir parce que son cœur n'a pas pu apporter l'oxygène nécessaire à son cerveau, tandis qu'à l'âge de soixante-quinze ans ce niveau de performance cardiaque lui était facile. Une femme de quarante-cinq ans peut mourir de complications obstétriques qu'elle aurait facilement évitées à trente-cinq ans. Un homme ou une femme de trente-cinq ans pourrait être tué par un lion pour avoir mis une demi-seconde de trop pour monter dans un arbre, alors que la vitesse nécessaire aurait été atteinte dix ans auparavant. C'est ainsi que la sénescence est liée à la mort. Mourir de telle ou telle cause devient plus probable à mesure que nous vieillissons, parce que les adaptations qui préservent notre vie se détériorent irréversiblement. Il n'existe aucun mécanisme de mort, pas de durée de vie définissable ou de longévité. Chacun vivra jusqu'à ce qu'il soit tué par quelque chose."
George C. Williams, Plan & purpose in nature, Chapter 7, tr. fr. Pierre-Jean Haution, 1996, Phoenix, 1997, p. 165.
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