"Il est vrai que la communication présuppose un système de correspondances tel que celui qui est donné par le dictionnaire, mais elle va au-delà, et c'est la phrase qui donne son sens à chaque mot, c'est pour avoir été employé dans différents contextes que le mot se charge d'un sens qu'il n’est pas possible de fixer absolument. Une parole importante, un bon livre imposent leur sens. C'est donc d'une certaine manière qu'ils le portent en eux. Et quant au sujet qui parle, il faut bien que l'acte d'expression lui permette de dépasser lui aussi ce qu'il pensait auparavant et qu'il trouve dans ses propres paroles plus qu'il ne pensait y mettre, sans quoi on ne verrait pas la pensée, même solitaire, chercher l'expression avec tant de persévérance. La parole est donc cette opération paradoxale où nous tentons de rejoindre, au moyen de mots dont le sens est donné, et de significations déjà disponibles, une intention qui par principe va au-delà et modifie, fixe elle-même, en dernière analyse, le sens des mots par lequel elle se traduit. Le langage constitué ne joue un rôle dans l'opération d'expression que comme les couleurs dans la peinture : si nous n'avions pas des yeux ou en général des sens, il n'y aurait pas pour nous de peinture, et cependant le tableau « dit » plus de choses que le simple exercice de nos sens ne peut nous en apprendre. Le tableau par-delà les données des sens, la parole par-delà celles du langage constitué doivent donc avoir par eux-mêmes une vertu signifiante, sans référence à une signification qui existe pour soi, dans l'esprit du spectateur ou de l'auditeur."
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Troisième partie, tel Gallimard, p. 445.
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