"La cité, en effet, est un ensemble déterminé de citoyens, de sorte que nous avons à examiner qui il faut appeler citoyen et ce qu'est le citoyen. […] Un citoyen au sens plein ne peut pas être mieux défini que par la participation à une fonction judiciaire et à une magistrature. Or parmi les magistratures certaines sont limitées dans le temps, en sorte que pour les unes il est absolument interdit au même individu de les exercer deux fois, alors que pour d'autres il faut laisser passer un intervalle de temps déterminé. D'autres sont à durée illimitée, par exemple celles de juge et de membre de l'assemblée. Peut-être semblera-t-il à certains que de tels gens ne sont pas des magistrats et ne participent pas à une magistrature par de telles fonctions. Pourtant il serait ridicule de ne pas reconnaître le pouvoir à ceux qui sont tout-puissants. Mais il ne faut pas faire cette distinction, car le débat est purement question d'appellation et vient du fait qu'il n'existe aucun terme générique commun s'appliquant à un juge et à un membre de l'assemblée par lequel il faille les désigner tous les deux. Disons donc pour le définir : « magistrature sans limite ». Nous posons donc que sont citoyens ceux qui participent de cette manière de pouvoir. Telle est donc à peu près la définition du citoyen qui s'adapte le mieux à tous les gens sont dits citoyens […] C'est pourquoi le citoyen tel que nous l'avons défini existe surtout en démocratie ; dans les autres régimes il peut aussi se rencontrer mais pas nécessairement. Car dans certains régimes il n'y a pas de peuple ; on n'a pas coutume de tenir une assemblée, mais des conseils extraordinaires, et on juge les procès devant des instances spécialisées […]
Ce qu'est le citoyen est donc manifeste à partir de ces considérations : de celui qui a la faculté de participer au pouvoir délibératif ou judiciaire, nous disons qu'il est citoyen de la cité concernée, et nous appelons, en bref, cité l'ensemble de gens de cette sorte quand il est suffisant pour vivre en autarcie."
Aristote, Les Politiques, Livre III, Chapitre 1, tr. fr. Pierre Pellegrin, GF, 1993, p. 206-209.
"Aucun peuple n’a considéré comme membres de l’État tous les individus résidant, de quelque manière que ce fût, sur son territoire. Il n’est pas ici question des distinctions qui, chez les anciens, séparaient les esclaves des hommes libres, et qui, chez les modernes, séparent les nobles des roturiers. La démocratie la plus absolue établit deux classes : dans l’une sont relégués les étrangers et ceux qui n’ont pas atteint l’âge prescrit par la loi pour exercer les droits de cité : l’autre est composée des hommes parvenus à cet âge, et nés dans le pays. Il existe donc un principe d’après lequel, entre des individus rassemblés sur un territoire, il en est qui sont membres de l’État, et il en est qui ne le sont pas.
Ce principe est évidemment que, pour être membre d’une association, il faut avoir un certain degré de lumières, et un intérêt commun avec les autres membres de cette association. Les hommes, au-dessous de l’âge légal, ne sont pas censés posséder ce degré de lumières ; les étrangers ne sont pas censés se diriger par cet intérêt. La preuve en est, que les premiers, en arrivant à l’âge déterminé par la loi, deviennent membres de l’association politique, et que les seconds le deviennent par leur résidence, leurs propriétés ou leurs relations. L’on présume que ces choses donnent aux uns des lumières, aux autres l’intérêt requis."
Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France (1815), Chapitre VI, in Écrits politiques, 2004, Folio essais, p. 366-367.
"Aucun peuple n’a considéré comme membres de l’État tous les individus résidant, de quelque manière que ce fût, sur son territoire. Il n’est pas ici question des distinctions qui, chez les anciens, séparaient les esclaves des hommes libres, et qui, chez les modernes, séparent les nobles des roturiers. La démocratie la plus absolue établit deux classes : dans l’une sont relégués les étrangers et ceux qui n’ont pas atteint l’âge prescrit par la loi pour exercer les droits de cité : l’autre est composée des hommes parvenus à cet âge, et nés dans le pays. Il existe donc un principe d’après lequel, entre des individus rassemblés sur un territoire, il en est qui sont membres de l’état, et il en est qui ne le sont pas.
Ce principe est évidemment que, pour être membre d’une association, il faut avoir un certain degré de lumières, et un intérêt commun avec les autres membres de cette association. Les hommes, au-dessous de l’âge légal, ne sont pas censés posséder ce degré de lumières ; les étrangers ne sont pas censés se diriger par cet intérêt. La preuve en est, que les premiers, en arrivant à l’âge déterminé par la loi, deviennent membres de l’association politique, et que les seconds le deviennent par leur résidence, leurs propriétés ou leurs relations. L’on présume que ces choses donnent aux uns des lumières, aux autres l’intérêt requis.
Mais ce principe a besoin d’une extension ultérieure. Dans nos sociétés actuelles, la naissance dans le pays, et la maturité de l’âge, ne suffisent point pour conférer aux hommes les qualités propres à l’exercice des droits de cité. Ceux que l’indigence retient dans une éternelle dépendance, et qu’elle condamne à des travaux journaliers, ne sont ni plus éclairés que des enfants, sur les affaires publiques, ni plus intéressés que des étrangers à une prospérité nationale, dont ils ne connaissent pas les éléments, et dont ils ne partagent qu’indirectement les avantages.
Je ne veux faire aucun tort à la classe laborieuse. Cette classe n’a pas moins de patriotisme que les autres classes. Elle est prête souvent aux sacrifices les plus héroïques, et son dévouement est d’autant plus admirable, qu’il n’est récompensé ni par la fortune, ni par la gloire. Mais autre est, je le pense, le patriotisme qui donne le courage de mourir pour son pays, autre est celui qui rend capable de bien connaître ses intérêts. Il faut donc une condition de plus que la naissance et l’âge prescrit par la loi. Cette condition, c’est le loisir indispensable à l’acquisition des lumières, à la rectitude du jugement. La propriété seule assure ce loisir : la propriété seule rend les hommes capables de l’exercice des droits politiques.
Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France (1815), Chapitre VI, in Écrits politiques, 2004, Folio essais, p. 366-367.
"Il ne suffit pas d'être un consommateur des services étatiques pour être un citoyen.
Les humains qui savent faire la différence entre le bien et le mal refuseraient un arrangement, pour confortable et agréable qu'il puisse être, qui ne leur donnerait pas voix au chapitre dans l'établissement de la différence entre justice et injustice. Être membre d'un régime politique ne se résume pas à utiliser les lois pour sa propre protection ou son avancement. Cela doit inclure la participation au façonnement des lois, en veillant bien à ce qu'elles correspondent à l'idée de justice. Seul un sujet de l'État qui agit ainsi peut être appelé « citoyen ». « La caractéristique particulière » d'un citoyen, d'après Aristote, est de participer à l'administration de la justice et au gouvernement, ainsi que d'avoir le droit de prendre part à l'administration délibérante ou judiciaire d'un État particulier. C'est pour cette raison qu'il est juste de dire que la définition du citoyen s'applique particulièrement bien au citoyen d'une démocratie. Il n'est pas de citoyen digne de ce nom dans un État sans « assemblée populaire » où l'on réfléchit aux lois du pays, où on les critique, les discute et où on les modifie. Et l'on pourrait ajouter qu'il ne peut y avoir de régime politique digne de ce nom sans cette même « assemblée populaire »."
Zygmunt Bauman, La Société assiégée, 2002, II, tr. fr. Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, p. 81.
"La citoyenneté désigne un certain rapport des hommes au monde (au sens d'êtres humains), pris dans sa substance politique, juridique, sociale. Très fondamentalement, la citoyenneté est ce rapport par lequel les hommes, au lieu de recevoir l'ordre du monde tel qu'il pourrait leur être imposé sur ce plan, entendent au contraire le constituer à leur convenance : en ce sens, la citoyenneté constitue le rapport des hommes à la Cité. Plus exactement encore, ce rapport des hommes à la Cité est celui-là même qu'ils forment délibérément entre eux. Car la Cité constitue l'institutionnalisation de leur lien politique, social et juridique, celui-là dont ils ont eux-mêmes, par leur citoyenneté, fixé les modalités. La Cité représente ainsi le groupe social capable de s'autodéterminer politiquement et juridiquement : le groupe dans lequel, les hommes participent ensemble à la détermination souveraine et collective des règles qui les gouvernent. Souveraine, car la citoyenne n'est pas accordée aux hommes par une instance tierce, qui pourrait donc la leur retirer, la conditionner ou la mesurer ; collective, car on ne peut être citoyen tout seul, mais seulement avec ses semblables : il n'y a pas de citoyenneté sans concitoyenneté. La concitoyenneté est déjà une façon d'exprimer l'essence de la citoyenneté, qui implique un pouvoir conjoint et souverain : en délibérant entre eux, les concitoyens sont nécessairement cosouverains ; sinon il n'y pas de citoyenneté, mais une simple invitation à donner son avis, une participation, une consultation, une concertation ... qui ne sont que les effluves incertains de la citoyenneté.
Si l'on peut déjà en proposer une définition, la citoyenneté est cette responsabilité
que les membres d'une cité ont à l'égard les uns des autres, mais également d'eux-mêmes, de la former délibérément et d'en fixer, de façon directe ou indirecte, mais démocratiquement et souverainement, les règles de constitution et de fonctionnement."
Étienne Picard, "La notion de citoyenneté", 2000, in Le Pouvoir, l'État, la politique, Odile Jacob Poches, 2002, p. 44-45.
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