* *

Texte à méditer :   Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible.   David Rousset
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Le travail libérateur

    "Les choses de la nature n'existent qu'immédiatement et d'une seule façon, tandis que l'homme, parce qu'il est esprit, a une double existence ; il existe d'une part au même titre que les choses de la nature, mais d'autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n'est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi.

  Cette conscience de soi, l'homme l'acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du coeur humain et d'une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu'il tire de son propre fond que dans les données qu'il reçoit de l'extérieur.

 Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations.

  L'homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant : le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une oeuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité."

 

Hegel, Esthétique, I, trad. S. Jankélévitch, Aubier, p. 55.


 

"Le maître se rapporte médiatement à la chose par l'intermédiaire de l'esclave ; l'esclave, comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l'égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc par son acte de nier venir à bout de la chose et l'anéantir ; l'esclave la transforme donc seulement par son travail. Inversement, par cette médiation, le rapport immédiat devient pour le maître la pure négation de cette même chose ou la jouissance ; ce qui n'est pas exécuté par le désir est exécuté par la jouissance du maître ; en finir avec la chose : l'assouvissement dans la jouissance. Cela n'est pas exécuté par le désir à cause de l'indépendance de la chose ; mais le maître, qui a interposé l'esclave entre la chose et lui, se relie ainsi seulement à la dépendance de la chose, et purement en jouit. Il abandonne le côté de l'indépendance de la chose à l'esclave, qui l'élabore."

 

Hegel, La Phénoménologie de l'Esprit, 1807.


 

  "Le Maître force l'Esclave à travailler. Et en travaillant, l'Esclave devient maître de la Nature. Or, il n'est devenu l'Esclave du Maître que parce que – au prime abord – il était esclave de la Nature, en se solidarisant avec elle et en se subordonnant à ses lois par l'acceptation de l'instinct de conservation. En devenant par le travail maître de la Nature, l'Esclave se libère donc de sa propre nature, de son propre instinct qui le liait à la Nature et qui faisait de lui l'Esclave du Maître. En libérant l'Esclave de la Nature, le travail le libère donc aussi de lui-même, de sa nature d'Esclave : il le libère du Maître. Dans le Monde naturel, donné, brut, l'Esclave est esclave du Maître. Dans le Monde technique, transformé par son travail, il règne – ou, du moins, règnera un jour – en Maître absolu. Et cette Maîtrise qui naît du travail, de la transformation progressive du Monde donné et de l'homme donné dans ce Monde, sera tout autre chose que la Maîtrise « immédiate » du Maître. L'avenir et l'Histoire appartiennent donc non pas au Maître guerrier, qui ou bien meurt ou bien se maintient indéfiniment dans l'identité avec soi-même, mais à l'Esclave travailleur. Celui-ci, en transformant le Monde donné par son travail, transcende le donné et ce qui est déterminé en lui-même par ce donné ; il se dépasse donc, en dépassant aussi le Maître qui est lié au donné qu'il laisse – ne travaillant pas – intact. Si l'angoisse de la mort incarnée pour l'Esclave dans la personne du Maître guerrier est la condition sine qua non du progrès historique, c'est uniquement le travail de l'Esclave qui le réalise et le parfait. [...]
  Le travail transforme le Monde et civilise, éduque l'Homme. L'homme qui veut - ou doit - travailler, doit refouler son instinct qui le pousse à « consommer » immédiatement l'objet « brut ». Et l'Esclave ne peut travailler pour le Maître, c'est-à-dire pour un autre que lui, qu'en refoulant ses propres désirs. Il se transcende donc en travaillant ; ou si l'on préfère, il s'éduque, il « cultive », il « sublime » ses instincts en les refoulant. [...] Il transforme les choses et se transforme en même temps lui-même : il forme les choses et le Monde en se transformant, en s'éduquant soi-même ; et il s'éduque, il se forme, en transformant des choses et le Monde."

 

Alexandre Kojève, Commentaire de la Phénoménologie de l'Esprit (Section A du Chap. IV) in Introduction à la lecture de Hegel, 1947, éd. Gallimard, coll. Tel, p. 28-30.


 

  "Le schéma de l'évolution historique est donc le suivant :
  Au début, le futur Maître et le futur Esclave sont tous les deux déterminés par un Monde donné, naturel, indépendant d'eux : ils ne sont donc pas encore des êtres vraiment humains, historiques. Puis, par le risque de sa vie, le Maître s'élève au-dessus de la Nature donnée, de sa « nature » donnée (animale), et devient un être humain, un être qui se crée lui-même dans et par son Action négatrice consciente. Puis, il force l'Esclave à travailler. Celui-ci change le Monde donné réel. Il s'élève donc lui aussi au-dessus de la Nature, de sa « nature » (animale) puisqu'il arrive à la rendre autre qu'elle n'est. Certes, l'Esclave, comme le Maître, comme l'Homme en général, est déterminé par le Monde réel. Mais puisque ce Monde a été changé, il change lui-même. Et puisque c'est lui qui a changé le Monde, c'est lui qui se change lui-même, tandis que le Maître ne change que par l'Esclave. Le processus historique, le devenir historique de l'être humain, est donc l'oeuvre de l'Esclave-travailleur, et non du Maître-guerrier. Certes, sans Maître, il n'y aurait pas eu d'Histoire. Mais ceci uniquement parce que sans lui il n'y aurait pas eu d'Esclave et donc de Travail.
  Donc - encore une fois - grâce à son Travail, l'Esclave peut changer et devenir autre qu'il n'est c'est-à-dire - en fin de compte - cesser d'être Esclave. Le travail est Bildung, au double sens du mot : d'une part il forme, transforme le Monde, l'humanise, en le rendant plus adapté à l'Homme ; d'autre part il transforme, forme, éduque l'homme, l'humanise en le rendant plus conforme à l'idée qu'il se fait de lui-même et qui n'est - au prime abord - qu'une idée abstraite, un idéal. Si donc - au début, dans le Monde donné l'Esclave avait une « nature » craintive et devait se soumettre au Maître, au fort, il n'est pas dit qu'il en sera toujours ainsi. Grâce à son travail, il peut devenir autre ; et, grâce à son travail, le Monde peut devenir autre."

 

Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, 1947, Gallimard, pp. 179-180.


 
  "Tu travailleras à la sueur de ton front ! C'est la malédiction dont Jéhovah a gratifié Adam en le chassant. Et c'est ainsi qu'Adam Smith conçoit le travail comme une malédiction. Le « repos » apparaît alors comme l'état adéquat, synonyme de « liberté » et de « bonheur ». Que l'individu se trouvant « dans un état normal de santé, de force, d'activité et d'habileté » puisse éprouver quand même le besoin d'effectuer une part normale de travail et de suspension de son repos semble peu intéresser Adam Smith. Il est vrai que la mesure du travail paraît elle-même donnée de l'extérieur, par le but à atteindre et par les obstacles que le travail doit surmonter pour y parvenir. Mais Adam Smith semble tout aussi peu avoir l'idée que surmonter des obstacles puisse être en soi une activité de liberté […], être donc l'autoeffectuation, l'objectivation du sujet, et, par là même, la liberté réelle dont l'action est précisément le travail."

 

Marx, Manuscrits de 1857-1858, t. II, p. 101.


 

  "Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital ; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! »"

 

Marx et Engels, Critique du programme de Gotha, 1875, Ed. Sociales, p. 25.

 

Retour au menu sur le travail

 

Retour au menu sur la liberté


Date de création : 27/09/2007 @ 14:25
Dernière modification : 28/01/2016 @ 12:40
Catégorie :
Page lue 15155 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^