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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
Les devoirs envers autrui

    "Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont par conséquent les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul et qu'on est en effet l'une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à la quelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de la personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s’il se pouvait, pour sauver les autres. En sorte que cette considération est la source et l'origine de toutes les plus héroïques actions que fassent les hommes ; car, pour ceux qui s’exposent à la mort par vanité, parce qu’ils espèrent en être loués, ou par stupidité, parce qu’ils n’appréhendent pas le danger, je crois qu’ils sont plus à plaindre qu’à priser. Mais, lorsque quelqu’un s’y expose, parce qu’il croit que c’est de son devoir, ou bien lorsqu’il souffre quelque autre mal, afin qu’il en revienne du bien aux autres, encore qu’il ne considère peut-être pas avec réflexion qu’il fait cela parce qu’il doit plus au public, dont il est une partie, qu’à soi-même en son particulier, il le fait toutefois en vertu de cette considération, qui est confusément en sa pensée. "


René Descartes, Lettre à Elisabeth du 15 septembre 1645.



  "Le souci de notre propre bonheur nous recommande la vertu de prudence ; le souci du bonheur d'autrui nous recommande les vertus de justice et de bienfaisance, l'une nous retenant de lui nuire et l'autre nous poussant à y concourir. La première de ces trois vertus nous est originellement recommandée par nos affections égoïstes, et les deux autres par nos affections bienveillantes, indépendamment de tout souci pour ce que sont, devraient être, ou pourraient être dans certaines conditions, les sentiments d'autrui. Cependant, un souci pour les sentiments d'autrui s'ajoute par la suite à ces affections, et vient à la fois renforcer et guider la pratique de ces trois vertus. Nul homme n'a jamais pu, pendant toute sa vie ou même pendant une grande partie de sa vie, parcourir d'un pas stable et uniforme le chemin de la prudence, de la justice ou de la bienfaisance, si sa conduite n'était pas guidée par un souci pour les sentiments du supposé spectateur impartial, de celui qui réside au dedans du cœur, du grand juge et arbitre de la conduite. Si, au cours de la journée, nous nous sommes écartés en quoi que ce soit des règles qu'il nous prescrit, si nous avons été trop frugaux ou pas assez, trop industrieux ou pas assez, si nous avons nui en quelque mesure à l'intérêt ou au bonheur de notre prochain par passion ou par inadvertance, si nous avons négligé une occasion évidente et convenable d'œuvrer à cet intérêt ou à ce bonheur ; alors celui qui réside au-dedans de nous nous demande, le soir venu, de rendre compte de toutes ces omissions et violations, et ses reproches nous font souvent rougir intérieurement de notre folie et de notre manque d'attention à l'égard de notre propre bonheur, ainsi que de notre indifférence et de notre manque d'attention plus grands encore à l'égard du bonheur d'autrui."


Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759, tr. Fr. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, PUF, Quadrige, 1999, p. 358-359.


 

  "Tuer n'est pas dominer mais anéantir, renoncer absolument à la compréhension. Le meurtre exerce un pouvoir sur ce qui échappe au pouvoir. Encore pouvoir, car le visage s'exprime dans le sensible, mais déjà impuissance car le visage déchire le sensible. L'altérité qui s'exprime dans le visage fournit l'unique « matière » possible à la négation totale. Je ne peux vouloir tuer qu'un étant absolument indépendant, celui qui dépasse infiniment mes pouvoirs et qui par là ne s'y oppose pas, mais paralyse le pouvoir même de pouvoir. Autrui est le seul être que je peux vouloir tuer.
  Mais en quoi cette disproportion entre l'infini et mes pouvoirs diffère-t-elle de celle qui sépare un obstacle très grand d'une force qui s'applique à lui ? Il serait inutile d'insister sur la banalité du meurtre qui révèle la résistance quasi nulle de l'obstacle. Cet incident le plus banal de l'histoire humaine correspond à une possibilité exception­nelle puisqu'elle prétend à la négation totale d'un être. Elle ne concerne pas la force que cet être peut posséder en tant que partie du monde. Autrui qui peut souverainement me dire non, s'offre à la pointe de l'épée ou à la balle du revolver et toute la dureté inébranlable de son « pour soi » avec ce non intransigeant qu'il oppose, s'efface du fait que l'épée ou la balle a touché les oreillettes ou les ventricules de son cœur. Dans la contexture du monde, il n'est quasi rien. Mais il peut m'opposer une lutte, c'est-à-dire opposer à la force qui le frappe non pas une force de résistance, mais l'imprévisibilité même de sa réaction. Il m'oppose ainsi non pas une force plus grande – une énergie évaluable et se présentant par conséquent comme si elle faisait partie d'un tout – mais la transcendance même de son être par rapport à ce tout, non pas un superlatif quelconque de puissance, mais précisément l'infini de sa transcendance. Cet infini, plus fort que le meurtre, nous résiste déjà dans son visage, est son visage, est l'expression originelle, est le premier mot : « tu ne commettras pas de meurtre ». L'infini paralyse le pouvoir par sa résistance infinie au meurtre, qui, durable et insurmontable, luit dans le visage d'autrui, dans la nudité totale de ses yeux, sans défense, dans la nudité de l'ouverture absolue du Transcendant. Il y a là une relation non pas avec une résistance très grande, mais avec quelque chose d'absolument Autre : la résistance qui n'a pas de résistance – la résistance éthique."

 

Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, 1961, Le Livre de Poche, 1998, p. 216-217.

 

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Date de création : 21/10/2007 @ 11:28
Dernière modification : 30/01/2023 @ 09:21
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