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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
Mensonge et politique

  "Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par la force : la première sorte est propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; mais comme la première bien souvent ne suffit pas, il faut recourir à la seconde. Ce pourquoi est nécessaire au Prince de savoir bien pratiquer la bête et l'homme. Cette règle fut enseignée aux Princes en paroles voilées par les anciens auteurs qui écrivent comme Achille et plusieurs autres de ces grands seigneurs du temps passé furent donnés à élever au Centaure Chiron pour les instruire sous sa discipline. Ce qui ne signifie autre chose, d'avoir ainsi pour gouverneur un demi-bête et demi-homme, sinon qu'il faut qu'un Prince sache user de l'une ou l'autre nature, et que l'une sans l'autre n'est pas durable. Puis donc qu'un Prince doit savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion, car le lion ne se peut défendre des rets, le renard des loups ; il faut donc être renard pour connaître les filets, et lion pour faire peur aux loups. Ceux qui simplement veulent faire les lions, ils n'y entendent rien. Partant le sage Seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à rebours, et que les causes qui l'ont induit à promettre soient éteintes. D'autant que si les hommes étaient tous gens de bien, mon précepte serait nul ; mais comme ils sont méchants et qu'ils ne te la garderaient pas, toi non plus tu n'as pas à la leur garder. Et jamais un Prince n'a eu défaut d'excuses légitimes pour colorer son manque de foi ; et s'en pourraient alléguer infinis exemples du temps présent, montrant combien de paix, combien de promesses ont été faites en vain et mises à néant par l'infidélité des Princes, et qu'à celui qui a mieux su faire le renard, ses affaires vont mieux. Mais il est besoin de savoir bien colorer cette nature, bien feindre et déguiser ; et les hommes sont tant simples et obéissent tant aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un qui se laissera tromper."

 

Machiavel, Le Prince, 1515, Chapitre 18, in Œuvres complètes, trad. E. Barincou, "La Pléiade", Gallimard, 1952.

 

  "Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre : l'une avec les lois, l'autre avec la force ; la première est propre à l'homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme la première, très souvent, ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. Aussi est-il nécessaire à un prince de savoir bien user de la bête et de l'homme. Ce point a été enseigné aux princes en termes voilés par les écrivains anciens, qui écrivent qu'Achille et beaucoup d'autres de ces princes de l'Antiquité furent donnés à élever au centaure Chiron pour qu'il les gardât sous sa discipline. Ce qui ne veut dire autre chose – d'avoir pour précepteur un demi-bête et demi-homme – sinon qu'il faut qu'un prince sache user de l'une et l'autre nature : et l'une sans l'autre n'est pas durable.
  Puisque donc un prince est obligé de savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion ; car le lion ne se défend pas des rêts, le renard ne se défend pas des loups. Ceux qui s'en tiennent simplement au lion n'y entendent rien. Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi quand une telle observance tournerait contre lui et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre. Et si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon ; mais comme ils sont méchants et ne te l'observeraient pas à toi, toi non plus tu n'as pas à l'observer avec eux. Et jamais un prince n'a manqué de motifs légitimes pour colorer son manque de foi. De cela l'on pourrait donner une infinité d'exemples modernes, et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par l'infidélité des princes : et celui qui a su mieux user du renard est arrivé à meilleure fin."

 

 Machiavel, Le Prince, 1515, Chapitre 18, tr. fr. Yves Lévy, GF, 1992, p. 141-142.



  "Il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue mais aussi de celui d'homme d'État. […]
  Si nous concevons l'action politique en termes de moyens et de fins, nous pouvons même parvenir à la conclusion, qui n'est paradoxale qu'en apparence, que le mensonge peut fort bien servir à établir ou à sauvegarder les conditions de la recherche de la vérité [...] Et les mensonges puisqu'ils sont souvent utilisés comme des substituts de moyens plus violents, peuvent aisément être considérés comme des instruments relativement inoffensifs dans l'arsenal de l'action politique. […]

  Et si nous songeons à présent aux vérités de fait – à des vérités aussi modestes que le rôle, durant la Révolution russe, d'un homme du nom de Trotski qui n'apparaît dans aucun des livres d'histoire de la Russie soviétique – nous voyons immédiatement combien elles sont plus vulnérables que toutes les espèces de vérités rationnelles prises ensemble. [...] La domination (pour parler le langage de Hobbes) lorsqu'elle s'attaque à la vérité rationnelle, outrepasse pour ainsi dire ses bornes, tandis qu'elle livre bataille sur son propre terrain quand elle falsifie et efface les faits. Les chances qu'a la vérité de fait de survivre à l'assaut du pouvoir sont effectivement très minces ; elle est toujours en danger d'être mise hors du monde, par des manœuvres, non seulement pour un temps, mais virtuellement pour toujours. Les faits et les événements sont des choses infiniment plus fragiles que les axiomes, les découvertes et les théories – même les plus follement spéculatives – produits pas l'esprit humain ; ils adviennent dans le champ perpétuellement changeant des affaires humaines, dans leur flux où rien n'est plus permanent que la permanence, relative, comme on sait, de la structure de l'esprit humain. Une fois perdus, aucun effort rationnel ne les ramènera jamais. […]
  Quand on la considère du point de vue de la politique, la vérité a un caractère despotique. Elle est donc haïe des tyrans, qui craignent à juste titre la concurrence d'une force coercitive qu'ils ne peuvent pas monopoliser, et elle jouit d'un statut plutôt précaire aux yeux des gouvernements qui reposent sur le consentement et qui abhorrent la coercition. Les faits sont au-delà de l'accord et du consentement, et toute discussion à leur sujet – tout échange d'opinion qui se fonde sur une information exacte – ne contribuera en rien à leur établissement. On peut discuter une opinion importune, la rejeter ou transiger avec elle, mais les faits importuns ont cette exaspérante ténacité que rien ne saurait ébranler, sinon de purs et simples mensonges. L'ennuyeux est que la vérité de fait, comme toute autre vérité, exige péremptoirement d'être reconnue et refuse la discussion alors que la discussion constitue l'essence même de la vie politique. Les modes de pensée et de communication qui ont affaire avec la vérité, si on les considère dans la perspective politique, sont nécessairement tyranniques ; ils ne tiennent pas compte des opinions d'autrui, alors que cette prise en compte est le signe de toute pensée strictement politique."

 

Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1964, in La Crise de la culture, tr. fr. Claude Dupont et Alain Huraut,  Folio essais, 2007, p. 289-307.



  "La possibilité de mensonge complet et définitif, qui était inconnue aux époques antérieures, est le danger qui naît de la manipulation moderne des faits. Même dans le monde libre, où le gouvernement n'a pas monopolisé le pouvoir de décider ou de dire ce qui est ou n'est pas factuellement, de gigantesque organisations d'intérêts ont généralisé une sorte de mentalité de la raison d'État qui était auparavant limitée au traitement des affaires étrangères et, dans ses pires excès, aux situation de danger clair et actuel. Et la propagande à l'échelon gouvernemental a appris plus d'un tour des usages du business et des méthodes de Madison Avenue. Des images fabriquée pour la consommation domestique, à le différence de mensonges qui s'adressent à un adversaire étranger, peuvent devenir une réalité pour chacun et avant tout pour les fabricateur d'images eux-mêmes qui, tandis qu'ils sont encore en train de préparer leur 'produits' sont écrasés par la seule pensée du nombre de leurs victimes possibles. Il n'y a pas de doute que ceux qui sont à l'origine de l'image mensongère qui « inspire » les persuadeurs cachés savent encore qu'ils veulent tromper un ennemi à l'échelon social ou national, mais le résultat est que tout un groupe de gens, et même des nations entières, peuvent s'orienter d'après un tissu de tromperies auxquelles leurs dirigeant souhaitaient soumettre leurs opposants".

 

Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1967, in La Crise de la culture, tr. fr. Claude Dupont et Alain Huraut, Folio, p. 324-325.

 

 

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Date de création : 13/09/2007 @ 14:02
Dernière modification : 09/06/2015 @ 12:09
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