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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Hors des sentiers battus
Le concept de matière ; l'analyse de la matière

    "Il est certain que les idées de matière et de force sont réellement inséparables. La matière pure serait indifférente à tout le reste du monde, puisqu'elle ne modifierait aucun objet voisin et n'affecterait pas non plus nos organes ; et si la force pure existait, elle ne serait que ce que nous avons déjà nommé matière. C'est donc un contre-sens de considérer la matière comme réelle, et la force comme une simple conception : la matière et la force sont plutôt deux attributs de la réalité, deux abstractions formées par le même procédé intellectuel. Nous ne connaissons et ne pouvons connaître que la matière active."

 

Hermann von Helmholtz, Mémoire sur la conservation de la force, 1869.


 

    "On admet (ce qui n'est que partiellement vrai à présent) que les propriétés de l'eau peuvent se déduire de celles de l'oxygène et de l'hydrogène réunis conformément à la combinaison moléculaire de l'eau. Ainsi grâce à l'analyse, on en arrive à des lois causales qui sont à la fois plus vraies et plus efficaces que celles du sens commun, lequel suppose, lui, que toutes les parties de l'eau dont de l'eau. Nous pouvons dire que le mérite caractéristique de l'analyse que pratique le savant, c'est de nous permettre d'arriver à une structure telle que les propriétés du complexe peuvent se déduire de celles des parties. Elle nous permet d'arriver à des lois permanentes et non simplement momentanées et approchées. Ce n'est qu'un idéal partiellement vérifié jusqu'ici, mais le degré de vérification est abondamment suffisant pour justifier la science lorsqu'elle construit le monde avec des éléments infimes. De ce qui a été dit au sujet de la substance, je conclus que la science s'occupe de groupes d'« événements » plutôt que de changements d'« états » des « choses »".


Bertrand Russell, L'Analyse de la Matière, 1927, Payot, 1965, p. 223.

 


 

    "Il est évident que notre ancienne et confortable notion de « matière solide » ne peut pas survivre. Un morceau de matière n'est pas autre chose qu'une série d'événements qui obéit à certaines lois. La conception de la matière est née à une époque où les philosophes n'avaient aucun doute sur la valeur de la notion de la « substance ». La matière, c'était la substance qui existait dans l'espace et dans le temps, l'esprit était la substance qui n'existait que dans le temps. La notion de la substance s'effaçait de plus en plus de la métaphysique à mesure que le temps avançait, mais elle a survécu en physique, parce qu'elle était inoffensive, jusqu'au moment où l'on a inventé la relativité. Traditionnelle- ment, la substance était une notion composée de deux éléments. Premièrement, une substance avait la propriété logique de ne paraître dans une proposition qu'en tant que sujet, jamais en tant que prédicat. En second lieu, elle était quelque chose qui subsistait à travers le temps, ou, comme dans le cas de Dieu, qui était en dehors du temps. Ces deux propriétés ne sont pas nécessairement liées l'une à l'autre, mais on ne s'en est pas aperçu, car la physique enseignait que les morceaux de matière étaient immortels et la théologie enseignait que l'âme était immortelle. On considérait donc les deux comme des substances. Mais maintenant la physique nous oblige à considérer des événements fugitifs comme des substances dans le sens logique de ce mot, c'est-à-dire comme des sujets qui ne peuvent pas être des prédicats. Un morceau de matière qui nous semblait une seule entité stable est en réalité un chapelet d'entités, comme les images en apparence stables d'un film cinématographique. Et rien ne nous empêche d'affirmer la même chose de l'esprit : le moi stable semble aussi fictif que l'atome stable. Les deux ne sont que des chapelets d'événements qui ont certains rapports intéressant l'un avec l'autre."


 

Bertrand Russell, Essais sceptiques, 1933, Chapitre V, tr. fr. A. Bernard, Collection des prix Nobel de Littérature, 1973, pp. 109-110.

 



  "Les concepts de départ attachés à la matière par un matérialisme naïf apparaissent aux intuitions instruites comme purement et simplement provisoires. Dur, mou, chaud, froid, immobile, stable, droit, rond, carré, autant de concepts en claire validité dans la connaissance commune qui sont touchés d'un essentiel relativisme dès que les matières se touchent, coopèrent au fonctionnement d'une machine. Leur sens primitif doit être surveillé. [...] Souvent, le philosophe qui se réclame du caractère concret de son expérience ne se rend pas compte que les premières prises sur le réel ne sont que de pauvres abstractions. L'impression concrète première est finalement une prison, une prison étroite, où l'esprit perd sa liberté, où l'expérience se prive de l'extension nécessaire à la connaissance affinée de la réalité. Les philosophes qui dénoncent les abstractions de la pensée scientifique dirigent souvent leurs traits contre la science telle qu'ils l'imaginent, telle qu'elle leur apparut dans les heures malheureuses de l'effort scolaire. Ce n'est pas en ses premières démarches qu'il faut juger une pensée qui ne vit que des rectifications qu'elle s'impose."

 

Gaston Bachelard, Le Matérialisme rationnel, 1953, Introduction, § 5, PUF, 1963, p. 14-15.

 

 

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Date de création : 12/10/2007 @ 20:30
Dernière modification : 16/04/2024 @ 11:29
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