* *

Texte à méditer :  Il n'y a rien de plus favorable à la philosophie que le brouillard.  Alexis de Tocqueville
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Beauté naturelle et beauté artistique

    "Pour juger d'objets beaux, comme tels, il faut du goût ; mais il faut du génie pour les beaux-arts eux-rnêmes, c'est-à-dire pour la production de tels objets.

    Si l'on considère le génie comme le talent pour les beaux-arts (ce qui est la signification propre du mot) et si l'on désire analyser à ce point de vue les facultés qui doivent s'unir pour constituer un pareil talent, il est nécessaire de déterminer exactement la différence entre la beauté naturelle, dont le jugement n'exige que le goût, et la beauté artistique, dont la possibilité exige le génie (chose dont il faut tenir compte lorsqu'on juge un tel objet).

    Une beauté naturelle est une belle chose ; la beauté artistique est une belle représentation d'une chose.

    Afin de juger une beauté naturelle comme telle, il n'est pas nécessaire que je possède au préalable un concept de ce que l'objet doit être en tant que chose ; en d'autres termes il ne m'est pas nécessaire de connaître la finalité matérielle (la fin), mais au contraire la simple forme, sans connaissance de la fin, plaît pour elle-même dans le jugement. Mais quand l'objet est donné comme un produit de l'art et doit être déclaré beau comme tel, il faut, puisque l'art suppose toujours une fin dans la cause (et en sa causalité), qu'un concept de ce que la chose doit être soit préalablement mis au fondement ; et puisque l'harmonie du divers en une chose avec une destination interne de celle-ci en tant que fin constitue la perfection de la chose, il faut dans le jugement sur la beauté artistique tenir compte en même temps de la perfection de la chose, alors qu'il n'en est pas du tout question dans la beauté naturelle (comme telle)."

 

Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, § 48, trad. A. Philonenko, Librairie philosophique J. Vrin, 1993, p. 209-210.


 

    "Il nous est impossible de nous lancer ici dans l'examen de la question de savoir si l'on a raison de qualifier de beaux des objets de la nature, tels que le ciel, le son, la couleur, etc., si ces objets méritent en général cette qualification et si, par conséquent, le beau naturel doit être placé sur le même rang que le beau artistique. D'après l'opinion courante, la beauté créée par l'art serait même bien au-dessous du beau naturel, et le plus grand mérite de l'art consisterait à se rapprocher, dans ses créations, du beau naturel. S'il en était vraiment ainsi, l'esthétique, comprise uniquement comme science du beau artistique, laisserait en dehors de sa compétence une grande partie ou domaine artistique. Mais nous croyons pouvoir affirmer, à l'encontre de cette manière de voir, que le beau artistique est supérieur au beau naturel, parce qu'il est un produit de l'esprit. L'esprit étant supérieur à la nature, sa supériorité se communique également à ses produits et, par conséquent, à l'art. C'est pourquoi le beau artistique est supérieur au beau naturel. Tout ce qui vient de l'esprit est supérieur à ce qui existe dans la nature. La plus mauvaise idée qui traverse l'esprit d'un homme est meilleure et plus élevée que la plus grande production de la nature, et cela justement parce qu'elle participe de l'esprit et que le spirituel est supérieur au naturel."


Hegel, Introduction à l'Esthétique, 1835, coll. "Champs", Aubier-Montaigne, 1964, p. 9-10, trad. S. Jankélévitch.



  "Pour comprendre comment le sentiment du beau comporte lui-même des degrés, il faudrait le soumettre à une minutieuse analyse. Peut-être la peine qu'on éprouve à le définir tient-elle surtout à ce que l'on considère les beautés de la nature comme antérieures à celles de l'art : les procédés de l'art ne sont plus alors que des moyens par lesquels l'artiste exprime le beau, et l'essence du beau demeure mystérieuse. Mais on pourrait se demander si la nature est belle autrement que par la rencontre heureuse de certains procédés de notre art, et si, en un certain sens, l'art ne précéderait pas la nature. Sans même aller aussi loin, il semble plus conforme aux règles d'une saine méthode d'étudier d'abord le beau dans les oeuvres où il a été produit par un effort conscient, et de descendre ensuite par transitions insensibles de l'art à la nature, qui est artiste à sa manière. En se plaçant à ce point de vue, on s'apercevra, croyons-nous, que l'objet de l'art est d'endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l'idée qu'on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé. Dans les procédés de l'art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l'état d'hypnose. - Ainsi, en musique, le rythme et la mesure suspendent la circulation normale de nos sensations et de nos idées en faisant osciller notre attention entre des points fixes, et s'empa­rent de nous avec une telle force que l'imitation, même infiniment discrète, d'une voix qui gémit suffira à nous remplir d'une tristesse extrême. Si les sons musicaux agissent plus puissamment sur nous que ceux de la nature, c'est que la nature se borne à exprimer des sentiments, au lieu que la musique nous les suggère. D'où vient le charme de la poésie ? Le poète est celui chez qui les sentiments se développent en images, et les images elles-mêmes en paroles, dociles au rythme, pour les traduire. En voyant repasser devant nos yeux ces images, nous éprouverons à notre tour le sentiment qui en était pour ainsi dire l'équivalent émotionnel ; mais ces images ne se réaliseraient pas aussi forte­ment pour nous sans les mouvements réguliers du rythme, par lequel notre âme, bercée et endormie, s'oublie comme en un rêve pour penser et pour voir avec le poète. Les arts plastiques obtiennent un effet du même genre par la fixité qu'ils imposent soudain à la vie, et qu'une contagion physique commu­nique à l'attention du spectateur. Si les oeuvres de la statuaire antique expriment des émotions légères, qui les effleurent à peine comme un souffle, en revanche la pâle immobilité de la pierre donne au sentiment exprimé, au mouvement commencé, je ne sais quoi de définitif et d'éternel, où notre pensée s'absorbe et où notre volonté se perd. On retrouverait en architecture, au sein même de cette immobilité saisissante, certains effets analogues à ceux du rythme. La symétrie des formes, la répétition indéfinie du même motif architectural, font que notre faculté de percevoir oscille du même au même, et se déshabitue de ces changements incessants qui, dans la vie journalière, nous ramènent sans cesse à la conscience de notre personnalité : l'indication, même légère, d'une idée, suffira alors à remplir de cette idée notre âme entière. Ainsi l'art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu'à les exprimer ; il nous les suggère, et se passe volontiers de l'imitation de la nature quand il trouve des moyens plus efficaces. La nature procède par suggestion comme l'art, mais ne dispose pas du rythme. Elle y supplée par cette longue camaraderie que la communauté des influences subies a créée entre elle et nous, et qui fait qu'à la moindre indication d'un sentiment nous sympathisons avec elle, comme un sujet habitué obéit au geste du magnétiseur. Et cette sympathie se produit en particulier quand la nature nous présente des êtres aux proportions normales, tels que notre attention se divise également entre toutes les parties de la figure sans se fixer sur aucune d'elles : notre faculté de percevoir se trouvant alors bercée par cette espèce d'harmonie, rien n'arrête plus le libre essor de la sensibilité, qui n'attend jamais que la chute de l'obstacle pour être émue sympathiquement. - Il résulte de cette analyse que le sentiment du beau n'est pas un sentiment spécial, mais que tout sentiment éprouvé par nous revêtira un caractère esthétique, pourvu qu'il ait été suggéré, et non pas causé."

 

Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1888, PUF, 2011, p. 10-12.

 

Retour au menu sur l'art


Date de création : 07/10/2007 @ 11:54
Dernière modification : 14/03/2014 @ 16:36
Catégorie :
Page lue 1262 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^