"[La loi] est injuste quand elle punit ceux à qui elle n'a donné ni éducation, ni principes honnêtes, à qui elle n'a point fait contracter les habitudes nécessaires au maintien de la société. Elle est injuste quand elle les punit pour des fautes que les besoins de leur nature et que la constitution de la société leur ont rendu nécessaires. Elle est injuste et insensée lorsqu'elle les châtie pour avoir suivi des penchants que la société elle-même, que l'exemple, que l'opinion publique, que les institutions conspirent à leur donner. Enfin la loi est inique, quand elle ne proportionne point la punition au mal réel que l'on fait à la société. Le dernier degré d'injustice et de folie est quand elle est aveuglée au point d'infliger des peines à ceux qui la servent utilement."
Paul-Henry Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1ère partie, Chapitre XII, Œuvres philosophiques complètes, Tome II, Éditions Alive, p. 304.
"Les sanctions, qui accompagnent les lois sans néanmoins en constituer l'essentiel, visent particulièrement les citoyens qui, sans refuser leur accord ou leur soutien, voudraient que des exceptions interviennent en leur faveur ; le voleur entend bien que le gouvernement protège les biens qu'il vient récemment de s'approprier. On a remarqué que, dans les premiers systèmes juridiques, il n'était pas question de sanctions. Le châtiment du contrevenant était l'exil, soit la mise hors la loi ; le criminel, en violant la loi, se plaçait hors de la communauté qu'elle avait instituée.
Passerin d'Entrèves tenant compte de la complexité du droit, y compris le droit étatique, a précisé qu' « il existe certainement des règles qui sont "directives" plutôt qu' "impératives", qui sont "acceptées" plutôt qu'elles ne sont "imposées" et dont les "sanctions" ne consistent pas nécessairement dans la possibilité de l'usage de la force par un "souverain" ». Il a comparé ce genre de lois « aux règles d'un jeu, ou à celles d'un club, ou bien à celles de l'Église ». Et « si je m'y soumets, c'est parce que, pour moi, contrairement à d'autres parmi mes concitoyens, ces règles sont "valables"... ».
Il me semble qu'il serait possible de pousser plus loin cette comparaison entre la loi et les « règles du jeu ». Car l'important n'est pas le fait que je me soumette volontairement à ces règles, ou que je reconnaisse leur validité théorique, mais que pratiquement je ne puisse pas prendre part au jeu sans m'y conformer ; l'acceptation de la règle résulte de mon désir de jouer, et les hommes n'existant qu'en groupe, ce désir de jouer équivaut à celui de vivre. Tout homme naît dans une communauté où existent des lois auxquelles il « obéit », en premier lieu parce qu'il n'y a pas pour lui d'autre façon de participer au grand jeu du monde. Nous pouvons, comme le révolutionnaire, souhaiter changer les règles du jeu, ou encore, comme le criminel, souhaiter qu'il y ait, pour nous, des exceptions ; mais les rejeter par principe n'a pas seulement le sens d'une « désobéissance » mais celui d'un refus de faire partie de la communauté humaine. Le fameux dilemme : ou la validité de la loi est absolue et requiert, pour sa légitimation, l'existence d'un législateur divin et immortel, ou elle n'est qu'un commandement, soutenu uniquement par la violence, monopole de l'État, est purement illusoire. Toutes les lois sont « directives » plutôt qu' « impératives ». Elles dirigent les rapports humains, comme les règles dirigent le cours du jeu. Et l'ultime garantie de leur validité réside dans l'ancienne maxime romaine : Pacta sunt servanda [Les traités doivent être respectés]."
Hannah Arendt, "Sur la violence", 1971, in Du mensonge à la violence, Appendices, XI, tr. Fr. Guy Durand, Pocket, 1994, pp. 200-201.
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