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Texte à méditer :  Il n'y a rien de plus favorable à la philosophie que le brouillard.  Alexis de Tocqueville
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Hors des sentiers battus
La science comme élément de la culture

  "Il existe une tendance à oublier que l'ensemble de la science est lié à la culture humaine en général, et que les découvertes scientifiques, même celles qui à un moment donné apparaissent les plus avancées, ésotériques et difficiles à comprendre, sont dénuées de signification en dehors de leur contexte culturel. Une science théorique qui ne serait pas consciente de ce que les concepts qu'elle tient pour pertinents et importants sont destinés à terme à être exprimés en concepts et en mots qui ont un sens pour la communauté instruite, et à s'inscrire dans une image générale du monde, une science théorique, dis-je, où cela serait oublié et où les initiés continueraient à marmonner en des termes compris au mieux par un petit groupe de partenaires, sera par nécessité coupée du reste de l'humanité culturelle... elle est vouée à l'atrophie et à l'ossification."


Erwin Schrödinger, "Are there quantum jumps ?", The British Journal for the Philosophy of Science, 1952, vol. 3, p. 109-110.

 

  "There is a tendency to forget that all science is bound up with human culture in general, and that scientific findings, even those which at the moment appear the most advanced and esoteric and difficult to grasp, are meaningless outside their cultural context. A theoretical science, unaware that those of its constructs considered relevant and momentous are destined eventually to be framed in concepts and words that have a grip on the educated community and become part and parcel of the general world picture - a theoretical science, I say, where this is forgotten, and where the initiated continue musing to each other in terms that are, at best, understood by a small group of close fellow travellers, will necessarily be cut off from the rest of cultural mankind; in the long run it is bound to atrophy and ossify."

 

Erwin Schrödinger, "Are there quantum jumps ?", The British Journal for the Philosophy of Science, 1952, vol. 3, p. 109-110.



    "Il fut un temps où les savants considéraient avec dédain ceux qui tentaient de rendre leurs travaux accessibles à un large public. Mais, dans le monde actuel, une telle attitude n'est plus possible. Les découvertes de la science moderne ont mis entre les mains des gouvernements une puissance sans précédent dont ils peuvent user pour le bien ou pour le mal. Si les hommes d'Etat qui détiennent cette puissance n'ont pas au moins une notion élémentaire de sa nature, il n'est guère probable qu'ils sauront l'utiliser avec sagesse. Et, dans les pays démocratiques, une certaine formation scientifique est nécessaire, non seulement aux hommes d'Etat, mais aussi au grand public.
 
Faire acquérir cette formation au plus grand nombre n'est pas chose facile. Ceux qui savent effectivement servir de trait d'union entre les techniciens et le public accomplissent une tâche qui est nécessaire non seulement pour le bien-être de l'homme, mais simplement pour sa survie. Je crois que l'on devrait faire beaucoup plus dans ce sens, pour assurer l'éducation de ceux qui ne se destinent pas à devenir des spécialistes scientifiques. Le Prix Kalinga rend un immense service à la société, en encourageant ceux qui s'attaquent à cette entreprise difficile. Dans mon pays, et, à un moindre degré, dans d'autres pays de l'Occident, on considère en général – par suite d'un regrettable appauvrissement de la tradition de la Renaissance – que la culture est essentiellement littéraire, historique et artistique. Un homme n'est pas considéré comme inculte s'il ignore tout de l'œuvre de Galilée, de Descartes et de leurs successeurs. Je suis convaincu que tout le programme d'enseignement général devrait comprendre un cours d'histoire de la science du XVIIe siècle à nos jours, et donner un aperçu des connaissances scientifiques modernes, dans la mesure où celles-ci peuvent être exposées sans faire appel à des notions techniques. Tant que ces connaissances sont réservées aux spécialistes, il n'est guère possible aux nations de diriger leurs affaires avec sagesse.

  Il existe deux façons très différentes d'évaluer les réalisations humaines : on peut les évaluer d'après ce que l'on considère comme leur excellence intrinsèque; on peut aussi les évaluer en fonction de leur efficacité en tant que facteurs d'une transformation de la vie et des institutions humaines. Je ne prétends pas que l'un de ces procédés d'évaluation soit préférable à l'autre. Je veux seulement faire remarquer qu'ils donnent des échelles de valeur très différentes. Si Homère et Eschyle n'avaient pas existé, si Dante et Shakespeare n'avaient pas écrit un seul vers, si Bach et Beethoven étaient restés silencieux, la vie quotidienne de la plupart de nos contemporains serait à peu près ce qu'elle est. Mais, si Pythagore, Galilée et James Watt n'avaient pas existé, la vie quotidienne, non seulement des Américains et des Européens de l'Ouest, mais aussi des paysans indiens, russes et chinois serait profondément différente. Or, ces transformations profondes ne font que commencer. Elles affecteront certainement l'avenir encore plus qu'elles n'affectent le présent. Actuellement, la technique scientifique progresse à la façon d'une vague de chars d'assaut qui auraient perdu leurs conducteurs : aveuglément, impitoyablement, sans idée, ni objectif. La principale raison en est que les hommes qui se préoccupent des valeurs humaines, qui cherchent à rendre la vie digne d'être vécue, vivent encore en imagination dans le vieux monde pré-industriel, ce monde qui nous a été rendu familier et aimable par la littérature de la Grèce et par les chefs-d'œuvre–que nous admirons à juste titre–des poètes, des artistes et des compositeurs, de l'ère pré-industrielle.

  Ce divorce entre la science et la « culture », est un phénomène moderne. Platon et Aristote avaient un profond respect pour ce que de leurs temps on connaissait de la science. Le Renaissance s'est autant préoccupée de rénover la science que l'art et la littérature. Léonard de Vinci a consacré plus d'énergie à la science qu'à la peinture. C'est aux architectes de la Renaissance que l'on doit la théorie géométrique de la perspective. Pendant tout le XVIIIe siècle, de grands efforts ont été entrepris pour faire connaître au public les travaux de Newton et de ses contemporains. Mais à partir du début du XIXe siècle, les concepts et les méthodes scientifiques deviennent de plus en plus abstrus, et toute tentative pour les rendre intelligibles au plus grand nombre apparaît de plus en plus illusoire. La théorie et la pratique de la physique nucléaire moderne ont révélé brutalement qu'une ignorance totale du monde de la science n'est plus compatible avec la survie de l'humanité."

 

Bertrand Russell, Allocution prononcée à l'occasion de la remise du prix Kalinga, à la maison de l'Unesco, le 18 janvier 1958.

 

  "There was a time when scientists looked askance at attempts to make their work widely intelligible. But, in the world of the present day, such an attitude is no longer possible. The discoveries of modern science have put into the hands of governments unprecedented powers both for good and for evil. Unless the statesmen who wield these powers have at least an elementary understanding of their nature, it is scarcely likely that they will use them wisely. And, in democratic countries, it is not only statesmen, but the general public, to whom some degree of scientific understanding is necessary.
  To insure wide diffusion of such understanding is by no means easy. Those who can act effectively as liaison officers between technical scientists and the public perform a work which is necessary, not only for human welfare, but even for bare survival of the human race. I think that a great deal more ought to be done in this direction in the education of those who do not intend to become scientific specialists. The Kalinga Prize is doing a great public service in encouraging those who attempt this difficult task.
 
In my own country, and to a lesser degree in other countries of the West, “culture” is viewed mainly, by an unfortunate impoverishment of the Renaissance tradition, as something concerned primarily with literature, history and art. A man is not considered uneducated if he knows nothing of the contributions of Galileo, Descartes and their successors. I am convinced that all higher education should involve a course in the history of science from the seventeenth century to the present day and a survey of modern scientific knowledge in so far as this can be conveyed without technicalities. While such knowledge remains confined to specialists, it is scarcely possible nowadays for nations to conduct their affairs with wisdom.
 
There are two very different ways of estimating any human achievement: you may estimate it by what you consider its intrinsic excellence; or you may estimate it by its causal efficiency in transforming human life and human institutions. I am not suggesting that one of these ways of estimating is preferable to the other. I am only concerned to point out that they give very different scales of importance. If Homer and Aeschylus had not existed, if Dante and Shakespeare had not written a line, if Bach and Beethoven had been silent, the daily life of most people in the present day would have been much what it is. But if Pythagoras and Galileo and James Watt had not existed, the daily life, not only of Western Europeans and Americans but of Indian, Russian and Chinese peasants, would be profoundly different from what it is. And these profound changes are still only beginning. They must affect the future even more than they have already affected the present.
 
At present, scientific technique advances like an army of tanks that have lost their drivers, blindly, ruthlessly, without goal or purpose. This is largely because the men who are concerned with human values and with making life worthy to be lived, are still living in imagination in the old pre-industrial world, the world that has been made familiar and comfortable by the literature of Greece and the pre-industrial achievements of the poets and artists and composers whose work we rightly admire.
 
The separation of science from “culture” is a modern phenomenon. Plato and Aristotle had a profound respect for what was known of science in their day. The Renaissance was as much concerned with the revival of science as with art and literature. Leonardo da Vinci devoted more of his energies to science than to painting. The Renaissance artists developed the geometrical theory of perspective. Throughout the eighteenth century a very great deal was done to diffuse understanding of the work of Newton and his contemporaries. But, from the early nineteenth century onwards, scientific concepts and scientific methods became increasingly abstruse and the attempt to make them generally intelligible came more and more to be regarded as hopeless. The modern theory and practice of nuclear physicists has made evident with dramatic suddenness that complete ignorance of the world of science is no longer compatible with survival."

 

Bertrand Russell, address delivered January 28 1958 on receiving the Kalinga Prize for the Popularization of Science, published in the unesco Courier 11, no.1, (Feb. 1958), 4.

 

 

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Date de création : 11/11/2007 @ 19:28
Dernière modification : 27/03/2024 @ 19:38
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