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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
La mort de Dieu

 "Le dément. - N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi, alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » - Étant donné qu'il y avait justement là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il déchaîna un énorme éclat de rire. [...] Le dément se précipita au milieu d'eux et les transperça du regard. « Où est passé Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tué, - vous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pûmes-nous boire la mer jusqu'à la dernière goutte ? Qui nous donna l'éponge pour faire disparaître tout l'horizon? Que fîmes-nous en détachant cette terre de son soleil ? Où l'emporte sa course désormais ? Où nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abîmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arrière, de côté, en avant, de tous les côtés ? Est- il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? L'espace vide ne répand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est- il pas mis à faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes à midi ? [...] Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possédait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidé de son sang, - qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cérémonies expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour apparaître seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand, - et quiconque naît après nous appartient du fait de cet acte à une histoire supérieure à ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
 
Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1882-1887), § 125, trad. P. Wotling, Flammarion, coll. « GF », 2e éd. corrigée, 2000, p. 176-177.



    "Le plus important des événements récents, - le fait que « Dieu est mort », que la foi en le Dieu chrétien a été ébranlée - commence déjà à projeter sur l'Europe ses premières ombres. Du moins pour le petit nombre de ceux dont le regard, dont la méfiance du regard sont assez aigus et assez fins pour ce spectacle, un soleil semble s'être couché, une vieille et profonde confiance s'être changée en doute : c'est à eux que notre vieux monde doit paraître tous les jours plus crépusculaire, plus suspect, plus étrange, plus « vieux ». On peut même dire, d'une façon générale, que l'événement est beaucoup trop grand, trop lointain, trop éloigné de la compréhension de tout le monde pour qu'il puisse être question du bruit qu'en a fait la nouvelle, et moins encore pour que la foule puisse déjà s'en rendre compte — pour qu'elle puisse savoir ce qui s'effondrera, maintenant que cette foi a été minée, tout ce qui s'y dresse, s'y adosse et s'y vivifie : par exemple toute notre morale européenne. Cette longue suite de démolitions, de destructions, de ruines et de chutes que nous avons devant nous, qui donc aujourd'hui la devinerait assez pour être l'initiateur et le devin de cette énorme logique de terreur, le prophète d'un assombrissement et d'une obscurité qui n'eurent probablement jamais leur pareil sur la terre ? Nous-mêmes, nous autres devins de naissance, qui restons comme en attente sur les sommets, placés entre hier et demain, haussés parmi les contradictions d'hier et de demain, nous autres premiers-nés, nés trop tôt, du siècle à venir, nous qui devrions apercevoir déjà les ombres que l'Europe est en train de projeter : d'où cela vient-il donc que nous attendions nous-mêmes, sans un intérêt véritable, et avant tout sans souci ni crainte, la venue de cet obscurcissement ? Nous trouvons-nous peut-être encore trop dominés par les premières conséquences de cet événement ? — et ces premières conséquences, à l'encontre de ce que l'on pourrait peut-être attendre, ne nous apparaissent nullement tristes et assombrissantes, mais, au contraire, comme une espèce de lumière nouvelle, difficile à décrire, comme une espèce de bonheur, d'allègement, de sérénité, d'encouragement, d'aurore… En effet, nous autres philosophes et « esprits libres », à la nouvelle que « le Dieu ancien est mort », nous nous sentons illuminés d'une aurore nouvelle ; notre cœur en déborde de reconnaissance, d'étonnement, d'appréhension et d'attente, — enfin l'horizon nous semble de nouveau libre, en admettant même qu'il ne soit pas clair, — enfin nos vaisseaux peuvent de nouveau mettre la voile, voguer au-devant du danger ; tous les coups de hasard de celui qui cherche la connaissance sont de nouveau permis; la mer, notre pleine mer s'ouvre de nouveau devant nous, et peut-être n'y eut-il jamais une mer aussi « pleine »."


Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1882-1887), livre V, § 343, traduction Henri Albert (Société du Mercure de France, 1899).


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Date de création : 04/07/2007 @ 15:41
Dernière modification : 02/04/2011 @ 13:48
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